Le travail dans les domaines seigneuriaux
Les Francs Saliens, chez lesquels l'industrie était peu développée, n'admettaient pas entre les esclaves les mêmes distinctions que la loi burgunde:elle frappait également d'une amende de 70 sous quelconque enlevait à un maître son esclave, porcher, vigneron, chasseur ou artisan quelconque 4. Il en est de même chez les Ripuaires; mais le wehrgeld ne s'élevait plus qu'à 36 sous pour l'esclave, tandis qu'il était de 200 sous pour l'homme libre 5. Ces différences sont un indice de la différence de condition que les conquérants de la Gaule faisaient aux serfs et à l'industrie.
Parmi ces esclaves, il y avait des Romains et des Germains. À la suite des expéditions de Charlemagne au delà de l'Elbe, il y eut beaucoup de Slaves, l'empereur ayant dépeuplé des cantons et transporté la population prisonnière en Gaule: de là peut-être est venu le mot esclave. On y trouve des hommes de toute profession, panetiers, échansons, monnayeurs, ouvriers en fer, en argent, en or, en bois, cuisiniers, boulangers et autres 6. Nous savons que lorsqu'une troupe armée, au temps des premiers Mérovingiens, traversait une contrée ennemie, il arrivait souvent qu'une partie de la population était réduite en captivité et ensuite vendue. Il arrivait aussi, quand elle s'établissait dans le pays, qu'une autre partie, sous la pression de la misère, finissait par se soumettre, sous diverses condition, à quelque homme puissant.
De temps à autre s'élevait la voix d'un pieux pasteur, évêque ou abbé, qui rappelait l'égalité devant Dieu des hommes rachetés par le sang du Christ 7; l'institution servile ne subsistait pas moins. Les églises et les abbayes avaient elles-mêmes des esclaves 8. Toutefois le seul fait de bénir leur mariage comme celui de tout chrétien finit par établir une différence notable entre l'esclavage du moyen âge et celui de l'antiquité. Plus tard même l'Église proclama la doctrine de l'indissolubilité du mariage des esclaves. D'autre part, la religion recommandait l'affranchissement et beaucoup de maîtres affranchissaient en effet par piété les esclaves 9.
Cependant peu à peu les distinctions s'atténuèrent entre les colons libres et les esclaves comme entre les Romains et les barbares. Au IXe et au Xe siècle les esclaves cultivant une terre se confondirent presque avec les colons libres comme les colons libres avec les esclaves.
En même temps, la race des hommes libres, épuisée d'une part par le service militaire, absorbée d'autre part par la puissance croissante des grands propriétaires 10, dépérissait. On avait vu aussi s'accomplir sous la République romaine une substitution du travail servile au travail libre, mais dans des conditions tout autres; en Italie, les conquêtes avaient accumulé les richesses et développé la grande propriété, le luxe et le commerce; dans la Gaule devenue le royaume des Francs, les invasions avaient aggravé la misère, paralysé le commerce et ramené les domaines ruraux à une industrie purement domestique.
La condition des personnes dans la villa et l'exploitation. — Il s'opéra, comme nous l'avons montré, dès le temps des Mérovingiens un changement profond non dans la nature de la villa d'abord, mais dans le groupement des populations. Durant la période dite des invasions, les paroisses rurales se sont constituées et multipliées, soit dans les villas des grands propriétaires, soit dans des lieux nouveaux où les défrichements fixaient des colons et où le commerce créait des marchés. Du VIIIe au IXe siècle, les capitulaires et les conciles mentionnent à plusieurs reprises la fondation d'églises dans des villas sur le territoire des abbayes, dans des contrées où la prédication des moines convertissait les populations restées jusque-là païennes et dans celles où leur travail éclaircissait les forêts et défrichait le sol, comme dans les Vosges, les Ardennes, la Champagne, la Flandre. Les villæ novæ du moyen âge, comme, celles de l'époque romaine, aspiraient à être des groupes complets ayant non seulement leurs laboureurs et leurs bergers, mais leurs artisans et leur marché, leur église et leur prêtre et capables de suffire aux besoins de l'existence sans être obligées de recourir aux autres groupes souvent très éloignés. Avant le IXe siècle, on trouve rarement la mention d'une église dans une villa; à partir du IXe siècle, on la trouve très souvent 11.
Nous savons que la propriété rurale ne subit pas, légalement du moins, une transformation aussi radicale que les événements politiques pourraient le faire supposer. Il est certain cependant qu'il fallut faire place aux vainqueurs et que, par concession, spoliation ou meurtre, des chefs barbares devinrent maîtres d'une partie des terres:les noms des propriétés d'origine germanique aussi bien que d'origine latine qu'on lit dans les chartes du VIIIe et du IXe siècle suffisent à prouver que cette place a été faite. Le nombre des grands domaines augmenta, les uns par la conquête et la violence, les autres par des donations ou des achats, les princes et les grands ayant l'habitude de récompenser leurs serviteurs par des dons de terres et les fidèles de léguer aux églises une partie de leur bien-fonds pour racheter leurs péchés 12. Quatre siècles après le commencement des invasions, la plus grande partie de la propriété territoriale avait assurément passé dans beaucoup de parties de la France aux mains des hommes de guerre et du clergé et les anciens petits propriétaires n'y étaient plus pour la plupart. que des colons.
Sous les Mérovingiens, on ne connaissait encore que la villa 13; c'est sous le nom de villa que Charlemagne désigne ses propriétés 14. Un riche pouvait avoir beaucoup de villas ou de portions de villas qu'il faisait administrer par ses intendants; car la villa n'était pas une unité de culture immuable, mais un domaine désigné par un nom particulier qui pouvait être divisé par des ventes ou des héritages 15.
Comme à l'époque romaine, ce domaine se divisait en deux parties, le dominicum 16 réservé au maître et les manses cultivés par ses hommes 17. Il n'était pas nécessairement d'un seul tenant.
Le dominicum, exploité directement par le propriétaire ou pour son compte, comprenait d'ordinaire, outre des terres de labour, des bois, des vignes; la plus grande partie consistait en bois parce qu'ils étaient d'une facile exploitation et qu'ils procuraient le plaisir de la chasse.
Les manses tributaires se composaient souvent d'une pièce de labour, d'un pré, quelquefois d'un quartier de vigne en une ou plusieurs parcelles. Il y avait diversité dans l'étendue des manses:c'étaient néanmoins toujours de petites exploitations, en moyenne 7 à 10 hectares sur les terres de Saint-Germain-des-Prés 18. Souvent plusieurs ménages vivaient sur un manse quoiqu'il ne constituât qu'une exploitation; quelquefois le manse était divisé et un exploitant n'en occupait que la moitié et même le tiers ou le quart 19.
