L'école secondaire polyvalente
Le fruit de ces consultations a fait l'objet de rapports officiels que je ne chercherai ni à résumer ni encore moins à reproduire. J'aimerais plutôt adopter ici un point de vue personnel. D'abord je me limiterai à parler des écoles secondaires publiques qui comprennent environ 2 000 élèves et plus. En outre, j'insisterai surtout sur les points qui m'ont le plus touchée et qui me paraissent personnellement les plus significatifs. Je ferai enfin appel, dans mon bilan, à des témoignages concrets et précis qui sont restés vivants en moi.
À ce propos, je soulignerais volontiers au passage à quel point j'ai été sensible à l'accueil unanimement chaleureux que nous avons reçu dans les régions que nous avons visitées. Du reste, la plupart de nos interlocuteurs commençaient leurs interventions en s'interrogeant sur la suite qui serait donnée à leurs remarques. Ils exprimaient à la fois du scepticisme, sinon du cynisme, devant le peu de cas habituellement fait de la consultation et un espoir voilé qui osait à peine s'exprimer que, peut-être, pour une fois, serait-il possible que ce ne soit pas inutile de tenter d'expliquer leur point de vue sur ce qui les touchait de si près.
D'autres nous disaient encore qu'ils se sentaient un peu désemparés, car c'était la première fois que quelqu'un venait les écouter, venait réellement leur demander ce qu'ils pensaient, eux qui vivaient tous les jours dans l'école secondaire polyvalente. Comme s'ils éprouvaient une difficulté énorme à croire qu'il était encore possible pour eux d'exprimer des besoins humains simples et d'être écoutés. Et j'admirais, pour ma part, leur présence même, qui représentait une solide ténacité qui refusait de désespérer et d'abandonner.
Dans de telles circonstances, je sentais aussi à quel point le rôle de la commission était important. Je me sentais en plus responsable d'écouter ces gens avec la plus grande disponibilité possible et de faire tout en mon pouvoir pour ne pas trahir la confiance qu'ils voulaient presque envers et contre tout nous faire, malgré les déceptions passées.
C'est dans cet esprit que j'entreprends ce bilan personnel de la réforme de l'éducation au niveau secondaire au Québec depuis dix ans. Je procéderai en rappelant brièvement les objectifs de départ de la réforme et les reprendrai ensuite un à un pour voir dans quelle mesure, à la lumière des témoignages reçus, ils ont été atteints. Il me semble, en effet, que pour dresser un bilan un tant soit peu significatif de l'état et des besoins de l'école secondaire, il faut examiner quels objectifs étaient poursuivis au départ. Faire un bilan, n'est-ce pas avant tout mesurer les progrès accomplis sur la route qui conduit aux objectifs qu'on voulait atteindre?
OBJECTIFS DE LA RÉFORME SCOLAIRE
Comme chacun sait, au Québec c'est le Rapport Parent qui a proposé les trois objectifs majeurs de la réforme du système scolaire: la démocratisation du système d'enseignement, l'individualisation de l'enseignement et la socialisation de la jeunesse. Reprenons un à un ces objectifs et voyons quels ont été les progrès accomplis dans notre cheminement vers leur atteinte.
Démocratisation du système d'enseignement
L'accessibilité
La démocratisation du système scolaire signifiait d'abord et avant tout la possibilité pour tous les jeunes d'avoir accès à l'école. De l'avis général, cet objectif a été atteint. Les chiffres à ce sujet sont impressionnants tant en milliards qu'en pourcentage des jeunes qui sont scolarisés. C'est d'ailleurs l'argument qui est le plus souvent servi pour montrer le côté positif des réalisations de la réforme. Soulignons que ce sont les administrateurs et les responsables du Ministère qui mettent l'accent sur ces chiffres. D'ailleurs, il faut dire que les seuls qui, dans nos visites, semblaient tirer une fierté du grand nombre d'élèves dans les écoles secondaires étaient certains administrateurs et commissaires d'école. Dans certains cas, j'avais l'impression que la grosseur de l'école et le nombre d'élèves signifiaient autant de plumes avec lesquels on donnait le sentiment de vouloir se pavaner et peut-être aussi autant de dollars à aller chercher.
Une «éducation de bonne qualité»
Le Rapport Parent précisait, en outre, que la démocratisation signifiait l'accessibilité de tous les jeunes à une «éducation de bonne qualité». Plusieurs nous ont parlé de ce qu'ils estiment être une baisse de la qualité de la formation reçue.
Les élèves eux-mêmes qui sont venus témoigner devant la Commission ont souvent formulé des griefs à ce sujet. On pourrait s'arrêter à trois points qui revenaient constamment: l'absence d'accompagnement et d'aide pédagogique, la qualité des cours de français et l'évaluation.
