Le Contrat social
Le Contrat social fut combattu par Roustan, par le sieur de Beauclair, par le P. Berthier, etc. Il se complète, pour qui veut étudier les idées politiques de Rousseau, par l'article Économic politique (1755) de l'Encyclopédie, et par les Extraits des ouvrages de l'abbé de Saint-Pierre (Projet de paix perpétuelle, Polysynodie, Jugement sur la Polysynodie, 1756); par la première des quatre Lettres sur la vertu et le bonheur publiées par Streckeisen-Moultou (vers 1756-57); par quelques quelques pages d'Émile (1. V), qui résument le Contrat; par les Lettres écrites de la montagne (lère partie, l. VI; 2e partie); par la Correspondance avec Buttafuoco et le Projet de constitution pour les Corses (1765), et enfin par les Considérations sur le gouvernement de Pologne (1772). Rousseau doit ses idées ou le germe de ses idées à Grotius et à Puffendorff, à Burlamaqui, à Jurieu (Lettres pastorales); mais surtout à Locke (Essai sur le gouvernement civil). Il a certainement considéré la constitution de son pays, quoi qu'il ne faille pas dire avec Jules Vüy (Origine des idées politiques de J.-J. Rousseau; Genève, 2e éd., 1889, in-4°) qu'il n'a écrit que d'après et pour Genève. Il a décrit un idéal que Genève était loin de réaliser. Le Contrat social n'est pas en contradiction, comme on l'a dit, avec les autres ouvrages de Rousseau (cf. Faguet, Dix-huitième Siècle, et articles contradictoires d'Espinas et Dreyfus-Brisas, dans Revue internationale de l'enseignement, 1895). Rousseau croit la société réelle mauvaise, corruptive et oppressive. Mais il croit le fait de l'institution sociale nécessaire; il le croit même bienfaisant, à travers tous les maux de l'État actuel. Il cherche comment tous les maux pourraient être évités ou finis, à quelles conditions la société aiderait les hommes à devenir bons et heureux; quels principes assureraient à l'homme civil sans renoncer à ses biens propres, intelligence et moralité, les biens de l'homme naturel, égalité, liberté, bonheur. Il écrit pour le genre humain, quoi qu'il estime qu'il y a des sociétés irréformables: il veut dire qu'il ne servirait à rien de changer les institutions dans un État despotique: il faut d'abord changer l'esprit des hommes par l'éducation. L'ouvrage de l'Émile précède naturellement celui du Contrat. En pratique, Rousseau est aussi peu révolutionnaire due possible. Il garde volontiers en tous pays les institutions traditionnelles, même, en Pologne; le liberum veto et les confédérations; mais il s'efforce de faire circuler dans la nation un souffle égalitaire et libéral, et sa révolution à lui, se fait plutôt en imprimant des principes dans les cœurs qu'en jetant à bas des trônes et promulguant des constitutions. Seulement il n'a pas pris assez soin d'expliquer cette partie importante de sa pensée. Une question intéressante est celle du socialisme de Rousseau. Le Contrat social et, sauf le Discours sur l'inégalité, tous les ouvrages de Rousseau acceptent le fait et consacrent le droit de propriété individuelle. Cependant par une sorte d'omnipotence accordée à l'État, par l'attention à combattre les grandes villess et les grandes propriétés, à diminuer par le jeu des lois et des impôts l'inégalité des fortunes, il apparaît que la tendance du Contrat est nettement socialiste, surtout si l'on considère de quelle façon la question sociale pouvait se poser en 1762. Mais il faut noter que socialisme et individualisme ne sont pas pour Rousseau des termes contradictoires et des choses incompatibles: son socialisme n'est qu'un moyen d'assurer à l'individu la pleine jouissance et le libre développement de son être. Il y a dans le Contrat bien des assertions douteuses, des tours de logique et des écarts d'imagination; il y a des vues inacceptables sur la religion civile, sur l'expression et les droits de la volonté générale, et sur d'autres points encore: avec tout cela, le Contrat social nous offre des formules admirables, des principes éternels de justice qui sont la base d'une organisation rationnelle de la société.