Les manses (au IXe siècle) étaient de condition diverse:manses ingenuiles, manses lidiles, manses serviles. Il y avait, en outre, des hospices, petites tenures concédées ordinairement à des étrangers auxquels le maître avait donné asile 20. Ces distinctions territoriales ne correspondaient pas toujours exactement à la qualité des personnes; sur les terres de Saint-Germain-des-Prés, on trouve quelques familles de lides et de serfs sur les manses ingenuiles et. inversement. Chaque manse avait sa sella, habitation du ménage ou des ménages attachés à l'exploitation.
La casa dominica était habitée par le seigneur ou par son intendant. Sans doute, au IXe siècle, elle n'avait plus le même luxe d'architecture et d'ameublement que les villas des riches Gallo-Romains. C'étaient probablement de grandes fermes avec un corps de logis principal pour le maître, les bâtiments latéraux pour les services agricoles, les ateliers et le gynécée, une cour centrale et autour des murs enveloppant le tout. Près de là une chapelle où un prêtre, doté par le propriétaire d'un ou deux manses, officiait pour les manants de la villa. A proximité de la casa et étaient, comme du temps des Romains, le verger et le potager.
La villa était habitée par des esclaves 21, des affranchis et des hommes libres.
Parmi les esclaves, les uns étaient attachés au service personnel de la casa dominica, d'autres cultivaient des manses.
On disait de ces derniers qu'ils étaient casati, casés 22; quoiqu'ils fussent serfs, les services personnels et les redevances qu'ils avaient à payer étaient le plus souvent fixés par la coutume et ne paraissent pas avoir pesé sur eux d'un poids écrasant 23. La femme du serf casé avait aussi ses redevances à payer en travail ou en argent mais elle restait dans son ménage et n'appartenait pas au gynécée comme l'esclave ordinaire.
Les enfants restaient aussi dans la famille et, comme aucune obligation ne leur était imposée, c'était à la famille que le travail profitait. C'était à eux ou à l'aîné d'entre eux que revenait le manse à la mort du père, sans qu'il y eût à cet égard un droit strict.
Comme les serfs, les affranchis avaient ordinairement des lots de terre qu'ils devaient à la libéralité de leur maître et sur lesquels ils vivaient 24; ils payaient les redevances stipulées comme faisaient les colons. Mais l'affranchi restait, comme dans l'antiquité, lié ainsi que sa postérité à son maître qui héritait de lui s'il mourait sans enfants et qui pouvait le faire ramener dans certains cas à la condition servile; les lides étaient des affranchis d'un genre particulier 25.
Les colons étaient des hommes libres qui pouvaient posséder en propre des biens meubles et même fonciers, mais qui ne pouvaient pas quitter la terre qu'ils cultivaient ni se soustraire aux obligations qu'elle leur imposait. Le colon qui s'enfuyait était ramené de force. Le manse dont il avait la tenure passait à ses héritiers; il le cultivait comme il voulait à condition d'en acquitter les charges, lesquelles étaient invariables 26. D'ailleurs il pouvait arriver, comme on le voit par l'exemple de Saint-Germain-des-Prés, qu'un ingénu, c'est-à-dire un colon cultivât un manse servile ou un serf un manse ingenuile; toutefois c'était une exception.
Colons et serfs casés devaient pour la plupart des journées de travail au seigneur qui exploitait son domaine propre à l'aide de leurs bras, indépendamment du travail que lui fournissaient ses serfs domestiques. La somme de ce travail était tantôt déterminée, tantôt laissée à la discrétion du maître 27.
Il se rencontrait aussi dans les villas des hôtes, c'est-à-dire des étrangers à qui le seigneur avait accordé, mais à titre révocable, un lopin de terre, et des hommes libres qui exerçaient un métier ou qui cultivaient une terre en payant certaine redevance, sans être retenus dans les liens du colonat. Ce cas d'ailleurs paraît avoir été rare.
En réalité, entre le serf, l'affranchi, le colon, même l'hôte et l'homme libre, la différence de condition ne paraît pas avoir été au fond très grande; tous étaient soumis au seigneur du domaine dont ils étaient les manants, ni manentes; ils étaient en son pouvoir, homines potestatis, comme on dit plus tard. Le seigneur (car on le nomme déjà alors senior) prélevait sur eux des redevances comme propriétaire pour la location de son sol, comme maître relativement à ses esclaves, comme souverain pour l'administration du domaine. Il leur rendait la justice soit par lui-même, soit par son major, nom qui se substituait peu à peu à celui de villicus 28.
Dans beaucoup de cas même le comte n'avait pas le droit de pénétrer sur la terre du seigneur pour y rendre la justice en substituant son autorité à celle du propriétaire 29.
Les domaines de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés. — Le document le plus étendu et le plus instructif sur l'organisation de la propriété et de la culture qui soit parvenu jusqu'à nous est le Polyptyque des domaines de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés dressé par ordre de l'abbé Irminon. Nous devons en donner une brève analyse afin de faire mieux comprendre cette organisation.
L'abbaye avait été fondée en 543 sous l'invocation de sainte Croix et saint Vincent par Childebert 1er, à un demi-kilomètre environ de la pointe de l 'île qui contenait alors à peu près tout Paris. Elle avait pris le nom de Saint-Germain-des-Prés lorsque le corps de l'évêque de Paris Germain y eut été déposé (en 576) 30 et, après avoir d'abord suivi la règle de saint Antoine et de saint Basile, elle avait adopté celle de saint Benoît. Elle avait été dotée de très nombreux domaines par les rois mérovingiens et par la piété des particuliers et elle était très riche en terres au commencement du IXe siècle. On ne sait pas quels étaient le nombre et l'étendue de ses domaines dont la plus grande partie paraît avoir été située dans le diocèse de Paris, mais qui s'étendaient bien au delà des limites de ce diocèse, certaines terres se trouvant jusque par-delà la Loire dans le pays chartrain, l'Anjou, le Berri, la Saintonge actuels. Ils se composaient de fiscs, c'est-à-dire de propriétés administrées directement par l'abbaye et dont l'abbaye percevait les revenus, et de bénéfices, c'est-à-dire de propriétés concédées en viager à des vassaux qui avaient la jouissance des revenus.