Plusieurs élèves se sont plaints de ce que l'organisation générale de la vie pédagogique était telle qu'ils étaient la plupart du temps laissés à eux-mêmes. Par exemple, dans les cours de sciences que les élèves estiment être les plus exigeants, et où il est important de bien comprendre et de pouvoir suivre pas à pas le professeur, le professeur, disaient les élèves, n'a pas le temps de suivre chaque élève, de lui indiquer s'il est sur la bonne voie et de l'aider au besoin. Les élèves se sentent souvent seuls devant l'apprentissage qu'on leur propose. Les plus forts s'en tirent. Ceux d'intelligence moyenne tentent de surnager et «d'attraper» tout ce qu'ils peuvent au passage. Si cela devient au-dessus de leurs forces, ou bien ils abandonneront, ou bien on les orientera vers le professionnel qui est considéré par plusieurs comme le parent pauvre du système et que l'on fait souvent peser comme une menace sur ceux qui ont des difficultés dans les matières dites académiques: sciences, mathématiques, français.
Quant au cours de français, de nombreux élèves ont spontanément apporté leur témoignage à ce sujet. Ils semblent avoir le sentiment de ne rien y apprendre, ou du moins de ne pas apprendre d'une façon rigoureuse, systématique, approfondie. Les mêmes choses reviennent d'année en année, disent-ils, sans qu'on ait vraiment l'impression d'avoir appris une chose une fois pour toutes. Notons au passage que cela ne semble pas trop étonnant pour qui se reporte au programme-cadre de français au secondaire qui répète effectivement d'année en année les mêmes objectifs généraux tout en laissant hypothétiquement au niveau local le soin de préciser des objectifs terminaux spécifiques à chaque niveau.
Enfin, deux témoignages précis serviront d'indice quant au sentiment général qui se dégage de ces échanges autour des cours de français. J'entends encore un jeune garçon du secondaire III, je crois, qui nous disait qu'il aimerait bien pouvoir lui aussi écrire aussi bien que son père qui n'avait pourtant qu'une 6e année. Un autre élève expliquait que, dans son cours d'anglais, langue seconde, il avait appris à analyser la structure et les éléments d'une phrase, choses qu'il n'avait jamais apprises au cours de langue maternelle et qu'il aimerait pouvoir faire. On parle de sports, de voyages, de loisirs et un peu de tout au cours de français, sauf du français. On en parle bien un petit peu, au passage, mais la rigueur, la continuité, et l'approfondissement systématique du français, langue maternelle, en tant qu'instrument d'expression et de communication dont on se servira par la suite toute sa vie, se perdent dans un programme nébuleux et fourre-tout.
Les élèves ont encore parlé des pratiques en évaluation. Certains se sont plaints de l'envahissement des tests objectifs. Ceux-ci ont un effet négatif double sur le plan pédagogique. Ces tests demandent qu'on coche le bon casier. Là où autrefois, chaque contrôle ou examen était une occasion de mettre en pratique et à l'épreuve sa maîtrise du français, on se contente souvent aujourd'hui de ne demander qu'un effort minimal. Sans insister davantage sur l'effet dévastateur d'une telle pratique, soulignons, en outre, que beaucoup d'élèves nous avouaient candidement que les tests objectifs les incitaient à ne pas étudier mais à se fier à leur «flair» pour indiquer la bonne réponse. Surtout quand il faut répondre par un simple oui ou non, on a, en partant, 50% des chances de tomber sur la bonne réponse. Et comme ce genre de test ne vérifie aucunement si l'élève a compris, s'il a suivi une démarche cohérente pour arriver à la bonne réponse, on peut s'en tirer avec une relative facilité. Quant à ce qu'on a réellement compris et appris de durable, cela est une autre histoire.
Pourquoi alors avoir recours à de telles pratiques? C'est qu'un tel test peut être corrigé par ordinateur. Celui-ci mettra le même enthousiasme et la même «conscience professionnelle» à faire la correction des copies qu'on lui présentera, peu importe que ce soit 5, 50 ou 500.
En outre, les élèves précisaient au sujet de l'évaluation qu'ils étaient conscients que si la moyenne d'une classe était trop basse par rapport aux autres classes du même niveau, celle-ci serait probablement artificiellement rehaussée. ils expliquaient que cela ne les encourageait pas à étudier et à faire des efforts pour apprendre. En fin de compte, plusieurs élèves nous disaient qu'à leurs yeux, les notes officielles ne signifiaient pas grand-chose et entretenaient des rapports bien problématiques avec ce qu'ils avaient réellement appris. Ils avaient plutôt l'impression que ces notes servaient à sauver la face vis-à-vis l'extérieur.
Quand, de leur côté, les professeurs nous parlaient de ce qu'ils pensaient de la qualité de la formation donnée à l'école secondaire, ils ont corroboré les témoignages des élèves, en y ajoutant bien sûr, leur propre point de vue.
En ce qui a trait à l'évaluation, un professeur nous racontait que, travaillant avec un groupe particulièrement faible une année et dont l'évaluation reflétait ce fait, il avait vu les notes de son groupe rajustées par l'administration de l'école sous prétexte que tous les professeurs d'une même discipline devaient avoir des moyennes et des courbes de notes à peu près équivalentes. De très nombreux professeurs ont déploré les effets désastreux sur la motivation des élèves de la normalisation des notes tant au plan local qu'au plan provincial.
Les professeurs de toutes les disciplines se sont dits très inquiets de la baisse de la qualité dans la formation des élèves qui leur arrivent. Les problèmes qui n'ont pas été réglés à un niveau donné non seulement ne disparaissent pas l'année suivante, mais s'amplifient et deviennent de plus en plus complexes et difficiles à repérer de façon précise.
