Rites et règlements des collèges professionnels

Émile Levasseur
Extrait de l'Histoire des classes ouvrières et de l'industrie en France avant 1789 publié en 1900.
SOMMAIRE. — Cultes, festins et fêtes. — Funérailles. — Recettes et dépenses. — Règlements intérieurs et caractères professionnels des collèges. — Les collèges professionnels en Gaule. — Les nautes.



Culte, festins et fêtes. — Chaque collège avait ses divinités particulières, ses autels, ses cérémonies pieuses dans lesquelles les membres adressaient solennellement leurs prières et leurs sacrifices à leur dieu tutélaire. Ces collèges n'étaient pas pour cela des collèges religieux chargés d'un culte public; leur culte avait un caractère privé. Leur dieu était d'ordinaire celui dont les attributions se rapportaient à leur profession; c'est pourquoi beaucoup étaient sous l'invocation de Mercure, de Minerve ou d'Hercule. Des pêcheurs prenaient Neptune; des boulangers, Vesta 45; des dendrophores, Sylvain. Beaucoup aussi invoquaient le Divin empereur dont la bienveillance n'était pas la moins efficace. La plupart aussi avaient leur génie auquel ils adressaient des dévotions: genius collegii fabrum à Lyon, genius arenariorum à Trèves; les inscriptions fournissent une variété d'exemples de ce genre. Les cérémonies avaient lieu à des époques déterminées, comme l'anniversaire de la formation du collège ou de la naissance du patron, la fête du dieu et celle de l'empereur, ou la commémoration d'un grand événement. Elles s'accomplissaient soit dans les temples, comme on le voit à Rome pour les tisserands, foulons et teinturiers qui se réunissaient dans le temple de Minerve au mois de mars, ou pour les meuniers et boulangers qui se réunissaient en juin dans le temple de Vesta, tantôt dans la schola, maison commune de la corporation ou tout au moins lieu de réunion des membres 46, et tantôt sur un terrain qui leur appartenait et leur servait de lieu de sépulture 47.

Les cérémonies religieuses étaient souvent suivies d'un banquet: c'était l'usage, et pour ainsi dire le rite: insuni sacrificia, epulæ, ludi, feriæ, dit Macrobe 48. On dressait les tables dans la schola ou dans la cour d'un temple ou sous un portique servant de lieu ordinaire de réunion au collège. Quelquefois des collèges pauvres n'avaient que le cabaret pour lieu de réunion 49. Les membres apprenaient ainsi à se connaître et oubliaient leurs travaux journaliers dans la joie d'un festin. Les cérémonies funèbres et religieuses n'étaient pas les seules occasions de banquet. On se réunissait à table pour fêter l'élection d'un patron, l'inauguration d'une statue; on organisait à frais communs des repas de corps. Le règlement des ivoiriers et ébénistes de Rome mentionne sept festins 50.

On nommait un chef de table, magister cœnæ, chargé de la police: dignité obligatoire, car on mettait à l'amende qui refusait. On mettait aussi à l'amende les convives qui faisaient des réclamations ou causaient du désordre 51.

Ces fêtes intimes avaient assurément un but moral et un certain caractère de fraternité. Mais l'abus était à craindre;sous la République, à l'époque où la politique avait multiplié les collèges, Varron considérait les banquets comme une occasion de débauche journalière et se plaignait que les collèges dévorassent ainsi les récoltes 52.

Certains collèges, en vertu de donations, étaient chargés non seulement de donner des festins, mais de distribuer des vivres ou de l'argent à tous leurs membres ou seulement aux membres présents à la cérémonie; mais on n'en a trouvé aucun qui se fût donné mission d'accorder, en cas de maladie ou d'infirmité, des secours réguliers à leurs membres: le sentiment de ce genre de mutualité ne semble pas avoir pénétré dans ces corporations 53.

Une corporation dont le caractère religieux est très accusé est celle des dendrophores. C'étaient probablement des bûcherons ou plutôt des marchands de bois qu'on trouve associés aux fabri, aux centonarii et qui étaient chargés du service de l'incendie 54. Ils avaient non seulement leur culte privé de Cybèle et de Silvain; mais ils paraissent avoir figuré officiellement, portant des pins entourés de bandelettes et des rameaux sacrés, dans les processions publiques en l'honneur de Cybèle: Les inscriptions nous apprennent qu'à Lyon (en 160 et en 190), à Valence, à Mactaris, ils ont offert; soit en corps, soit individuellement, des tauroboles pour la Grande Mère, pour l'empereur 55, qu'un magistrat perpétuel des dendrophores et ses deux fils, membres de la même communauté, avaient élevé une statue à «Silvain dendrophore» 56: les marchands de bois adoraient le dieu des forêts. Leurs fonctions religieuses ont duré jusqu'à la fin de l'Empire; car Gratien et Honorius les ont expressément mentionnés lorsqu'ils ont ordonné la confiscation des propriétés qui servaient encore à la religion païenne 57.