Il paraît que pendant la période de la constitution féodale, beaucoup de bénéfices, transformés en fiefs; échappèrent à l'abbaye par suite soit de libéralités que firent souvent des abbés laïques au Xe et au XIe siècle, soit d'usurpations par les bénéficiés durant cette période de dissolution de pouvoir central 31.
Dans le premier quart du IXe siècle, probablement vers 820-826, l'abbé Irminon 32, après avoir reçu sous serment les déclarations des hommes du domaine, fit dresser le Polyptyque de Saint-Germain, c'est-à-dire selon la définition d'un historien contemporain, «l'état des revenus de toutes les terres de Saint-Germain, jusqu'à un œuf et un poulet, jusqu'à un bardeau, et il a réglé la part que les moines auraient pour leur usage et celle que l'abbé devait se réserver en propre ou pour l'armée du roi 33».Ce polyptyque, a été en partie détruit 34; nous n'en possédons que la moitié environ, laquelle a été éditée avec de savantes introductions, par Guérard pour la première fois, et par M. Longnon pour la seconde fois. Cette moitié comprend 24 fiscs et 2 bénéfices et embrasse une superficie évaluée, à l'aide de plusieurs hypothèses, à 36.600 hectares. La totalité des fiscs, non compris les bénéfices 35, dépassait donc peut-être 70.000 hectares 36.
Le fisc était un ensemble de biens-fonds dépendant d'une même administration; il se distinguait à cette époque de la villa qui était un groupe d'habitations et qui commençait à être souvent synonyme de village. Un fisc pouvait comprendre plusieurs villas; l'étendue d'ailleurs des fiscs de Saint-Germain-des-Prés était très diverse, la plupart étaient formés d'exploitations d'un seul tenant; quelques-uns se composaient d'exploitations éparses. Administrativement les fiscs relevaient de la circonscription du pagus dans laquelle ils étaient situés.
Les 24 fiscs connus de Saint-Germain-des-Prés étaient disséminés dans les environs de Paris, depuis Palaiseau jusqu'à Montereau et Château-Thierry. Chaque fisc se composait du manse seigneurial, mansus dominicus ou fiscus dominicus, et de manses tributaires 37. Le manse seigneurial, tantôt plus grand et tantôt plus petit, comprenait en moyenne 252 hectares de terres labourables et, en outre, des prés et des vignes; il était cultivé directement par l'abbaye et à son profit. Aux 6,400 hectares ainsi exploités il convient d'ajouter environ 11,000 hectares de forêts que l'abbaye s'était réservés en propre, ne donnant à ses tenanciers que de très petites étendues boisées.
En second lieu étaient les manses tributaires. Le Polyptyque en énumère 1646, dont 1430 manses ingenuiles, 25 manses lidiles, 191 manses serviles et, en outre, 71 hospices 38. La superficie moyenne des manses tributaires ingenuiles n'était, bois compris, que d'une dizaine d'hectares; celle des manses serviles atteignait à peine 7 hectares 1/2; les hospices n'étaient en moyenne que de 1 hectare 1/2. Au total les manses tributaires et hospices occupaient 17,017 Hectares.
Les manses tributaires étaient occupés par 2,788 ménages composés d'environ 10,000 personnes 39. Avec les 71 ménages des hospices, on atteint le chiffre de 10,282 personnes.
Les habitants de ces manses étaient des hommes libres ou des colons, les uns et les autres étant sous la juridiction de l'abbaye, lui payant des redevances et vivant à peu près dans la même condition, quoique le colon fût, comme au temps des Romains, attaché-à la terre et vendu avec elle; des lides, dont la condition tenait le milieu entre celle du colon et celle du serf et qui devaient certaines redevances spéciales; enfin, des serfs. Plus des sept huitièmes des terres des manses tributaires étaient occupés par des hommes libres ou des colons; les manses serviles ne formaient que 1,420 hectares sur un total de 17,017 et les manses lidiles que 344 hectares. Il y avait des serfs qui occupaient des manses ingenuiles; quelques-uns même étaient propriétaires de terres.
La culture. — Le Polyptyque de l'abbé Irminon nous donne quelques renseignements sur la culture au IXe siècle, qu'il est bon de consigner en passant. En premier lieu, on voit que les forêts occupent une plus large place en France que de notre temps:les deux cinquièmes environ du domaine tandis qu'aujourd'hui, elles forment un peu moins d'un cinquième de la superficie totale de la France 40. En second lieu, on voit que l'abbaye s'est réservé presque complètement les forêts, expression vague qui désignait des terrains à peu près vides en même temps que des terrains boisés:99,1 pour 100 de la surface boisée, tandis qu'elle n'exploite directement que 27,3 pour 100 des terres de labour, mais qu'elle a proportionnellement plus de prés et de vignes que de terres labourables, qu'elle fait cette exploitation directe (en partie au moins) à l'aide des corvées de ses tributaires. L'exploitation des bois était facile; un employé spécial, forestarius, en était chargé dans chaque fisc; les seigneurs se réservaient les bois, particulièrement à cause de la chasse. En -troisième lieu, on constate que la proportion des prés relativement aux terres de labour est très faible, 2,3 pour 100:ce qui semble indiquer que le domaine entretenait peu de bétail. Toutefois, les forêts devaient fournir un supplément de nourriture aux animaux 41.
Cependant les redevances payées par les tributaires consistaient beaucoup plus en viande qu'en céréales; les moutons figuraient au premier rang dans le total des redevances, après l'argent.; puis l'épeautre, les porcs, les bardeaux, échalas et voliges viennent par ordre d'importance; ensuite le vin, les bœufs, les poulets, les chevaux et les œufs; ces produits, qui sont principalement ceux des manses ingenuiles, donnent une idée du ménage de la ferme 42. En quatrième lieu, on voit par ces redevances qu'on récoltait beaucoup plus d'épeautre que de froment. L'assolement paraît avoir été quelquefois biennal avec jachère, plus souvent triennal, un tiers des terres en froment, épeautre ou avoine d'hiver, un tiers en blé de mars et un tiers en jachère. On donnait trois ou quatre labours à la terre pendant la jachère; on marnait parfois; on fumait en brûlant les chaumes ou en épandant du fumier.
En dernier lieu, au sujet de la population et bien que l'insuffisance des données ne permette aucune affirmation, les familles semblent n'avoir pas eu alors plus d'enfants vivants qu'elles n'en ont aujourd'hui. Cependant on peut conjecturer que la densité était un peu plus forte que celle de la population rurale actuelle dans la même région 43.