Quantité de professeurs ont attiré l'attention sur la préparation très hétérogène des élèves qui leur arrivent. Par où doit commencer un professeur qui se trouve devant 35 élèves, alors qu'à peu près personne n'est au même point? Le caractère flou de certains programmes, le peu de signification de l'évaluation, le grand nombre d'élèves, les contraintes administratives et matérielles de toutes sortes, sont autant de facteurs qui, non seulement affectent la qualité de la formation, mais ont aussi, hélas, un effet démoralisateur certain sur les enseignants.
Un exemple à la fois anodin et significatif. Un professeur de physique nous expliquait que, grâce au regroupement d'un grand nombre d'élèves, son département avait pu faire l'acquisition d'instruments didactiques qu'il jugeait non seulement intéressants, mais à vrai dire indispensables. Toutefois, l'horaire était fait de telle sorte qu'il disposait, entre deux cours, de trois minutes pour se rendre d'une classe à l'autre en parcourant une distance importante. Ce fait rendait donc, en réalité, impraticable l'utilisation des instruments nouvellement acquis. L'ordinateur en avait décidé ainsi et personne, semble-t-il, n'y pouvait rien.
Signalons enfin que les éducateurs nous disaient que, pour les raisons énumérées ci-dessus, il était à leur avis de plus en plus difficile pour eux de faire un travail dont ils pouvait être fiers, et donc d'éprouver une satisfaction professionnelle légitime.
Concluons sur ce point en notant que tous, parents, élèves, éducateurs, administrateurs déplorent en outre le morcellement de la formation reçue, l'absence de cohérence et d'intégration des divers apprentissages faits par l'élève.
Chacun se sent embarqué dans une «grosse boîte» qui l'écrase plus ou moins par ses dimensions et les contraintes innombrables qui en découlent et qui dégradent incontestablement plus ou moins gravement la qualité de l'éducation offerte par l'école secondaire. Il faut donc dire que, de l'avis général, l'objectif d'offrir à tous une éducation de bonne qualité n'a pas été atteint et que la formation donnée à l'école secondaire polyvalente semble plutôt perçue comme quelque chose de médiocre.
La participation du public
On entendait enfin par démocratisation de l'enseignement une plus grande participation du public à l'éducation de ses jeunes.
Le Rapport Parent souhaitait vivement que l'éducation soit une entreprise collective et non pas celle d'un petit groupe de privilégiés, précisait-on, comme cela avait été le cas par le passé. Dans les groupes rencontrés, beaucoup d'élèves, d'éducateurs et de parents ont exprimé le sentiment que ce qu'ils disent, ce qu'ils vivent, ce qu'ils pensent, n'a aucun poids dans la balance quand il s'agit de prendre des décisions. ils ont l'impression que ces décisions tombent d'en haut, qu'elles viennent de technocrates qu'ils ne peuvent rejoindre, encore moins influencer, et qui font fonctionner ces immenses écoles sans prêter l'oreille à ceux qui y vivent. Dans ce sens, l'éducation ne paraît certes pas devenue une chose publique. En outre, plusieurs s'inquiètent vivement de ce que l'éducation semble avoir tendance à se transformeren machine implacable régie par l'ordinateur, où horaires, locaux, autobus et toutes sortes de contraintes administratives et matérielles passent avant les simples besoins humains et pédagogiques.
Ce qui précède nous offre peut-être un élément d'explication de la situation que nous décrivions au début de cet article, à savoir que plusieurs ont souligné l'inutilité habituelle de la consultation et leur inquiétude quant aux suites qui pourraient être données à leurs témoignages devant la Commission.
On pourrait donc, me semble-t-il, résumer le degré d'atteinte de l'essentiel de l'objectif de la démocratisation de la façon suivante: la démocratisation de l'enseignement a été atteinte en ce qui a trait à l'ouverture du système scolaire à tous au niveau secondaire; en revanche, la qualité de l'enseignement et des apprentissages faits à l'école secondaire publique et l'évolution des perceptions de l'éducation comme étant une chose publique sont des objectifs loin d'être atteints. De surcroît, l'école secondaire publique semble s'être plus ou moins consciemment engagée sur une voie qui ne pourra jamais atteindre les objectifs poursuivis: absence de rigueur, de cohérence, de continuité dans les apprentissages, d'un côté; bureaucratisation, multiplication des contraintes administratives et matérielles, de l'autre.
Individualisation de l'enseignement
Abordons maintenant le second grand objectif visé par la réforme et examinons dans quelle mesure nous avons progressé dans notre cheminement pour l'atteindre. L'objectif d'individualisation de l'enseignement cherchait à donner à l'enfant une place centrale dans l'école. Cet objectif voulait favoriser le développement le plus complet possible de chaque enfant, en lui permettant de progresser selon ses intérêts, ses aptitudes, ses talents particuliers. On a pris beaucoup de soin, et dans le Rapport Parent et dans le Document d'éducation no 2, pour dire en long et en large que le système d'éducation n'a de raison d'être qu'à cause de l'enfant qui, en principe, doit être placé au coeur des préoccupations de tout le monde. En pratique, il est hélas bien triste de constater que, dans la polyvalente, l'enfant apparaît plutôt le plus souvent comme un simple numéro dont personne, sauf de rares exceptions, n'a le temps de s'occuper. Les horaires trop chargés, les groupes qui se forment pour un cours, se déforment et se reforment pour le cours suivant, les espaces à franchir, le nombre d'élèves qu'un professeur rencontre, tous ces facteurs, entre autres, font que l'élève est perdu dans ce qu'un professeur appelait «une mer de visages anonymes».
