La plante originaire
Ernst Jünger s'inscrit ici dans une tradition qui remonte à Goethe. Ce grand poète fut aussi un biologiste en rupture aussi bien avec la science de son époque, déjà mécaniste, qu'avec la tradition finaliste. Au lieu de réduire la vie à ses éléments pour établir ensuite les lois de sa croissance, Goethe part des formes achevées de la vie - les fleurs dans le cas des plantes - et mettant à profit une intuition englobant la matière et l'esprit, il parvient après de nombreuses études comparées à entrevoir la Urpflanz, la plante originaire, c'est-à-dire la forme spirituelle qui est à l'origine de la totalité des plantes. Goethe aurait-il ainsi eu à la fois l'intuition que le génome est une forme, une structure, donc une réalité spirituelle - et celle de l'évolution des plantes à partir d'une souche commune? Pour Goethe, tout était oeuvre d'art. À ses yeux, un même principe créateur, la vie, était à l'oeuvre dans les plantes, les animaux, et les auteurs de tragédie ou de symphonie. Goethe a lui même parfaitement résumé sa vision du monde et de la vie, quand il a dit à propos de la musique de Mozart: que Dieu, après avoir créé le monde, avait dû éprouver la joie de celui qui écoute la musique de Mozart.
À quoi bon les loupes et les microscopes? Les véritables verres grossissants, ce sont les fleurs elles-mêmes. Il nous faut les contempler jusqu'au moment où elles deviennent transparentes, comme des lentilles, et nous verrons alors, derrière elles, au foyer de la gerbe des rayons, une lumière: la splendeur de la semence spirituelle, qui n'a aucune étendue. Telle est la véritable plante originaire. Quand le monde nous semble vaciller sur ses bases, un regard jeté sur une fleur peut rétablir l'ordre.