Choix de l'école par les parents: une tendance mondiale

Gérard Gosselin
Choix de l'école par les parents:
    une tendance mondiale
    Rejetée par les forces dites progressistes,
    orchestrées par la C.E.Q.

    Tollé contre les subventions à l'enseignement privé, titrait Le Devoir du 9 septembre dernier. Un tel titre donnait à penser que la population entière du Québec, reniant ses réponses à tous les sondages récents, était favorable à une réduction des subventions dont chacun sait, ou devrait savoir, qu'elle entraînerait la disparition de la plupart des institutions. En réalité, nous venions d'assister à une opération de relations publiques s'inscrivant dans une stratégie générale dont la première étape a été la nomination d'un ancien mandarin de la c.e.q. à la présidence de la Commission des États généraux. Les associations qui, la veille, aux États généraux, s'étaient prononcées avec véhémence contre l'enseignement privé, appartenaient pour la plupart à l'establishment de l'école unitaire québécoise: c.e.q., cadres de cégeps, Association des directeurs d'écoles du Québec, Fédération des Commissions scolaires. Voici un point de vue plus universel et plus objectif.


    Gérard Gosselin

    L'école: une affaire de choix.Tel est le titre d'un document de l'o.c.d.e. contenant les résultats d'une grande enquête menée dans les 21 pays membres en 1994. Ce que veulent les Danois, les Allemands, les Grecs, les Espagnols, les Américains, les Japonais: envoyer les enfants à l'école de leur choix, c'est-à-dire à l'école publique X plutôt que Y si un tel choix est offert, ou à une école privée si c'est une institution de ce type qui correspond à leurs valeurs et si les frais d'inscription ne sont pas trop élevés.

    Et partout les gouvernements s'efforcent d'exaucer les voeux de la population, en créant un véritable marché scolaire, n'hésitant pas pour atteindre un tel objectif à promouvoir la création d'une école privée dans les milieux où l'alternative n'existe pas encore. Telle est la tendance que l'on observe notamment en Suède, pays modèle de la social-démocratie ayant inspiré de nombreuses initiatives au sein de la société québécoise. Au Danemark, les écoles privées, appelées écoles libres, ont la faveur des autorités et les subventions qu'elles reçoivent s'élèvent maintenant à 80% du per capita des écoles publiques. Dans certains États américains, un chèque-éducation a été institué afin de permettre à des enfants moins favorisés de défrayer les coûts de leur inscription dans une école privée.

    Dans ces pays, ainsi qu'en Australie ou en Nouvelle-Zélande, la possibilité de fréquenter une école de son choix est devenue un enjeu électoral. On assiste à une forte poussée de type néo-ibéraliste qui cherche à rétablir les lois du marché dans un domaine jusque-là captif, et dans lequel l'État a souvent cherché à imposer un modèle hégémonique et une gestion uniformisée de l'éducation. Désormais, on cherche des issues à ce modèle qui se voit contesté de toutes parts, précisément au nom de principes tels que la simple possibilité de choisir. Se manifeste également une classe de citoyens devenus plus exigeants parce que plus instruits, lesquels réagissent en consommateurs avertis devant ce qui leur est offert. Ils posent des questions, revendiquent et exigent des solutions de rechangeleurs comportements appartenant de façon générale à l'univers de la consommation. Voici donc un ensemble de clients qui prennent position devant les grands fournisseurs de services d'éducation. Et ils aspirent progressivement à dé


    finir eux-mêmes les contenus et les modalités d'application des dits services.

    Une proportion substantielle et croissante de la population étudie attentivement la qualité de l'offre scolaire, est-il noté dans le rapport de l'Organisation de coopération et de développement économique (o.c.d.e.) publié en 1994. Il apparaît que dans l'ensemble des pays observés, on a été déçu par le concept d'éta-blissements publics homogènes dispensant un enseignement uniforme. On note que le choix de l'école devient une aspiration véritable des clientsles parents et les enfants. Tenus de penser [un peu plus] activement l'école, ceux-ci deviennent de ce fait susceptibles d'être plus impliqués auprès de l'institution de leur choix, et plus intéressés par conséquent à ce que celle-ci remplisse correctement son mandat. Ils contribuent ainsi à la rendre plus efficace. La dynamique de concurrence appelle l'amélioration de certaines caractéristiques des écoles, notamment dans les domaines liés à l'efficacité, le leadership et le sens de la mission.