Les collèges prenaient leur part des grandes fêtes de la cité et de l'État dans lesquelles leurs membres figuraient parés de leurs insignes, sous la bannière commune. Quand Gallien se rendit triomphalement au Capitole pour remercier les dieux d'une victoire qu'il n'avait pas remportée, un immense cortège l'accompagnait.. Derrière les sénateurs, les chevaliers, les pontifes et les victimes destinées à être immolées dans le cirque et au pied des autels, venait le peuple; on voyait briller cinq cents lances à la hampe dorée et cent bannières appartenant aux diverses corporations flotter au vent au milieu des étendards, des temples et des enseignes des légions 58. À une époque postérieure, en Gaule, les habitants d'Autun, voulant recevoir dignement Constantin qui venait visiter leur ville saccagée peu de temps auparavant par les Bagaudes, décorèrent leurs rues avec les rares tentures qui avaient échappé au pillage et, sur le chemin que devait suivre l'empereur, ils étalèrent les bannières, les ornements des corporations et les statues des dieux 59.

Dans l'amphithéâtre de Nîmes, vingt-cinq places étaient réservées par décret des décurions aux nautes de l'Ardèche et de l'Ouvèze et quarante aux nautes du Rhône et de la Saône 60: distinction honorifique qui existait probablement aussi ailleurs et qui atteste la haute situation qu'occupaient ces collèges de mariniers.

Funérailles. — Les collèges ou du moins la plupart des collèges prenaient soin des funérailles de leurs membres.

Il y avait même des collèges qui n'avaient pas d'autre objet ou dont c'était l'objet principal 61. Ce sont ceux que Marcien désigne sous le nom de tenuiorum collegia et qu'avait autorisés d'une manière générale un sénatus-consulte datant probablement de la fin du premier siècle de l'ère chrétienne. Ce sénatus-consulte interdisait aux membres de se réunir plus d'une fois par mois. On cite particulièrement le Collegium salutare Dianæ et Antinoi à Lanuvium 62 et le Collegium Œsculapi et Hygiæ à Rome. On connaît d'ailleurs l'existence d'un nombre très considérable d'associations de ce type fondées pendant les trois premiers siècles de l'Empire. Ils étaient composés d'esclaves, d'affranchis, d'hommes libres exerçant de petits métiers, quelquefois confondus, plus souvent groupés par famille ou par profession.

Les collèges professionnels qui différaient des tenuiorum collegia en ce qu'ils avaient besoin pour se fonder d'une autorisation spéciale, avaient aussi pour la plupart un service funéraire.

Ils y pourvoyaient les uns par la cotisation ordinaire de leurs membres, d'autres par une cotisation spéciale. Ils payaient, suivant les statuts et les cas, tout ou partie des frais qui comprenaient non seulement la cérémonie funèbre; mais un repas de corps, et un monument distinct ou une urne placée dans le caveau commun. Beaucoup de collèges possédaient hors de la ville, souvent sur le bord d'une route, leur terrain de sépulture, lieu sacré pour eux qu'ils ornaient plus ou moins suivant leurs moyens 63, Tantôt c'était un champ entouré de murs, comme aujourd'hui nos cimetières de village; tantôt c'était une sorte de Campo santo, comme on en voit de nos jours en Italie, avec des cippes de pierre et des inscriptions, avec des édifices pour la réunion des membres et pour les banquets funéraires ou un grand caveau rectangulaire garni de niches, columbaria, pour recevoir les urnes; autour des plantations et même parfois un domaine rural:

Une inscription a consacré la description (an 16 de l'ère chrétienne) de la sépulture du Collegium Silvani à Rome, collège funéraire composé d'affranchis qui devait en partie son cimetière à la libéralité de son patron. Le champ était clos par un portique garni d'un avant-toit; il était traversé d'un mur orné de marbres et de bas-reliefs et couvert en tuiles; il contenait un pavillon meublé d'une table, d'un buffet, d'un cadran solaire et d'une urne pour les bains; il était complanté de vignes et d'autres arbres fruitiers. Chaque famille y avait sa tombe, bustum. L'emplacement où l'on brûlait les corps, ustrina; était situé hors de l'enceinte 64.