Les ateliers. — L'organisation était toute rurale, tel était le caractère des grands domaines de cette époque. Elle faisait pourtant une place à l'industrie domestique qui nous intéresse principalement dans cet ouvrage. «Il y avait encore, dit M. Longnon, soit dans les maisons, soit dans les terres de Saint-Germain, beaucoup d'emplois, confiés tant à des laïcs qu'à des ecclésiastiques, dont il n'est pas fait mention dans le Polyptyque d'Irminon. Il y avait aussi, dans la dépendance de l'abbaye, une population nombreuse, en grande partie servile, qui exerçait les arts et les métiers nécessaires à la vie.» Il est vraisemblable que la plupart de ces artisans étaient établis sur les terres, et surtout dans les manses seigneuriaux de l'abbaye de Saint-Germain, et fabriquaient les objets nécessaires à l'agriculture, à l'économie domestique et généralement tout ce qui servait aux besoins des moines; mais, comme ces artisans n'entraient dans la description des fiscs qu'autant qu'ils tenaient quelque fonds de l'abbaye, il ne s'en trouve qu'un petit nombre qui soient désignés 44.
L'organisation des fiscs ressemblait en cela à celle de la villa:romaine; elle comprenait des. ateliers d'hommes et de femmes qui devaient d'ordinaire être situés dans le manse seigneurial. Charlemagne recommandait qu'il y eût dans ses fermes de bons ouvriers, des forgerons, des orfèvres, des cordonniers, des tourneurs, des charpentiers, des armuriers, des oiseleurs, des savonniers, des brasseurs, des boulangers, des fabricants de filets; et, ajoutait l'empereur, «tous les autres artisans qu'il serait trop long d'énumérer 45».
Quand ces ateliers dépendaient d'un monastère, ils étaient d'ordinaire dans l'intérieur du cloître, séparés des bâtiments qu'occupaient les moines.
Très souvent aussi les colons des manses tributaires, sans être réunis en atelier, devaient:fournir à l'abbaye certains produits fabriqués. C'est ainsi qu'on voit un faber cultivant un demi-manse qui devait comme tribut 6 lances par an 46; une serve dont le mari était colon et cultivait un manse ingenuile, tenue de fournir chaque année un sarcilis, pièce d'étoffe dont la laine lui était fournie par l'abbaye, ou de payer 12 deniers 47.
L'administration du fisc était confiée à un villicus ou major qu était un colon, mais qui était, quelle que fût sa condition, vendu avec la terre. Diverses fonctions sont attribuées à d'autres employés, ministeriales, au doyen, decanus, au cellerier, au forestier, au meunier.
Une règle du XIIe siècle recommande de placer les ateliers près de la chapelle, à quelque distance des bâtiments occupés par les moines, mode de construction qui mettait les ouvriers et les outils à l'abri de la violence et du vol et permettait de mieux surveiller le travail 48.
Dans l'intérieur du monastère de Corbie, il y avait trois grandes pièces destinées aux artisans:dans la première se trouvaient trois cordonniers, deux savetiers et un foulon; dans la seconde, six -forgerons, taillandiers et serruriers, deux orfèvres, deux cordonniers, deux armuriers, un parcheminier,-un fourbisseur et trois fondeurs; dans la troisième, trois ouvriers dont la profession n'est pas indiquée.
Hors du monastère, il y avait à la porte Saint-Aubin: quatre charpentiers et quatre maçons; dans le voisinage, douze serfs attachés au moulin et sept à la sellerie et à la charbonnerie 49. Le total, sans compter deux médecins et de nombreux serviteurs employés aux champs, à la boulangerie, à la brasserie ou à la cuisine, était de cinquante-trois artisans dépendant de l'abbaye et faisant à peu près tous les gros ouvrages nécessaires à la communauté.
Dans la villa de Sithieu appartenant à l'abbaye de Saint-Bertin, un inventaire dressé vers l'an 850 énumère les travaux pratiqués par les esclaves, les ingénus, les tributaires des deux sexes:monture du blé, fabrication du pain, du drap, des robes de moines, des camisoles, des chemises, des coupes, flacons et autres vases, des chariots 50.
Les gynécées. — Les travaux plus délicats, tels que la filature et le tissage du lin et de la laine, la teinture des étoffes, le blanchissage et la confection des vêtements, étaient réservés aux femmes 51. Leurs ateliers avaient conservé l'ancien nom de gynécées. Dans les domaines seigneuriaux, ils étaient placés la plupart du temps auprès de la maison du maître, dans la cour du château; mais dans les monastères, ils devaient se trouver hors des murs du cloître. Un gynécée de l'abbaye de Nideralteich comptait vingt-deux personnes, femmes et enfants 52; celui de Stephanswert, qui appartenait à Charlemagne, renfermait vingt-quatre serves 53. C'est dans le gynécée que devait se tenir la femme du seigneur germain; quand elle s'en éloignait pour se mêler aux affaires publiques, les anathèmes de l'Église l'y rappelaient aussitôt 54; elle partageait sans doute les occupations de ses esclaves et leur distribuait elle-même leur tâche.
Dans les abbayes et dans les grands domaines, c'était un intendant, villicus ou major, qui présidait aux travaux des femmes; il leur fournissait la laine, le vermillon; la garance, les peignes, les cardes, le savon, les vases, en un mot tous les instruments de travail 55. Après un temps fixé, les ouvrières devaient rendre de la toile tissée ou des vêtements confectionnés que l'intendant faisait remettre ensuite à son maître 56.
Elles paraissent cependant n'avoir pas toujours été astreintes à des travaux continus. Dans le Maine, les serfs, ecclésiastiques ne faisaient que trois jours de corvée par semaine et la même coutume existait dans certaines parties de l'Allemagne où les femmes du gynécée travaillaient trois jours pour le seigneur et trois pour elles-mêmes 57.
Ces ateliers devenaient quelquefois des lieux de débauche:les femmes y manquaient de la considération qui donne la dignité morale, et d'ailleurs elles dépendaient d'un maître qui pouvait abuser d'elles. La loi avait fait de vains efforts pour les protéger contre la violence et contre le libertinage; chez les Francs, elle avait imposé une amende de 62 sous 1/2-à celui qui faisait avorter une serve en la frappant 58; chez les Allemands, elle condamnait à une imposition de 3 sous celui qui violait une femme du gynécée; de 6 sous, si la femme était directrice de l'atelier 59; plus tard, elle éleva la somme à 6 sous pour tout attentat contre une serve quelconque du gynécée d'autrui. 60. Le mot de femme de gynécée, genitiaria, n'en était pas moins devenu, au IXe siècle, synonyme de courtisane 61. On condamna d'abord aux travaux du gynécée la religieuse qui avait enfreint son vœux de chasteté; bientôt on défendit même d'appliquer cette peine, «afin, dit la loi, que celle qui s'est livrée à un homme n'ait pas ensuite la facilité de se livrer à plusieurs 62».
