La loi sur l'ostracisme

Jacques Dufresne
La loi sur l'ostracisme, d'abord destinée à bannir les riches de la cité, fut bientôt le moyen pour les pauvres de s'enrichir, ce qui ne pouvait qu'entraîner la corruption du peuple.
La loi sur l'ostracisme devait aussi donner lieu à de graves excès en dépit de son caractère positif. On appelait sycophantes ceux qui pratiquaient la dénonciation des riches ayant abusé de leur influence. Ce mot, qui signifie littéralement indiquer les figues (d'où dénoncer les vendeurs de figues), permet de reconstituer le contexte historique qui avait fait apparaître l'ostracisme comme nécessaire. À l'époque des oligarques, l'Attique - nom donné à la région où se trouvaient la ville d'Athènes et les terres environnantes qui, avec elle, constituaient la cité- produisait tout juste assez de blé et de figues pour nourrir la population. Quand les riches propriétaires, pour gagner plus d'argent, exportaient des figues et du blé, ils prenaient donc le risque de provoquer une famine, et ils privaient à coup sûr les travailleurs d'une nourriture essentielle. Comme les mêmes riches faisaient les lois qui autorisaient ces pratiques, la population ne voyait pas le jour où elle pourrait éloigner à jamais le spectre d


    e la famine. D'où la loi, si sévère, sur l'ostracisme. Au début, le citoyen qui dénonçait un riche pour avoir exporté des figues le faisait à ses risques et ne trouvait aucun avantage personnel dans la chose. Bientôt, le riche condamné à l'exil dut aussi payer une amende considérable dont le cinquième était versé à l'accusateur. Si ce dernier ne parvenait pas rassembler un nombre suffisant de votes, il payait une amende, mais cette amende était insignifiante. C'était là une recette infaillible pour assurer la généralisation de la délation et du chantage. Chantage, car bientôt le délateur n'eut même pas à courir le risque d'une amende en cas d'échec de sa démarche; effrayé par la seule rumeur d'un procès, le riche mis en accusation proposait à son accusateur ce que l'on appellerait aujourdhui une entente à l'amiable, ou un règlement hors cour.

    Un exemple de ces abus: Aristide le Juste, ainsi appelé parce qu'il avait rendu les plus grands services à sa patrie, sans rien lui demander en retour, fut condamné à l'exil en l'an ~484, cinq ans à peine après avoir joué un rôle essentiel dans la victoire décisive contre les Perses à Marathon. Un des votants, paysan illettré, avait demandé à Aristide, qu'il ne connaissait pas, de lui inscrire le nom d'Aristide sur son ostrakon; et comme ce dernier lui demandait en quoi il lui avait nui: En rien, dit l'autre, mais je suis fatigué de l'entendre constamment appeler le Juste.

    Ces choses se passaient immédiatement après la réforme de Clisthène.

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