Les collèges professionnels ne devaient pas, surtout dans les provinces, posséder d'ordinaire un immeuble aussi bien aménagé ni même avoir un cimetière particulier; chacun s'organisait suivant ses ressources. Mais tous honoraient leurs morts. En général les confrères suivaient le corps du défunt jusqu'à sa dernière demeure et accomplissaient la cérémonie funèbre.

Ils célébraient dans leur cimetière des fêtes générales à certaines époques et des fêtes spéciales en commémoration de la naissance des membres décédés; ils faisaient avec pompe des libations, des offrandes de fleurs et d'aliments sur les tombes et donnaient sur le lieu même un festin aux assistants.

Il n'était pas rare qu'un membre lègue à son collège une somme d'argent destinée à payer l'entretien de son tombeau et les honneurs qu'on rendrait à sa mémoire 65, ou qu'une famille fit au collège une donation pour le même objet: c'est le même sentiment, qui plus tard a inspiré aux catholiques la fondation de messes pour le repos de l'âme des morts.

Recettes et dépenses. — L'antiquité ne nous a légué aucun document de comptabilité qui permette de dresser le budget exact des recettes et des dépenses des collèges professionnels; mais elle nous a fourni des moyens de dire à peu près en quoi consistaient les recettes et les dépenses.

Les recettes des collèges se composaient des droits d'entrée, des cotisations qui paraissent avoir été payables par mois, des dons que faisaient en nature ou en argent les dignitaires, de certaines prestations auxquelles pouvaient être tenus les dignitaires et les simples membres, du produit du travail des esclaves quand les collèges en possédaient, du prix qui était payé à quelques collèges pour l'accomplissement de certains travaux, des rentes perpétuelles constituées à leur profil par donation ou testament, des revenus de leurs capitaux mobiliers ou fonciers, des cotisations spéciales que les membres devaient dans certaines circonstances et des libéralités qu'ils pouvaient faire volontairement, du produit des amendes, des héritages qui pouvaient leur venir de membres ou d'affranchis 66 morts sans héritier.

Les dépenses consistaient principalement dans la construction et l'entretien de la schola, c'est-à-dire du bâtiment ou de l'emplacement où se tenaient les assemblées, et du lieu de sépulture, des frais de culte, sacrifices, processions, jeux, festins; dans les frais de funérailles, dans les frais d'administration, dans les honneurs, statues, monuments, autels 67 élevés à des magistrats du collège ou de la cité, à des patrons, à des divinités, à l'Empereur.

Les collèges recevaient des dons et legs. Une loi de Marc-Aurèle avait établi la capacité à cet égard des collèges autorisés; dans les collèges non autorisés, c'étaient les membres qui pouvaient recevoir individuellement 68. Ces libéralités, assez fréquentes à en juger d'après les inscriptions, s'accumulant avec les années, ont dû rendre riches certaines corporations. On peut citer comme exemple une sportule de trois deniers donnée par un naute du Rhône à chacun des mariniers de ce fleuve 69 un legs de 10.000,sesterces (équivalant au poids de 2.500 francs) fait aux bateliers du Tibre qui devaient s'en partager l’intérêt 70; une somme de 10.000 sesterces donnée par Furius Primigenius aux charpentiers, à condition que le revenu fût dépensé annuellement dans un grand banquet 75; une somme de 10.000 sesterces aussi léguée aux dendrophores par Tutichylas pour offrir chaque année un sacrifice sur son tombeau, avec cette condition que, si le sacrifice n'est pas accompli avant la fête des 'Termes, la corporation paierait à l'État 10.000 sesterces 72. Autre exemple: Sextilius Seleucus dédie au collège des centonaires une statue de Cupidon sur un piédestal de marbre; il verse en même temps dans la caisse de la corporation 5.000 deniers (équivalant au poids de 3.600 francs), somme qui, placée à intérêt, doit produire 600 deniers (à raison de 12 0/0 par an, ce qui était la centesima usura), à distribuer aux centonaires chaque année, le 8 des calendes d'octobre, jour de la naissance de l'Empereur 73.

Au nombre des sources de revenu, il faut compter les successions des membres du collège qui mouraient sans laisser d'héritiers naturels et sans avoir fait de testament et les successions des affranchis du collège qui n'avaient pas d'héritiers légitimes.

Le collège pouvait être propriétaire d'immeubles productifs de revenu. Souvent il possédait, par achat ou par don, sa schola. Les inscriptions nous montrent tel collège recevant une citerne 74; tel autre, l'emplacement nécessaire pour construire la maison commune 75; tel autre le champ destiné à servir de cimetière 76.