Location ou cession et redevances industrielles des serfs. — Le serf ne demeurait pas toujours sur la terre ou dans l'atelier du seigneur. Quelquefois son maître l'envoyait en apprentissage chez un habile ouvrier 63; quelquefois il lui permettait d'exercer publiquement son métier, et il en partageait avec lui les profits, usage qui existait chez les Romains. Le serf restait dans la même servitude, ne pouvant ni emprunter de l'argent ni se marier sans permission et, sauf exception, ne possédant rien en propre. Le maître répondait des actes de son serf; il devait acquitter ses dettes ou livrer le débiteur à son créancier 64; il disposait entièrement de sa personne et pouvait, à son gré, le vendre ou le donner. Quand Ebbon fit reconstruire l'église de Reims, il demanda à Louis le Débonnaire son architecte Rumoald, qui avait une grande réputation d'habileté, et le prince généreux, s'empressa d'envoyer son serf, qu'il donna en toute propriété à l'église de Reims pour la servir le reste de sa vie 65.
Les manants des manses tributaires, colons, affranchis, ou serfs devaient, comme le serf de la maison seigneuriale, une partie de son travail au propriétaire. Mais, la personne des colons n'était pas entièrement abandonnée à sa discrétion et l'usage limitait en général les services des serfs casés. Les uns et les autres le plus souvent payaient certaines redevances fixes: c'était une sorte de loyer de la terre acquitté en corvées, en argent et en produits agricoles ou industriels 66. Les corvées avaient presque toujours pour objet la culture; c'étaient des champs à labourer ou à enclore, des moissons à couper, des transports à faire par terre ou par eau 67. Les produits agricoles étaient des chevaux, des bestiaux, de la volaille, du bois, de la farine et des céréales. Les produits industriels étaient ordinairement ceux que les cultivateurs fabriquent eux-mêmes quand la terre ne réclame pas leurs bras 68. On leur demandait, ainsi que nous l'avons vu dans les domaines de Saint-Germain-des-Prés, du fer 69, des poutres, des voliges, des douves et des cercles de tonneaux, du lin filé, des pièces de toile dont on leur fournissait la matière 70, des nappes 71 et quelquefois des tuniques, des chemises et d'autres vêtements 72. Sur les terres de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés, un forgeron nommé Hermenulf, qui occupait un demi-manse, donnait par an pour son loyer six fers et six bois de lance. Deux autres ouvriers de la même profession, Hadon et Aitoin, fournissaient aussi des armes, et le charron Adalbert devait un char et deux tonnes 73. L'intendant était chargé de percevoir les redevances dans les manses tributaires comme dans les manses seigneuriaux, et il prélevait un droit sur chaque objet; à Furden, il avait le douzième des chemises fabriquées et fournies par les femmes des tenanciers 74.
Les serfs des églises et ceux des terres royales paraissent avoir été un peu mieux traités que les autres. D'après certaines lois les serfs du clergé ne pouvaient pas tomber entre les mains d'un laïc:ils devenaient libres en cessant de servir l'Église 75: privilège qui avait pour effet de protéger la propriété ecclésiastique. Chez les Visigoths les serfs royaux possédaient eux-mêmes des serfs qu'ils pouvaient affranchir avec le consentement du roi 76; Charlemagne, dans son capitulaire de Villis, recommandait que ses gynécées fussent toujours entretenus en parfait état, entourés de haies et munis de portes, afin que les ouvrières pussent bien travailler 77; il voulait qu'on rendît à tous ses gens pleine et exacte justice 78, et il légua par son testament le douzième de son argent et de son mobilier à ceux qui servaient dans le palais 79.
L'exploitation de tous les domaines seigneuriaux de la France n'était assurément pas calquée sur celle de l'abbaye de Saint-Germain ni des quelques autres exemples que nous avons cités; il y avait bien des situations et des types divers. D'autre part, ces types ne sont pas demeurés immuables du IXe au XIe siècle. Ainsi que nous l'avons déjà fait remarquer, les distinctions personnelles d'ingénus, colons, serfs s'effacèrent de plus en plus avec le temps; il resta surtout des serfs. Mais ces serfs, qu'ils fussent attachés à une culture ou qu'ils vécussent dans la domesticité du maître, continuèrent à vivre pendant ces siècles à peu près dans la même sujétion, tributaires et taillables, corvéables soit à merci, soit dans des limites fixées par la coutume, occupés à tous les genres de travaux domestiques et approvisionnant le seigneur et ses gens non seulement de denrées, mais en très grande partie de produits industriels.
Notes
1. Burgundio et Romanus una conditione teneantur. Si quis servum natione barbarmi occiderit, V lectum ministerialem sive expeditionalem PLV solid. inferat:multæ autem nomine sol. XII. Les Burg., X, I: — Si quis servum aut ancillam valentem sol. XV aut XXV furaverit, aut vendiderit, seu porcarium, aut fabrum, sive vinitorem, vel molinarium, aut carpentarium, sive venatorem, aut quemcumque artificem IIDCCC den, qui faciunt sol. LXX culp. jud. exc. cap. et dit. Lex salica, XI, 5.
2.. Voir Guizot, Des Inst. pol. en France du Ve au Xe siècle, ch. II, 2.
3. …II. Si alium servum romanum, sive barbarum aratorem àut porcarium occiderit, XXX sol. solvat.
III. Qui aurificem lectum occiderit, CL sol. solvat.
IV. Qui fabrum argentarium occiderit, C sol. solvat. V. Qui fabrum ferrarium occiderit. L sol. solvat.
VI. Qui fabrum carpentarium occiderit, XL sol. solvat. Lex Burg., X.
4. Lex salica, XI, 5.
5. Si quis servum fecerit, XXXVI sol. culp. jud.; aut si negaverit, cum V1 juret quod hoc non fecisset. Lex Rip., VIII.
6. Guérard, Polypt. de l'abbé Irminon, Proleg. p. 134.
7. Au IXe siècle, dit M. CL. Jannet (p. 164), Semaragde abbé de Saint-Michel écrivait dans la Via regia adressée à Louis le Débonnaire:«Ordonnez, ô roi très clément, qu'en votre royaume on ne fasse plus d'esclaves, qu'on traite avec douceur ceux qui sont en servitude et qu'on les rende libres.»