De l'avis de la plupart, la polyvalente favorise deux sortes d'élèves: ceux qui sont les plus forts, sur le plan intellectuel et sur le plan personnel, et qui peuvent en conséquence se débrouiller seuls, et ceux qui, d'autre part, n'ont aucune motivation et qui veulent «se perdre dans la foule». Pour le plus grand nombre d'élèves, c'est un milieu qui ressemble davantage à une usine à cours qu'à l'idée qu'on se fait d'une école. Chacun va son chemin suivant son horaire individuel, se promenant de local en local, de groupe en groupe, de professeur en professeur, d'intérêt en intérêt.
On se rappelle peut-être que la polyvalence, la promotion par matière, la division en voies allégées, moyennes et enrichies étaient des moyens conçus pour individualiser l'enseignement et donc pour répondre aux besoins de l'élève, disait-on, pour lui permettre de se développer au maximum et de progresser à son rythme. Dans le contexte actuel, ces moyens semblent devenus dans bien des cas une fin en elle-même.
À ce propos, on peut noter au passage que la division en voies s'attire des critiques sévères de tous les côtés. Cette division, au lieu de servir les besoins de l'enfant, sert plutôt, semble-t-il, à maintenir et à renforcer des préjugés et parfois même des injustices parmi les élèves. On oriente, nous expliquait-on, vers la voie allégée tous les cas problèmes rencontrés, qu'ils soient d'ordre pédagogique, personnel ou familial. On n'a généralement ni le temps ni les ressources humaines nécessaires pour s'arrêter à un élève en difficulté et comme il y a 99% des chances qu'aucun de ses professeurs ne le connaisse par son nom et s'intéresse à lui personnellement, il risque de se retrouver dans la voie allégée et de ne pas pouvoir en sortir, peu importe la nature réelle de son problème; ou bien, il finira peut-être tout simplement par se décourager et joindre le nombre déjà élevé des «drop-outs».
Selon le Rapport Parent, l'enseignement actif devait être à son tour le moyen concret de pallier l'éclatement et l'anonymat que pouvait entraîner la polyvalence; voyons ce qu'il en est.
Nous avons rencontré beaucoup d'éducateurs avec un dynamisme, une conscience professionnelle qui faisaient notre admiration. Ceux_ci étaient désolés de ne pouvoir accorder plus d'attention et de temps à chaque élève et surtout déploraient le fait que, dans bien des cas, les objectifs, les programmes et la pédagogie officiellement prônés par le Ministère de l'éducation faisaient appel à un enseignement individualisé, mais que, dans la réalité, les contraintes administratives liées aux horaires, aux locaux et au grand nombre de professeurs et d'élèves rendaient impossibles cette individualisation.
L'exemple concret que nous donnait un professeur d'arts plastiques illustrera, d'une façon on ne peut plus éloquente, la situation que tant de professeurs ont décrite. Ce professeur expliquait que son école fonctionnait d'après un horaire de 7 périodes de 45 minutes chacune avec 3 minutes entre chaque cours. Elle faisait l'hypothèse suivante: admettons qu'un professeur veuille bien accorder au moins une minute d'attention à chaque élève dans une période de 45 minutes pour une classe de 35 élèves. Cela ne paraît certes pas excessif comme exigence de la part de l'élève, pourtant, on voit bien la vigilance et la disponibilité que cela suppose de la part du professeur. Si l'élève avait la chance de rencontrer dans sa journée 7 professeurs qui ont tous le même souci professionnel, il aurait l'occasion de recevoir dans sa journée exactement 7 minutes d'attention de la part des adultes qui sont ses éducateurs et qui, en toute probabilité, ne connaissent même pas son nom... encore moins qui il est, ce qu'il pense, ce qu'il désire faire plus tard ou comment il évolue dans le cours où il se trouve.
Et si, par un heureux hasard, un professeur a repéré un élève en difficulté, et qu'il perçoit le besoin de ce dernier d'obtenir plus d'explications et d'attention de sa part, il n'a certes pas le temps de rencontrer l'élève dans les 3 minutes qui séparent des cours qui peuvent se dérouler dans des endroits assez éloignés les uns des autres. Il reste alors la possibilité de faire manquer un cours à l'élève, ce qui certes apparaît comme une solution in extremis et à laquelle il n'aura pas volontiers recours. Enfin, le lecteur malin, qui aura pensé que cela pouvait se faire «après l'école», aura certes oublié que, dans la plupart des cas, les autobus attendent à la porte pour reprendre les enfants et les reconduire chez eux.
