L'éducation physique selon Hippocrate et Galien
La médecine hippocratique est divisée en deux branches: la médecine préventive ou l'hygiène, et la médecine curative. Il importe avant tout de préserver la santé. «Il n'y a ni mesure, ni poids, ni nombre qui puisse nous servir à la définir plus exactement. » Elle est une homéostasie, un état d'équilibre, une «proportion convenable». La bonne santé n'est pas davantage celle que donne une constitution athlétique, qui n'est point naturelle selon Hippocrate. Autant celui-ci estime que la constitution athlétique n'est point supérieure à celle d'un individu en santé, autant il se soucie peu d'établir des distinctions entre les exercices qui se pratiquent au gymnase ou à l'extérieur, entre la gymnastique athlétique et la gymnastique médicale. Chaque cas, chaque tempérament, chaque saison appellent des exercices différents: dans tel cas, le médecin prescrira le saut ou la lutte, le bain, pratiqué sous toutes ses formes, la rétention du souffle, ou bien encore la promenade, exercice souverain dans l'art hippocratique.
Les exercices coûtent de la peine et de l'effort, c'est ce qui les caractérise. Hippocrate les répartit en deux groupes: il classe parmi les exercices «naturels», spontanés, involontaires, les sens de la vue, l'ouïe, la parole et la pensée, ceux qui agissent sur l'âme. Les exercices «forcés», volontaires, n'invoquent que le corps. Comment expliquer cette distinction? On remarque qu'Hippocrate ne retient parmi les exercices naturels que les sens de la vue et de l'ouïe. Les sens qui impliquent un contact avec la matière sensible, le toucher, le goût, l'odorat n'en font pas partie. Ici s'opère déjà dans la science grecque une dissociation de l'âme et du corps; l'âme est autonome par rapport au corps, et sans être immatérielle, elle se détache néanmoins du sensible. Avant l'avènement d'un tel dualisme — âme et corps étant soumis aux lois de la nature—, la notion même d'éducation physique (phusein, nature, en grec) était étrangère à la culture grecque qui ne pouvait envisager une éducation qui ne s'adresse qu'au corps, qu'à l'âme.
C'est à travers l'oeuvre de Galien, médecin grec né à Pergame en 131, attaché au service de l'empereur Marc-Aurèle, que la science hippocratique trouva à se perpétuer dans la culture occidentale. La théorie des humeurs qui est au centre du galénisme dominera la science médicale jusqu'à la Renaissance, jusqu'à l'avènement de la conception mécaniste du corps qui se fait jour à partir du XVIe siècle. Selon cette théorie, la maladie est due à une altération des quatre humeurs constitutives du corps: le sang, le phlègme, la bile et l'atrabile. La santé ne peut être conçue que comme une exis, un équilibre des humeurs que tout excès, dont celui qui consiste en un exercice trop intense ou trop soutenu, vient perturber.
Dans la grande tradition analytique de la science grecque, Galien divise en espèces et en sous-espèces les exercices physiques selon le mouvement qui en découle. Négligeant la distinction hippocratique entre exercices forcés et naturels, il préfère les classifier selon leur caractère actif ou passif. Se déplacer en char ou pour l'enfant se faire bercer par une nourrice figurent parmi les exercices passifs. Les exercices actifs sont regroupés en trois catégories: les uns exigent de la force, les autres de la rapidité, les derniers, enfin, sont violents. Galien est le premier à avoir étudié en détails l'effet sur les muscles, les nerfs et les organes des exercices actifs. La transpiration accompagnant l'activité physique maintient «les pores et conduits du corps ouverts», permettant l'évaporation des «superfluidités» présentes dans le corps. Et puisqu'il s'agit d'aider à préserver une bonne exis du corps, Galien préconise des exercices symétriques pour éviter le développement unilatéral des membres ou des organes.
Galien s'est taillé une place à côté d'Euripide dans la petite histoire du sport, par ses diatribes virulentes contre les nouveaux athlètes professionnels qui ont envahi les enceintes des compétitions sacrées. Ces athlètes, clame Galien, sont devenus des «brutes au sang épaissi par l'effort»; «leur âme est comme noyée dans un vaste bourbier; elle ne peut avoir aucune pensée». Il dénonce avec la même âpreté l'emprise des pédotribes sur la formation athlétique de la jeunesse grecque. Leur ignorance de la science médicale, nous dit Galien, les rend inaptes à déterminer les exercices appropriés à chaque individu. La médecine revendique désormais pour elle seule un pan entier de la gymnastique, une gymnastique préventive et thérapeutique qui s'intéresse avant tout au maintien et au rétablissement de la santé. Ce cloisonnement des compétences, cette spécialisation du savoir accompagnent la dissolution de l'éducation générale en champs étanches d'enseignement, entamée dès le Ve siècle av. J.-C. par les sophistes et qui culminera avec le triomphe de la rhétorique sous l'empire romain.