Règlements intérieurs et caractère professionnel des collèges. — Nous ne connaissons pas les statuts et les règlements intérieurs des collèges professionnels. Les inscriptions ne nous ont transmis que certains faits particuliers aux personnes et les lois ne se sont occupées que de l'état civil des collèges et de leurs obligations envers M. Boissier et, après lui, M. Waltzing en. ont conclu qu'il n'y avait rien au delà de ce que nous savons. «Même dans les corporations ouvrières, dit M. Boissier, on s'associait avant tout pour le plaisir de vivre ensemble, pour trouver hors de chez soi des distractions à ses fatigues et à ses ennuis, pour se faire une intimité moins restreinte que la famille, moins étendue que la cité 77.» M. Waltzing ajoute: «En résumé, la religion, le soin des funérailles, le désir de devenir plus forts pour défendre leurs intérêts, pour s'élever au-dessus du commun de la plèbe, le désir de fraterniser et de rendre plus douce leur pénible existence, telles étaient les sources diverses de cet impérieux besoin d'association qui travaillait la classe populaire 78.»

Ce. sont assurément là des caractères essentiels des collèges professionnels de l'Empire romain. Mais sont-ce les seuls? Les corporations du moyen âge avaient aussi des banquets, un culte, le soin des Funérailles, mais d'ordinaire elles se réoccupaient surtout du métier. Est-il vraisemblable que des gens, exerçant la même profession et groupés de génération en génération durant plusieurs siècles dans des collèges auxquels la loi reconnaissait le droit de se donner librement à eux-mêmes telles règles qu'il leur plaisait, n'aient jamais songé à s'en occuper, à établir des règles relatives à leur travail et à exercer une certaine police professionnelle 79? Alexandre Sévère, en régularisant l’institution des collèges de marchands et d'artisans, ne leur a-t-il pas donné des défenseurs pris dans leur sein, n'a-t-il pas déterminé les tribunaux dont ils seraient justiciables et ces mesures n'impliquent-elles pas une certaine fonction professionnelle? Notre ignorance en cette matière doit se traduire non par une négation, mais au moins par un doute. Ce doute même ne peut subsister pour le IVe siècle pour certains collèges quand on connaît les conditions faites aux naviculaires et aux boulangers 80.

Ce qui est certain, c'est que nous ne voyons pas, sinon pour certaines professions dont il sera parlé dans le chapitre suivant, trace de monopole constitué comme au moyen âge .ni par conséquent de querelles entre les métiers, sauf une exception; ces querelles auraient sans doute laissé quelques traces dans les documents. Nous voyons au contraire, au Ve siècle, qu'à Rome des marchands grecs qui n'appartenaient pas au collège venaient faire une concurrence redoutable aux boutiquiers de la ville 81.

Mais comment entrait-on dans le collège? Était-ce de droit quand on exerçait le métier? Mais, puisqu'on était admis par élection, il faut reconnaître qu'il y avait un choix. Y avait-il limitation du nombre des membres? C'est possible; c'est même vraisemblable, parce que les dons et legs faits en vue d'une sportule auraient pu être réduits presque à rien si le nombre des bénéficiaires avait été indéfini 82.

Nous avons déjà posé, sans pouvoir y répondre, la question de savoir si les ouvriers en faisaient partie ou-si tous les membres étaient des patrons où artisans travaillant pour leur compte. S'il fallait choisir une hypothèse, ce serait la seconde que nous préférerions; mais il est vraisemblable, autant qu'on peut en juger d'après l'état général de l'industrie et d'après quelques bas-reliefs, qu'alors, comme au moyen âge, la plupart des gens de métier étaient de petits artisans.

Au IVe siècle, la condition n'était plus la même. L'exercice d'un certain nombre d'industries étant devenu peu à peu une fonction publique obligatoire, les membres des collèges furent plus ou moins étroitement astreints à les remplir et la réglementation professionnelle s'imposa évidemment. C'est ce que nous expliquerons dans le chapitre. suivant.

Les collèges professionnels en Gaule. — Tous les collèges n'étaient pas sur le même rang, de même que tous les métiers ne procurent pas également la fortune. Entre les naviculaires, qui étaient des armateurs, ou même les dendrophores, chargés d'un service public qui n'a pas été nettement défini, et les cordonniers ou les boulangers, la distance était grande, sans doute; les uns ne frayaient probablement guère avec les autres.