Les professeurs qui ont connu une situation éducative différente, plus humaine et plus saine pédagogiquement, déplorent amèrement la situation actuelle. Ils expriment une insatisfaction professionnelle et personnelle profonde devant un tel état de fait. En raison du nombre d'élèves rencontrés (jusqu'à plus de 150 par semaine) et de toutes les contraintes qu'ils subissent à contrecoeur, pour que soit fonctionnelle l'école secondaire polyvalente, ces professeurs en sont réduits à dispenser des miettes de savoir sur une chaîne anonyme; c'est un peu comme une machine distributrice qui offre à qui le désire des fruits, des sandwichs, des jus, sans se préoccuper de la faim ou de la saine nutrition et encore moins de la bonne digestion du «consommateur».
De leur côté, les élèves que nous avons rencontrés nous ont volontiers donné leur son de cloche sur ce point. Ce qui frappe au premier abord, c'est la solidarité qu'ils ont manifestée à l'égard des professeurs et des administrateurs de leur école- comme s'ils sentaient que tous étaient «embarqués dans la même galère». Ils ont déploré l'anonymat de l'école, le peu de temps que leurs professeurs pouvaient leur consacrer malgré, dans la plupart des cas, leur bonne volonté. Ils nous ont aussi parlé de la solitude dans laquelle ils se trouvent plongés au moment des difficultés.
La bousculade continuelle leur donne le sentiment de l'impuissance devant une grosse machine qui tourne et qui doit fonctionner à tout prix, mais où leurs besoins n'ont généralement pas de place pour s'exprimer, encore moins pour trouver une satisfaction.
Quelques exemples pour concrétiser ce dont nous parlons. Une étudiante explique qu'au cours de l'automne, elle s'était désintéressée de ses cours et peu à peu découragée au point de vouloir abandonner. Elle raconte qu'elle avait croisé, par hasard, le principal de son école qui l'a invitée à venir discuter avec lui de ce qui se passait. Il l'avait revue par la suite et elle avait décidé, grâce à l'intérêt et à l'encouragement de cet éducateur, de changer d'option, mais de continuer. Elle nous disait à quel point elle avait conscience d'avoir eu une chance inouïe car, précisait-elle, dans une école de 2400 élèves il était peu probable qu'on se rende compte de ses difficultés. Elle poursuivait en expliquant que beaucoup d'élèves se sentaient désorientés, perdus et auraient tellement besoin qu'on puisse leur accorder un peu d'attention avant qu'il ne soit trop tard et qu'ils «décrochent» faute d'intérêt, d'encouragement et d'accompagnement de la part de leurs éducateurs.
Autre exemple significatif de la primauté, de fait, des contraintes administratives sur les besoins individuels des élèves. Plusieurs élèves se sont plaints de ce qu'ils avaient un gymnase et des cours de gymnastique qu'ils aimaient, mais dont ils ne pouvaient profiter pour la raison suivante: Ils avaient 3 minutes pour se rendre au gymnase, puis changer de vêtements pour le cours de 45 minutes, en principe, mais à l'intérieur desquelles il fallait prévoir, en plus, la douche et le retour aux vêtements de tous les jours. Comment s'intéresser à ce qu'on fait quand on est obligé à de telles bousculades? Les élèves disaient qu'ils étaient nombreux à préférer s'abstenir d'aller au cours plutôt que de vivre une situation aussi décevante et aussi frustrante sur le plan humain.
Enfin, dernier exemple qui illustre le climat des grandes écoles polyvalentes et de la satisfaction que peut y trouver à ses besoins un élève. À la fin d'une rencontre, j'ai demandé à 25 élèves de sec. III à sec. V ce qu'ils aimaient le plus dans leur école. Il peut être significatif de noter que les trois premières réponses soient venues d'élèves qui remarquaient spontanément que le vandalisme n'était pas trop répandu dans leur école contrairement à ce qui se passait dans une polyvalente voisine. D'autres élèves sont entrés dans le jeu pour dire qu'effectivement ce n'était pas si mai dans leur école, puisqu'il n'arrivait pas souvent que leurs casiers soient détruits et leurs objets personnels volés.
Il faut signaler, au passage, que les élèves les plus satisfaits des relations pédagogiques avec leurs professeurs étaient ceux qui venaient du professionnel et qui avaient la chance de se trouver en atelier de 10 à 15 élèves en raison de leur spécialité, pendant plusieurs heures par semaine. Ceux-ci se plaignaient de l'atmosphère générale de l'école, mais exprimaient de l'intérêt et de la satisfaction pour leurs cours. De toute évidence, ils faisaient l'envie des autres élèves qui percevaient leur situation comme exceptionnelle et privilégiée.
Enfin, en ce qui a trait à l'individualisation de l'enseignement, le point de vue des parents n'est guère plus rassurant. On n'aura pas de difficulté à comprendre, de ce qui précède, que de nombreux parents sont inquiets, pour ne pas dire angoissés, devant la polyvalente qui doit «accueillir» leur enfant et poursuivre son «éducation». De surcroît, ceux-ci se sentent désorientés, dépassés par ce qui se produit et tout à fait impuissants à infléchir dans le sens qu'ils le souhaiteraient le fonctionnement de cette «grosse machine». Du reste, ce qu'ils reprochent à la polyvalente, c'est sa grosseur, son anonymat, son fonctionnement peu adapté aux besoins individuels des enfants qui sont après tout, disent-ils, des êtres humains et non pas de simples numéros passant d'un groupe à l'autre, d'un professeur à l'autre, d'une classe à l'autre.