8. M. CL. Jannet (les Grandes époques de l'hist. économique) cite (p. 163) l'église de Marseille.
9. Fustel De Coulanges (op. cit., p. 317) dit que dix-sept formules d'affranchissement sont parvenues jusqu'à nous et cite la suivante:«J'ai pensé que pour le repos de mon âme, je devais rendre libre un mien esclave portant tel nom et l'affranchir du joug de la servitude, à cause de sa longue fidélité. En conséquence, je t'accorde l'entière ingénuité, afin que tu sois comme les autres ingénus, que tu vives pour toi et que tu travailles pour toi.»
10. Il arrivait que des hommes libres, possédant un petit champ, étaient réduits par la misère à se faire esclaves d'un riche voisin Formulæ andegavenses, 25. Voir Fustel De Coulanges, op. cit., p, 259.
11. Voir l'article de M. Imbart De La Tour dans la Revue historique, mai-juin 1896.
12. Voir les premiers volumes de D'Achery, Spicilegium; Martène et Durand, Amplissima collectio, etc.
13. Voir Fustel. De Coulanges, Hist. des inst. politiques de l'ancienne France. L'alleu et le domaine rural pendant l'époque mérovingienne, pp. 203, 229.
14. On disait quelquefois curtis (cour), fiscus (fisc), marca (marche).
15. On voit par le testament de Vigilius qu'il possédait cinq villas entières et vingt-sept portions de villas. Fustel De Coulanges, op. cit., p. 252. La partie conservée du Polyptyque de l'abbé Irminon, qui n'est guère que la moitié du manuscrit complet, décrit vingt-quatre villas ou fiscs.
16. Dit aussi casa dominicata ou indominicata mansa., dominica, sala ou terra salica.
17. Chez les Germains, d'après Tacite (Germania, 25), chaque esclave rural avait son lot de terre à cultiver et sa demeure. Les Germains n'eurent donc pas de peine à s'accoutumer en Gaule à ce mode d'amodiation. Les polyptyques de la période carolingienne indiquent nettement la division en deux parts. «L'unité de propriété était la villa:l'unité de tenure était le manse» dit Fustel De Coulanges, op. cit., p. 367.
18. 10 hectares pour les manses ingenuiles et 7 pour les manses serviles.
19..Leodardus tenet quartam partem de manso. Polypt. de l'abbé Irminon, 11, 82 bis, 114.
20. L'étendue moyenne sur les terres de Saint-Germain-des Prés n'était que de 2 hectares 1/2.
21. Désignés sous les noms de mancipia servi, servæ ancillæ, même vassi, mot d'origine germanique.
22. Les serfs non casés étaient, au commencement du IXe siècle, considérés comme des biens meubles, les serfs casés comme des immeubles. Fustel De Coulanges, op. cit., p. 578.
23. C'est ce qu'établit Fustel De Coulanges (op. cit., p. 383) par des exemples empruntés surtout au Polyptyque de l'abbé lrminon. En général les seigneurs demandaient plus de services personnels aux tenanciers des manses serviles et plus de redevances en nature ou en argent à ceux des manses ingenuiles. Voir E. Levasseur, la Population française; t. I, p. 129.
24. «Je veux, écrit Abbon, que l'esclave Jocus, qui occupe une culture de colon, soit affranchi en vertu du présent testament et qu'il continue à tenir la même culture d'affranchi; mais qu'il obéisse au monastère que je fais héritier du domaine.» Fustel De Coulanges, op. cit., p. 397.
25. Dans le Polyptyque de l'abbé Irminon ce sont les familles de colons qui forment la majorité :
Ménages de personnes libres > 8
Ménages de colons > 2080
Ménages de lides > 45
Ménages de serfs > 120
Ménages de condition indéterminée > 606
Total > 2859
26. Dans le Polyptyque de l'abbé Irminon rédigé en 806, se trouve le domaine de Vitriacus (Vitry) qui appartenait à l'abbaye depuis le temps de saint Germain (vers l'an 550); les charges des colons n'ont pas changé. «Coloni vero qui ipsam inhabitant villam, ita adhuc sunt ingenui, sicut fuerint temporibus sancti Germani, quatinus nulli hominum aut vi aut voluntari, sine prœcepto abbatis aut arcisterii, aliquod exhibeant servitium.. omnibus annis persolvant ad ecclesiam 8 sextarios olei aut 22 ceræ libras.» (Polypt., XI).
27. «Corvadas, caplim, caroperas, manoperas quantum ei jubetur», c'est une clause qu'on rencontre souvent dans le Polyptyque de l'abbé Irminon. D'un exemple fourni par Fustel De Coulanges (op. cit., p. 422) il semble résulter que le maître n'employait pas toujours toutes les corvées auxquelles il avait droit.
28. Charlemagne dans le capitulaire de Villis (e. 52) confère expressément ce droit de justice à ses intendants: Volumus ut de fiscalibus vel servis nostris, sive de ingenuis qui per fiscos aut villas nostras commanent, diversis hominibus plenam et integram, qualem habuerint; reddere faciant justitiam.
29. Voici la traduction d'une lettre que les rois accordaient à beaucoup de seigneurs ecclésiastiques ou laïques et que ceux-ci pouvaient produire au comte s'il attentait à leur privilège. «Nous décidons que ni vous ni vos agents vous n'entrerez jamais sur les terres de... pour juger les procès ni pour percevoir les amendes, ni pour saisir ou arrêter les hommes soit libres, soit serfs.» Pour tout ce qui concerne l'organisation de la villa; consulter Fustel De Coulanges, Histoire des inst. de l'ancienne France. L'alleu et le domaine rural, et M. Glasson, Histoire des institutions de la France.
30. On disait encore au XIe siècle:abbaye de Saint-Vincent et de Saint-Germain.
31. Voir Introduction au Polyptyque de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés, par M. Longnon, principalement l'appendice no 2.
Postérieurement au dénombrement de l'abbé Irminon, l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés fut pillée par les Normands, en 846, en 855, en 887. Plusieurs abbés, Jean II, Hugon, Lespinasse, le cardinal de Tournon la dépouillèrent, par force ou par ruse, d'une partie de ses terres.