La Gaule, devenue riche par son commerce et son industrie, devait posséder un grand nombre de collèges à la fin du IIIe siècle; elle en possédait déjà au 1er siècle, bien avant l'édit d'Alexandre Sévère, comme le prouvent le monument élevé à Tibère par les nautes parisiens et de nombreuses inscriptions de Lyon et de la Narbonnaise. Nous n'avons pas de catalogue complet; il est cependant intéressant de recueillir les noms des collèges et même des métiers dont les inscriptions nous ont conservé le souvenir. M. Waltzing a donné une liste alphabétique de collèges qui comprend les centonaires 83 ; les dendrophores 84; les diffusores olearii 85; les ouvriers du bâtiment, fabri, qui ne font peut-être qu'un avec les tignuarii 86; les ouvriers en fer, fabri ferrarii 87; les fabri navales Pisani 88; les bouchers, lani 89; les naviculaires 90; les marchands de vin, negociatores vinarii 91; les fabricants de blouses en soie, sagari 92; les fabricants d'outres, utricularii 93.

Quoique le plus grand nombre des inscriptions funéraires ait été détruit, on trouve encore, grâce à elles, trace des collèges dans une vingtaine de villes de la Narbonnaise: c'est la région qui en possède le plus. On y trouve fréquemment des centonarii, des dendrophori, des fabri; on les trouve souvent associés sous un même patronage non seulement parce que ces métiers étaient très pratiqués, mais parce qu'ils étaient très souvent unis pour un même service, probablement celui des incendies. Nous reviendrons dans le chapitre suivant sur ces trois collèges.

Le métier d'utricularius était très pratiqué aussi dans la Narbonnaise, parce que les outres servaient à transporter le vin et l'huile 94.

Les professions étaient très diverses: les inscriptions en font foi 95. Que ceux qui les exerçaient appartinssent ou non à des collèges, ces témoignages indiquent une assez grande division du travail, sans indiquer toutefois l'existence de grandes industries. L'une n'implique pas nécessairement l'autre, quoiqu'elles soient souvent associées à la fin du XIXe siècle; mais la division du travail, avant l'introduction de la manufacture et de la machine, n'avait pas le même caractère qu'aujourd'hui.

Les inscriptions sont beaucoup plus rares dans les autres parties de la Gaule. On n'a même trouvé aucune mention de collèges, sinon de collèges de nautes, dans les régions situées au nord de la Loire et dit bassin de la Saône. Sur les pierres tombales trouvées dans ces régions il y a des désignations de métier et des bas-reliefs qui représentent le défunt dans l'exercice de sa profession; mais il n'est dit nulle part qu'i1 fût affilié à un collège. C'étaient pourtant des gens qui avaient joui d'une certaine aisance, puisque leur famille faisait les frais d'un monument coûteux. Faut-il en conclure que l'institution collégiale, qui avait été généralement adoptée dans la région, très romanisée, de la Narbonnaise et du bassin du Rhône, avait peu pénétré dans les provinces centrales et septentrionales où les mœurs de la vieille Gaule étaient demeurées plus vivaces et plus réfractaires à l'esprit romain? Cette opinion, qui s'appuie non sur des textes positifs, mais sur l'absence même de textes, peut être soutenue. L'existence de corporations de nautes ne l'infirme pas, parce que les commerçants qui font les transports prennent naturellement des habitudes plus cosmopolites que les artisans sédentaires. L'exemple du moyen âge prouve que les institutions de ce genre ne sont pas nécessairement universelles; il n'y avait pas des corps de métiers en France partout où il y avait de l'industrie.

Les nautes. — M. Mantellier a réuni les inscriptions latines de la Gaule relatives à deux espèces de collèges, les naviculaires et les nautes, qui avaient une importance particulière, les premiers étant des armateurs qui faisaient le commerce maritime, les seconds, des bateliers qui entreprenaient les transports sur les rivières et même par terre 96. Outre huit inscriptions de naviculaires dont il sera parlé dans le chapitre suivant, il a cité trente inscriptions de nautes ou d'utriculaires (car il considère les utriculaires comme des agents de transport) habitant Lyon, Valence, Tournon, Arles, Nîmes, Cavaillon, Antibes, Agen, Lutèce, Genève, Nantes, et opérant sur le Rhône, la Saône, l'Isère (avec des radeaux), l'Ardèche, l'Ouvèze, la Durance, la Loire, la Seine 97. Le Rhône et la Saône constituaient évidemment la grande voie commerciale, celle qui, de la Méditerranée pénétrait en ligne droite jusqu'au nord de la Gaule, dans le voisinage de la Seine et du Rhin. Il est étonnant qu'on n'ait pas trouvé d'inscriptions relatives à la Garonne; cependant il y avait des nautes à Narbonne 98. Pour le nord, on sait qu'il y en avait sur la Moselle 99 et probablement sur le Rhin 100.

Notes

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