    La laïcité de l'État est un acquis solide dans la plupart des pays. Cependant, en plus d'un endroit, cette réalité ne constitue pas un obstacle au financement de l'école privée confessionnelle: c'est le cas aux Pays-Bas, où l'école privée est subventionnée à parité avec l'école publique.

    Dans les pays de l'o.c.d.e., alors même que la laïcité a gagné du terrain, les protocoles entourant la place réservée à l'école privée, et le soutien qui lui est dû, sont rarement remis en question. Quand les protocoles existants font l'objet d'une discussion, constate le rapport, c'est, en général, plus dans l'intention de venir en aide aux écoles confessionnelles que pour entraver leur action.

    e n'est pas le caractère religieux de l'école privée qui, en priorité, exerce un attrait sur sa clientèle, actuelle ou éventuelle. On semble toutefois percevoir par-delà cette dimension précise d'autres caractéristiques particulièrement recherchées, notamment la cohérence dans la mission éducative ainsi que la discipline... On reconnaît généralement que les écoles catholiques offrent un cadre familial [et] s'intéressent au caractère ainsi qu'au développement de l'enfant. Des études confirment que les écoles confessionnelles assurent mieux, bien souvent, la promotion des valeurs civiques que leurs vis-à-vis du secteur public. Aux États-Unis, on réussit des intégrations sociales et/ou interraciales là où l'école publique semble avoir échoué. Dans certaines villes américaines (Milwaukee, Cleveland), c'est au nom de la justice sociale et dans la mouvance des droits civils que les chèques-éducationlesquels, comme on sait, permettent à des élèves moins favorisés d'avoir accès à l'école privée , sont l'objet de mult


    iples expériences Rappelons qu'aux États-Unis, l'école catholique n'est pas subventionnée bien que son efficacité soit établie, et ce à moindre coût que l'école publique.

    Les parents ne veulent plus que leurs enfants servent de cobayes: l'école privée les rassure à cet égard. L'école publique est en proie à une forte crise de confiance: les gens optent pour l'école de confession, moins pour ce statut même, que parce que le style d'éducation laïque déplaît davantage. On comprendra pourquoi en France, par exemple, 20% des enseignants privilégient l'école privée pour leurs propres enfants. Aussi, réseau public et privé confondus, et au-delà du strict critère géographique, le libre choix est en voie d'être appréhendé comme étant définitivement le moteur fondamental du renouvellement authentique du système d'éducation.

    On s'attend à ce que la liberté de choix puisse confirmer l'autorité de l'école ainsi que sa mission; en intensifiant le lien d'appartenance des parents d'une part, en stimulant la motivation des élèves à son égard d'autre part. Le choix fait désormais partie de la revalorisation recherchée de l'institution scolaire. Voilà pourquoi vingt-neuf États américains se trouvent désormais engagés à le promouvoir. En moins d'une décennie, on est passé en Nouvelle-Zélande d'un système scolaire fortement centralisé à un régime qui accorde une large autonomie à l'école.

    La question du choix de l'école semble faire des progrès rapides partout, mais nulle part autant qu'aux États-Unis, là où l'école n'a pas connu jusqu'ici un développement vraiment homogène. La toute récente livraison de The Brookings Review (été 1996) fait état de développements récents très significatifs. Chez nos voisins du Sud, l'interprétation étroite des dispositions constitutionnelles concernant la séparation des pouvoirs de l'Église et de l'État a fait obstacle à un financement libre de l'école privée, laquelle dut alors assurer sa subsistance dans des conditions de plus en plus difficiles. De son côté, le système public a révélé son incapacité à relever les défis auxquels il était confronté. Il semble cependant que les choses soient en voie de se transformer. Les motifs qui interdisent le financement d'un réseau privé sont contestés devant les tribunaux, ou sinon le plus souvent contournés dans les pratiques usuelles. La société américaine est très cosmopolite et se trouve ainsi irriguée par de fortes


    disparités. On se rallie donc de plus en plus à une conception pluraliste au sein de laquelle le choix s'impose comme une exigence inaliénable.