Dom Germain, dans son abrégé de l'histoire de Saint-Germain, écrit au XVIIe siècle, dit que l'abbaye, dotée par les rois et par les grands de terres, de droits et de prérogatives, avait 23 villas, (il paraît n'avoir pas remarqué que le Polyptyque, était incomplet) et, quoiqu'une grande partie ait passé dans des mains étrangères, possédait encore des monuments de son antique splendeur, comme Villeneuve-Saint-Georges, etc. Il ajoute :-»Harum villarum sicut et suburbii Germanensis incolæ servitutis jugum quod monasterio exolvebant ferentés animo iniquiore eo pacto libertate donati sunt a Thoma de Maloleone, germanensi abbate (de 1747 à 1755) ut præter eam pecuniæ summam qua tunc mulctati sunt, quotannis censualem reditum, et clientelæ obsequium pro agris et domibus sibi relictis, exhibere tenerentur.» Monasticum galicanum... reproduit par les soins de Peigné-Delacourt avec préface de Léopold Delisle; Introd., p. 38.
32. Irminon paraît avoir été abbé de Saint-Germain de 811 à 826.
33. Le continuateur d'Aimoin, de Gestis Francorum, lib. V, cap. XXXIV, cité par M. Longnon, Introduction, p. 6.
34. Le manuscrit est resté jusqu'à là Révolution dans la bibliothèque de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés. Il formait (et il forme encore) un manuscrit in-4° de 129 pages. Il est aujourd'hui à la Bibliothèque nationale, n° 12832 du fonds latin.
35. Le nombre de manses concédés en bénéfice était parfois plus considérable que celui des autres manses. Guérard cite comme exemple le monastère de Saint-Wandrille où sur 3.964 manses en culture il y avait 2.390 manses en bénéfice (Longnon, Introd., p. 9). Il ajoute qu'on connaît l'existence de 28 bénéfices de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés. Le bénéfice décrit dans le Polyptyque comprend 10 manses 1/2 dont le revenu était perçu non par l'abbaye, mais par le bénéfice (Ibid., p. 78).
36. Le Polyptycum Irminonis abbatis a été édité en un volume in-4° de 460 pages, par Guérard en 1836; Guérard a fait suivre cette publication d'un autre volume in-4° de 984 -pages, qui forme le premier volume et qui a paru en 1844:c'est une des œuvres les plus considérables de l'érudition française sur l'état des terres et des personnes au moyen âge. M. Longnon a donné une seconde édition en 1886, sous le titre de Polyptyque de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés rédigé au temps de l'abbé Irminon, en un volume in-8° de 444 pages qui fait partie de la Bibliothèque de la Société de l'hist. de Paris. En 1895 il a donné en un volume de 408 pages, l'introduction qui reproduit, complète sur divers points et rectifie sur d'autres l'introduction de Guérard: c'est aussi une œuvre d'érudition remarquable.
Nous reproduisons les chiffres calculés par Guérard; quoique sur plusieurs points ils soient en partie fondés sur des évaluations hypothétiques. Nous ne nous séparons de l'auteur que sur un point. Il attribuait au total des terres décrites dans le manuscrit conservé à 221.187 hectares dont 197.491 pour les bois; il avait commis une erreur sur ces bois dont l'étendue était en réalité d'environ 17.000 hectares. Dans la Population française (t. I, pp. 126 et 127), éditée en 1889, j'ai rectifié cette erreur en cours d'impression du volume: Cette erreur a été découverte par M. Hulin. M. Longnon l'a rectifiée aussi dans son Introduction (p. 251).
37. Voici comme exemple, la composition du fisc de Waniacum (Gagny). Il comprenait :
1° 23 1/2 manses ingénuiles, habités par 31 ménages: dont 29 de colons, 2 de serfs mariés avec des colones.
Dans les 29 ménages de colons, il y en avait 20 complets (mari et femme); 8 d'un colon; 1 d'une colone; il se trouvait en tout, 54 chefs de ménage et 44 enfants, soit 98 personnes.
2° 7 manses serviles habités par 9 ménages.
Dont 5 de colons, 1. d'un colon sans enfants, 4 de ménages complets, 2 de serfs sans enfant, 1 d'un serf marié à une colone, 1 d'un individu (sans qualification; en tout, 15 chefs de famille et 12 enfants. Guérard, Introduction, p. 833, et E. Levasseur, la Population française, t. I, p. 126.
38. Voici la contenance probable des manses connus :
(Pour obtenir ces surfaces Guérard a évalué le bourrier à 128 arcs et le journal à 34 ares.)
Les 71 hospices comprenaient 108 hectares et étaient occupés par 91 ménages.
E. Levasseur, la Population française, t. I, p. 128.
39. Ces personnes étaient de condition diverse. En général elles étaient de la condition du manse; il y avait cependant des exceptions. Ainsi les 1,396 ménages vivant sur les 1.430 manses ingenuiles se composaient de 8 ménages de personnes libres, de 957 ménages de colons et de 29 ménages lidiles, 43 ménages de serfs, 160 ménages dans lesquels les époux étaient de condition différente, 199 ménages dont la condition n'est pas déterminée.
On remarque qu'au IXe siècle les colons formaient la grande majorité des tenanciers de l'abbaye. Voir E. Levasseur, la Population française, t. I, p. 126 et suiv.. Voir aussi les Prolégomènes de Guérard.
40. En France, en 1882, les forêts occupaient 9 millions 1/2 d'hectares, soit environ 18 pour 100 du territoire français.
41. En 1882, les prairies naturelles, vergers et herbages-pâtures formaient environ un dixième du territoire français.
42. Dans la Population française j'avais, d'après M. Longnon, évalué à 7,220 le nombre des porcs que pouvaient nourrir les forêts de l'abbaye. Par un nouveau calcul M. Longnon a trouvé 8,170. Mais il a calculé sur la superficie totale des forêts et il devait nécessairement y avoir une grande différence entre le nombre théorique d'animaux possible, ainsi calculé, et le nombre réel des animaux qui n'étaient probablement élevés que sur la lisière des forêts dans le voisinage des habitations.
43. Voir pour toute cette partie, la Population française, par E. Levasseur, liv. I, ch. V.
44. M. Longnon, Introduction, p. 66.
45. Ut unusquisque judex in suo ministerio bonos habeat artifices, id est, fabros ferrarios et aurifices; vel argentarios, sutores, tornatores, carpentarios, scutatores, precatores, accipitares, id est, aucellatores, saponarios, siceratores, id est, qui cervisiam vol pomatium vel piratium vel aliud quodcunque liquamen ad bibendum aptum fuerit facere sciant, pistores qui similas ad opus nostrum faciant, retiatores qui retia facere bene sciant tam ad venandum, necnon et reliquos ministeriales quos ad numerandum longum est. Cap. de Villis, ann. 800, ch. XLV, Bal., t. I, col. 337.