Un professeur nous racontait qu'à son école, pour faciliter la transition entre l'élémentaire et le secondaire, on avait regroupé les élèves de secondaire I et Il de façon à assurer une cohésion minimale de groupe et à offrir à ce groupe stable au moins une période par jour (parfois deux) avec le même professeur qui devenait ainsi titulaire du groupe. Cette expérience qui, notons-le en passant, tire profit de ce qui était chose courante à l'école traditionnelle, semble donner des résultats très satisfaisants au dire des parties impliquées. Le professeur qui nous parlait de cet aménagement soulignait l'intérêt et la participation active des parents à ce projet et parlait d'une collaboration d'environ 75% des parents, pour assister aux rencontres d'information et d'échange avec les professeurs de leurs enfants.
Par la même occasion, ce professeur nous indiquait que dès le passage en secondaire III, où l'élève retrouvait le régime habituel de la polyvalente, les parents se désintéressaient de l'école. Il précisait qu'à son avis cela n'était pas étonnant puisqu'alors un élève avait en moyenne 7 professeurs différents et que, en toute probabilité, aucun de ces professeurs ne le connaissait autrement que de vue, sans toutefois savoir son nom. Auquel de ces professeurs un parent doit-il s'adresser? Et quoi dire à quelqu'un qui ne sait même pas le nom de votre enfant encore moins comment cela se passe en classe? Au cours de la visite d'une autre polyvalente, un parent nous disait que 3 de ses propres enfants fréquentaient la polyvalente et que cela signifiait 21 professeurs à rencontrer, toujours dans les mêmes conditions aussi pénibles. Peut-on vraiment s'étonner qu'un parent se sente dépassé, frustré et impuissant à aider un enfant qui éprouve des difficultés à l'école? Les plus forts, comme toujours, s'en tirent, mais les autres?
Voilà le triste bilan de l'individualisation tel qu'il apparaît à la suite de nos consultations dans le milieu scolaire. Il faut constater et dire que les besoins de l'enfant, ses intérêts, ses aptitudes, son rythme d'apprentissage sont en principe respectés par des réalités administratives et par certaines facettes du régime pédagogique (options, promotion par matière, division en voies de rythme différent, etc.). Dans la réalité vécue de tous les jours, l'enfant n'est toutefois pas au centre des préoccupations de l'école secondaire polyvalente. Au contraire, il ressemble plutôt à un matériau brut qui se trouve sur une chaîne de montage et qui entre dans un gigantesque système comprenant de nombreux et complexes rouages, aux engrenages implacables. Les rouages sont souvent neufs et même luxueux, mais malheureusement pour ceux qui les ont inventés, ils n'en demeurent pas moins des rouages froids et inhospitaliers pour les êtres humains que sont les enfants. Et chacun, éducateur, parent ou administrateur, de lever les bras au ciel pour déplorer qu'on en soit venu là, tout en ayant le sentiment d'être impuissant devant les normes venant d'ailleurs, de technocrates planifiant un développement abstrait de l'éducation et dictant des règles qui perpétuent cet état de fait et qui contredisent de plein fouet et l'esprit et la lettre de la réforme tant dans le Rapport Parent que dans le Document d'éducation no 2.
Socialisation de la jeunesse
On se souviendra que le troisième grand objectif de la réforme scolaire visait la préparation des jeunes à la vie en société, en particulier par l'apprentissage d'un travail utile et de la prise en charge de responsabilités sociales. Après ce que nous avons vu jusqu'ici, nous passerons plus rapidement sur ce point. Qu'il nous suffise de dire qu'effectivement l'école prépare un très grand nombre de jeunes à faire un travail utile. Et c'est là une réalisation importante et indéniable de la réforme. Il est évident que les conditions décrites jusqu'ici doivent certes se refléter sur la qualité de la formation reçue et ce, au dire de nombreux professeurs qui affirment que le marché du travail, en particulier, se plaint du niveau des finissants d'année en année.
Pourtant, ce qui paraît très grave, ce sont, on s'en doutera bien, les lacunes flagrantes du côté de l'éducation du sens civique et du sens des responsabilités sociales. Il semble que l'école polyvalente perpétue et accentue les inégalités sociales et encourage l'individualisme: chacun poursuit son chemin seul, et sans se préoccuper ou se sentir responsable de son voisin. Si ce dernier n'arrive pas, il se retrouvera parmi les allégés ou au professionnel peut-être. Quant au respect tant souhaité de la diversité des talents et des aptitudes, au dire des parties en cause, le regroupement sous un même toit du général et du professionnel ne semble guère y avoir contribué. Au contraire, les préjugés sont toujours là et ce que l'élève semble apprendre davantage à la polyvalente se trouve résumé dans ces dictons populaires: «Chacun pour soi», ou encore «Au plus fort la poche».
