les Confessions
Samedi le 22 mai 2004
Les Confessions sont nées du regret de vieillir et de la joie de se souvenir: à ces sentiments se joint le désir, chez un timide et un glorieux, d'être connu tel qu'il est, c.-à-d. tel qu'il se juge. La première idée de l'ouvrage apparaît dans la correspondance de Rousseau avec Marc-Michel Rey; et le goût que Jean-Jacques aurait à écrire sa vie éclate dans les quatre Lettres à M. de Malesherbes qui sont du 4 au 28 janvier 1762. À Roy se joignent Moultou, Duclos; Jean-Jacques est tenté, il classe ses papiers et documents; il n'en a point pour la période antérieure à 1742, et peu avant 1750. Mon Portrait, fragment publié par Streckeisen Moultou, date du temps où il habite les environs de Paris et se croit près de mourir (1761-62). Une Introduction écrite en 1764 a été publiée par Bougy et Bovet. Les imputations de la brochure le Sentiment des citoyens achevèrent de décider Rousseau: il se crut obligé de faire son apologie et d'opposer aux diffamations de ses ennemis l'aveu véridique de ses erreurs et de ses faiblesses, mais aussi l'image réelle de sa bonté intime. L'idée d'une confession est arrêtée. La première partie des Confessions fut fort avancée en 1765 (ms. de Neuchâtel); une seconde rédaction fut faite à Wootton, après la brouille avec Hume, le cinquième livre fut achevé et le sixième écrit à Trye. La seconde partie (I. VII-XI) fut écrite à Monquin en 1769. Ce livre XII, qui est à vrai dire le premier livre d une troisième partie, fut rédigé à Paris à la fin de l'année 1770. En mai 1776, Rousseau remit à Paul Moultou une copie de l'ouvrage augmentée et annotée par lui. Le manuscrit que Rousseau avait gardé par devers lui fut offert par Thérèse à la Convention: il est aujourd'hui à la bibliothèque de la Chambre des députés. Rousseau lut les Confessions à la fin de 1770 et au commencement de 1771 chez la comtesse d'Egmont, devant une noble assistance, chez Pezay et chez Dorat, devant divers littérateurs (cf. Journal de Paris, 9 août 1778). Il lut les livres VII-XI; les séances furent de quatorze, quinze, et dix-sept heures. L'effet fut immense. Mme d'Epinay, ulcérée, s'adressa au lieutenant, de police pour faire interdire ces lectures. Elle répondit par ses Mémoires, Diderot par des pages et des notes virulentes dans son Essai sur les règnes de Claude et de Néron (1778, et surtout 2e éd.,:1782). Les Confessions sont, dit Jean-Jacques, moins l'histoire des événements de sa vie que «celle de l'état de son âme à mesure qu'ils sont arrivés». Cela n'excuse pas les erreurs où il est tombé, presque à chaque page, et dont quelques-unes semblent bien être volontaires. Mais Rousseau avait à un étrange degré ce don de déformer la réalité qu'ont les natures sentimentales et imaginatives: sa passion abolit et recrée les faits. Sa Confession, à laquelle il ne faut pas se fier sans contrôle, est, somme toute, sincère et fait apparaître en une lumière éclatante le tempérament et le caractère de l'écrivain: ce mélange de sensualité et de sensibilité, cet appétit de jouir et ce besoin d'aimer, cette simplicité populaire des goûts et cette élévation aristocratique de l'esprit, cette passion de nature et de liberté, cette humanité tendre et généreuse qui ont fait lemalheur et le talent de Rousseau. Littérairement, les Confessions sont le chef-d'œuvre de Rousseau: nulle part il n'a été plus dégagé de la rhétorique, de la logique, des constructions subtiles et pénibles. Ce n'est que réalité et poésie. Plus encore que la Nouvelle Héloïse, les Confessions ont révolutionné le roman, pour l'acheminer à être la biographie d'une âme en réaction contre un milieu social: Delphine, Obermann, René et tout George Sand sortent de là. C'est là, à vrai dire, dans l'œuvre de Rousseau, qu'est précisément la source du romantisme. Les Confessions furent publiées, les livres I-VI, en 1781 à Genève, 2 vol. in-8; les livres VI-XII par Moultou fils en 1788, 2 vol. in-8, et par Du Peyrou à Neuchâtel, en 1790, avec la Correspondance, 5 vol. in-8.
Les Dialogues, Rousseau juge de Jean-Jacques, furent écrits entre 1772 et 1776. C'est une œuvre d'apologie: une œuvre aussi de folie. Rousseau, hanté de l'idée d'un complot universel, en dévoile le plan et le jeu, et se lave des crimes dont on le charge. Rien n'est plus triste que de voir tant d'imagination et une si merveilleuse logique ainsi employées. Il y a pourtant dans cet ouvrage d'utiles indications sur l'esprit et sur l'œuvre de l'auteur. Dans les Rêveries d'un promeneur solitaire, écrites après octobre 1776, la folie apparaît encore; mais la poésie domine, et la tendresse. Le séjour de Rousseau à l'île Saint-Pierre, ses promenades aux environs de Paris au bois de Boulogne sont des pages exquises ou touchantes. Il ne reste plus, pour avoir indiqué toutes les parties importantes de l'œuvre de Rousseau, qu'à mentionner sa Correspondance; assez considérable et qui s'augmentera encore. Très intéressante pour la biographie de l'auteur, elle n'a pas le charme de celle de Voltaire: Rousseau n'a pas le génie épistolaire; il est souvent lourd et gauche; il manque d'esprit, et s'il en veut avoir, il est contourné. Mais il est souvent éloquent, et il a des cris de passion ou de souffrance qui émeuvent profondément.