46. M. Longnon, Introduction, p. 66.
47. Ibid., p. 148.
48. Fiant....intra ejusdem claustri mœnia ab his (claustri officinis) perparum disjuncta ædificia, ubi omnes artifices ac laboratores ecclesiæ, cunctaque prorsus, familia omnes necessitates habere, et quique sua officia gerere, vel quæ ad officia sua gerenda pertinent, conservare valeant. Reg. B, Petri de Honestis, anno 1115, cap. XXI. L. Holstenii codex regularum monast. et canon. in sex tomos div., t. II p. 149.
49. Guérard, Polypt. de l'abbé Irminon, prol., § 236, p. 470.
50. Mém. des antiquaires de la Morinie, t. XVI, p. 105.
51. Cap. de Villis, ch. XLIII. Totald, évêque de Vérone, fait le don suivant à son clergé:De vestimentis quæ de pisile veniunt vel ginicio decimam partem. Ughelli, H. sac. V, 708, éd. de 1720. Cité par Guérard, Prolég., p. 620.
52. Mancipia infra curtem inter pueros et feminas genitias numero viginti duo. Ch. de l'abbaye de Nideralteich, citée par Guérard, Prolég.., p. 570.
53. Breviar, 4.
54. De lanificiis suis et operibus testilibus et mulieribus, inter genitiarias suas residentes, debuerant disputare. Conc, namnet., c. 19.
55. Ad genitia nostra, sicut institutum est, opera ad tempus dare faciant, id est linum, lanam, waisdo, vermiculo, warentia, pectinos, laninas (laminas), cardones, sapomen, unctum, vascula, vel reliqua minutia quæ ibidem necessaria sunt. Cap. de Villis, ch. 43.
56. Et ut feminæ nostræ quae ad opus nostrum sunt servientes, habcant ex partibus nostris lanam et linum, et faciant parciles et camsiles, et perveniant ad cameram nostram per rationem per villicis nostris aut a missis. ejus a se transmissis. Cap. aquisgran. ann. 818, ch. 19.
57. Neugart, n° 193, cité par Guérard, Prolég., 757.
58. L'amende était même de 100 sous 1/2 quand la femme était directrice du gynécée. Addit leg. salie.
59. L. Alaman. LXXX, 2 et 3.
60. Addit. leg. Alam. 42.
61. Conc. Meld. ann. 845, cap. 75. Mansi XIV, 840. Voir (de Gestis Carol..Mag., II, 4) l'histoire de deux bâtards du gynécée de Colmar.
62. Statuimus ut, si femina quæ vestem habet mutatam maecha deprehensa fuerit, non tradatur genicio, sicut. usque modo: ne forte quae prius cum uno, post modo cum pluribus locum habeat maechandi. L. Lang. Lothar. Baluze, Cap., t, II, col. 336.
63. Lur. Arr. Ferr. Ep. 22,
64. I. Si quis inconsulto domino, tam Burgundio quam Romanus, originario aut servo solidos commodaverit, pecuniam perda.
II. Quicunque vero servum suum aurificem, argentarium, ferrarium, fabrum ærarium, sartorem vel sutorem, in publico adtributum artificium exercere permiserit, et id quod ad facienda opera a quocunq., suscepit, fortasse everterit, dominus ejus aut pro eodem satisfaciat, aut servi ipsius si maluerit facial cessionem. Lex Burg. XXI.
65. Flodoard, Hist. de Reims, Ebbon, év.
66. Il ne faut pas confondre ces redevances que le seigneur demandait comme propriétaire avec celles qu'il exigeait comme souverain, et dont les principales étaient le cens, l'hostilitium, le carnaticum, l'herbaticum, le capaticùm, etc.
67. Les corvées des 25 manses lidiles de l'abbaye de Saint-Germain étaient:300 perches à labourer, 125 corvées en chaque saison, 75 journées de travail par semaine aux époques où il n'y avait pas de corvées, 50 longs charrois et 225 perches de clôture. Il y a un texte, cité par Guérard dans ses Prolégomènes, qui établit très nettement la distinction entre les corvées des serfs tributaires et celles des serfs de la maison. Je n'en citerai qu'un passage:Mansi serviles… fruges dominicas metunt, in horreum vehunt, plaustra exonerant, acervum frugum ad componendos manipulos non ascendunt, nec in area terunt, neque trita metiuntur veI seignunt... In purgando quoque stabulo juvabunt ita quidem ut proprii mansi intrantes fimum ejiciant, isti autem a foris suscipientes sub divo in unum congerant... De juribus Maurim. Schœpflin, Alsat. dipl., n° 275, t. I, p. 227.
68. Voici, indépendamment des corvées, la liste des redevances des 1,430 manses ingenuiles de l'abbaye de Saint-Germain:109 liv. 15 sous 6 d., — 4 chevaux, — 55 1/4 bœufs, — 5 génisses, — 1,079 moutons. — 41 muids de froment, — 980 muids d'épeautre, — 77 muids d'avoine, — 11 muids de moutarde, — 2 voitures et 11/2 pédales de bois, — 105 pédales d'échalas, — 40,978 bardeaux, 20,133 voliges, — 372 douves, — .186 cercles, — 350 bottes d'osier, — 4,891 poulets, — 25,318 œufs, — le service de 16 palefrois.
69. Dans le Polyptyque de l'abbé Irminon, il est dit que tout tenancier qui doit du fer en fournira 100 livres. Guérard, Prol., 730.
70. Guérard, Prol., 716, 717.
71. …Faciunt mensales, si datur linum. Cod. Laur., 3668. Guérard, ibid.
72. Curia de Safferne et Birensbure et Morlebach et Niederprume quolibet anno ad opus ecclesiæ tenentur novas tunicas facere. Reg. Prum. XIII, p. 669. Guérard, pp. 716 et 632.
73. Polypt. de L'abbé Irm., passim.
74. Cod. Lauresh. Guérard, Prol., 453.
75. Cap. suess. ann. 853, ch. 12.
76. L. Visig. V, 7, 16.
77. Ut genitia nostra bene sint ordinata, id est de casis, pistis teguriis, id est screonis; et sepes bonas in circuitu habeant, et portas firmas, qualiter opera nostra bene peragere valeant. Cap., de Villis, cap. 49.
78. Volumus ut de fiscalibus, vel servis nostris, vel ingenuis, qui per fiscos aut villas nostras commanent, diversis hominibus plenam et integram, qualem habucrint, reddere faciant justitiam. Cap., de Villis, cap. 52.
79. Eginhard, 33.