On pourrait enfin dire, comme certains nous le faisaient remarquer, avec une résignation un peu cynique, que le passage à la polyvalente prépare effectivement l'élève à la vie en société en ce qu'elle lui fait la démonstration de ce que c'est que vivre dans un milieu anonyme, où l'individu et ses besoins ne comptent guère. Compte seulement l'efficacité de la machine... scolaire ou industrielle peu importe, où la plupart du temps chacun est seul et impuissant à réagir et à avoir prise sur ce qui lui arrive. Telle serait la préparation à la vie en société que nous donnons à nos jeunes. Le vandalisme croissan t dans nos écoles nous semble à cet égard un indice indiscutable de nos échecs.
Un professeur nous racontait à ce sujet qu'il s'était personnellement offert pour rester avec les élèves et les surveiller certains midis, à la suite de désordes créés, semble-t-il, par des voyous des environs qui venaient se glisser parmi les élèves et qui, en plus, offraient, à qui en voulaient, de la drogue. Quelques jours plus tard, il avait dû se retirer à contrecoeur. Il avait trouvé les pneus de sa voiture crevés à sa sortie de l'école, et sentait en plus la désapprobation de plusieurs collègues. Il avouait humblement ne se sentir aucun goût pour jouer au martyr.
N'est-il pas étrange et désolant que la plupart des solutions envisagées pour faire face au problème du vandalisme soient de l'ordre des règlements disciplinaires, de l'établissement d'horaires les plus chargés possible, de la rnultiplication des gardes de sécurité, de la prévision dans les budgets de montants additionnels destinés à remplacer le matériel endommagé ou tout simplement volé!
Un professeur nous avouait, qu'à certaines heures du jour, pour éviter le pire, à son école on avait finalement décidé, en contravention avec les règlements de la prévention des incendies, de contrôler les hordes humaines, en fermant à clé les portes donnant accès à certaines parties de l'école.
Au lieu d'interpréter le vandalisme comme le symptôme d'un échec, comme l'expression détournée de sentiments de déracinement, de non-appartenance, de frustration et d, colère de la part des élèves, ce qui nous remettrait en question et nous forcerait à nous interroger sur ce que nous avons fait de notre école secondaire, nous continuons à adopter des solutions qui ne changent rien au fond du problème, mais peuvent donner l'illusion de «faire quelque chose pour le résoudre».
Bilan sommaire
Avant de conclure, on pourrait donc résumer brièvement le bilan que nous faisons Personnellement de la réforme de l'école secondaire polyvalente avec les données que nous venons d'exposer.
À l'actif de la réforme, l'accès général de la jeunesse québécoise à la polyvalente, la construction de nombreuses écoles, l'équipement dont elles sont dotées: ateliers, gymnase, auditorium, laboratoires, etc., l'ouverture des programmes, l'introduction de nombreuses options, la multiplication des programmes visant des clientèles jusque-là laissées pour compte par l'école. Il y a là des réalisations importantes dont on peut à juste titre être fiers en tant que québécois.
Pourtant, malgré cela, quand, de façon systématique, nous demandions aux professeurs et aux étudiants, en particulier, s'il y avait des choses dont ils étaient fiers, ils se regardaient, hésitaient, semblaient, à peu d'exceptions près, chercher en vain quelque chose à offrir. Comme si ce qu'il y avait de réellement positif était pratiquement obnubilé par autre chose qui pesait tellement lourd dans la balance que toute l'attention était tournée dans cette direction. Il nous semble impossible de ne pas tenir compte du passif de la réforme, de cette «autre chose» dont les témoignages reçus ont presque unanimement fait état tantôt avec une vive inquiétude, tantôt avec résignation voire même dans quelques cas avec cynisme, mais en mettant toujours l'accent sur diverses facettes de perception très voisines les unes des autres. C'est en effet dans la plupart des cas avec beaucoup de déception et d'amertume qu'on a décrit le fossé gigantesque qui sépare les principes et les intentions de la réforme, de la réalité vécue au jour le jour. D'un côté, on se gargarise de paroles séduisantes qui mettent la démocratisation, l'individualisation et la socialisation au coeur du système scolaire; en effet, grâce à la participation active des enseignants et au choix de mesures administratives pertinentes, on cherchait dans la réalité une école pourvoyant au développement équilibré de l'enfant aux points de vue intellectuel, affectif et social; de l'autre côté, une réalité quotidienne où les besoins humains et pédagogiques des élèves sont, de fait, sans cesse à la remorque de contraintes matérielles et administratives toutes-puissantes et impitoyables.
En guise de conclusion, j'aimerais d'abord faire quelques remarques sur les limites du bilan que j'ai proposé au lecteur. Ensuite, je m'arrêterai brièvement au Livre vert que le Ministère de l'éducation a fait paraître à l'automne 1977 sur l'enseignement primaire et secondaire. Je terminerai enfin en indiquant, à titre d'hypothèse, une voie qui me semble digne d'être explorée pour nous aider à comprendre et à améliorer l'éducation de nos jeunes du niveau secondaire.
En premier lieu, je signalerai donc au lecteur deux limites du présent article. Premièrement, je n'ai pu, dans le cadre de cette analyse, insister, comme je l'aurais souhaité, sur les exigences de rigueur intellectuelle sans laquelle il est illusoire de songer à une éducation de qualité. Je voudrais cependant noter au passage qu'à mon avis la conscience et le respect de la complexité, des lenteurs et du caractère cumulatif de tout apprentissage intellectuel durable sont des conditions sine qua non d'une véritable formation. Et c'est pourquoi on ne saurait trop insister sur la nécessité d'une très grande qualité des programmes proposés en tant qu'instruments dont le rôle est de guider et d'accompagner, avec continuité, cohérence et rigueur, le cheminement des élèves. Si nous souhaitons vraiment atteindre l'objectif de donner une éducation de bonne qualité à nos enfants, il me semble qu'il va falloir accorder plus d'attention et de soin à nos programmes de formation, car ceux-ci sont ni plus ni moins que l'itinéraire que nous proposons aux élèves de suivre pour arriver à la destination souhaitée.
Deuxièmement, j'aimerais encore dire au lecteur que je ne crois pas que la réalité décrite dans cet article, pour véritable qu'elle soit, constitue toute la réalité de l'école secondaire publique actuelle au Québec. Le rôle de chien de garde que la loi accorde au Conseil supérieur de l'éducation invite, par le fait même, la population à formuler ses doléances au Conseil et à ses commissions permanentes pour leur permettre de remplir leur mandat: décrire l'état et les besoins du système scolaire et faire, au Ministre de l'éducation, les recommandations appropriées. On ne va pas chez le médecin simplement pour lui déclarer qu'on est bien portant. Ainsi, les personnes qui sont venues témoigner l'ont fait parce qu'elles souffraient et s'inquiétaient de voir l'éducation se détériorer dans leur école. Pourtant, nous avons fait des efforts pour rencontrer différents groupes, pour circuler dans les écoles, dans les corridors, dans les classes, dans les locaux de rencontre quand il y en avait. Rien n'est venu contredire de façon importante les témoignages évoqués ici. Je me permets de conclure cette remarque en notant que j'ai été bien étonnée dans toutes nos visites de ne jamais voir nulle part les jeunes du secondaire sourire, encore moins rire de bon coeur. Le caractère absent, souvent morne et triste du regard ne dit pas tout, certes, mais n'est-ce pas là, parmi d'autres, un indice significatif de la situation générale.
J'en viens maintenant au Livre vert sur l'école élémentaire et secondaire. Je dirais d'abord qu'en ce qui a trait à la description qui est faite des problèmes actuels de l'école secondaire, celle-ci me parait dans l'ensemble assez juste. À ce propos, on pourrait reprocher au Livre vert de noyer l'inquiétude et même, dans certains cas, l'angoisse des gens, dans une présentation abstraite et sans âme de la situation. Mais ce serait peut-être injuste si on songe au caractère nécessairement général d'un tel document. Il est certes plus facile d'apporter des exemples précis et concrets dans un article de revue que dans un livre vert officiel.
Il y aurait sans doute lieu de souligner ici maints aspects positifs du document soumis à la consultation: volonté de clarifier des objectifs, orientation vers une plus grande rigueur des programmes, mesures envisagées en vue d'assurer une liaison plus étroite entre l'école et son milieu, désir de promouvoir une plus grande rigueur intellectuelle.
En revanche, je demeure personnellement bien sceptique devant la faveur dont le Livre vert semble entourer certains correctifs envisagés pour remédier au vaste phénomène de la déshumanisation de nos écoles. Où nous conduira, par exemple, à cet égard, la division du secondaire en deux cycles? Cette division aura-t-elle un effet stabilisateur aussi significatif et aussi important qu'on le suppose, en particulier quand les élèves passeront du premier au deuxième cycle?
Je m'interroge aussi sur la qualité de l'analyse qui a conduit à favoriser de telles solutions. Avec les meilleures intentions du monde, n'a-t-on pas encore une fois tenté de satisfaire tout le monde et son père?
Bref, je ne pense pas que sur ce point le Livre vert ait touché le coeur du problème. On peut même se demander s'il ne s'est pas enfermé dans une contradiction permanente en voulant faire droit en même temps à des écoles de pensée dont les divergences profondes sautent aux yeux pour peu qu'on s'y arrête. La question est de savoir si la réalité s'accommodera d'une coexistence pacifique à l'intérieur du même système de postulats carrément opposés les uns aux autres.
Enfin, il nous semble clair à ce stade qu'il est nécessaire de pousser beaucoup plus loin l'analyse des facteurs qui ont produit la déshumanisation dont tout le monde se plaint. Ces facteurs ne tiennent pas nécessairement au bon ou au mauvais vouloir des personnes engagées dans le processus éducatif. Nous formons l'hypothèse qu'ils tiennent plutôt, en premier lieu, à des données objectives qui peuvent être, par exemple, celles des nombres, des espaces et de la durée des relations qui peuvent ou ne peuvent pas s'établir dans les conditions qui leur sont faites dans nos écoles.
Ce n'est pas le lieu d'entrer dès maintenant dans le détail de la présentation de cette hypothèse. Nous nous proposons de le faire prochainement à l'occasion d'un numéro spécial de la revue Prospectives sur le Livre vert. Nous tenterons alors de poser quelques jalons plus précis à nos espoirs.