    Les choses bougent d'ailleurs très rapidement en-deçà du 45e parallèle. On y observe plusieurs phénomènes, comme la multiplication d'écoles d'immersion en langues étrangères ou la création d'Écoles aimants (magnets schools): écoles spécialisées développant des champs d'excellence dans les arts ou les sciences. On peut compter par ailleurs sur l'existence d'un large éventail d'établissements privés, d'académies et d'écoles parallèles. À la différence des autres nations, dans ce pays, l'école confessionnelle a souffert de ne pas avoir été subventionnée. Pourtant, on compte tout de même cinq millions de jeunes qui la fréquentent. Fait significatif: les écoles aimants et les écoles confessionnelles semblent neutraliser plus aisément la polarisation sociale, et elles rencontrent parfois mieux que l'école publique certains objectifs dits de déségrégation. Des formules nouvelles d'enseignement et d'encadrement y connaissent présentement une très grande vogue et pourraient, d'ici quelques années, modifier les règles


    du jeu dans l'ensemble du système d'éducation américain. Prenons acte en outre du phénomène de l'enseignement à domicile, lequel d'ailleurs ne s'est guère développé autre part qu'aux États-Unis. Le réseau de ce type d'enseignement en pleine expansion comptait 350000 adeptes en 1992. Or, en 1980, on ne dénombrait pas plus de 15 000 enfants inscrits à ce régime. Entre 1980 et 1992 la croissance fut donc de 24% par année en moyenne. Cette tendance annonce-t-elle un retour à ce préceptorat qui était la seule pédagogie connue avant l'avènement de l'enseignement simultané à l'aube de la modernité?

    Mais il conviendra surtout d'observer l'évolution d'un nouveau secteur vieux d'à peine trois ans d'existence. Une nouvelle législation du gouvernement central autorise la constitution d'écoles selon des groupes d'appartenance et un sens de la mission éducative que ces groupes définissent eux-mêmesce qui leur vaut d'être accrédités comme promoteurs. Ces établissements sont des écoles dites à charte (chartered schools). Elles jouissent d'une large autonomie, y compris en ce qui a trait à l'engagement des enseignants, à l'organisation financière et à la gestion pédagogique.

    Fondé sur l'observation de trente-cinq de ces écoles dans sept États américains, le rapport d'étape publié dans The Brooking Review est éclairant à plus d'un titre. On y mentionne que celles-ci recrutent les meilleurs enseignantsqui rêvent de pratiquer dans un tel milieu. Ils acceptent parfois une diminution de leur salaire pour pouvoir accéder à un milieu de travail qu'ils estiment nettement plus satisfaisant. Ces écoles s'appuient sur une volonté collective commune et développent des partenariats de tous ordres; avec les parents d'abord, qui y assument souvent une large part de bénévolat, mais également avec la communauté et l'entreprise privée. Elles fondent un pacte d'honneur quant aux objectifs qu'elles poursuivent, ce qui leur permet de rallier très vite des adeptes enthousiastes qui se reconnaissent dans un tel projet. Ces écoles sont actuellement implantées dans vingt-deux États. Et si durant l'année scolaire 1995-1996, on en comptait 250, on prévoit déjà que 150 autres s'ajouteront pour l'exercice 19


    96-1997. Il s'agirait vraisemblablement de la formule la plus prometteuse. La dissémination accélérée des chartered schools constitue un phénomène que l'on pourrait qualifier de prodigieux.

    En cette fin de siècle, les réseaux scolaires et le concept même de l'école sont confrontés à des réalités contradictoires. Et la mondialisation des marchés n'est certes pas ici le moindre des enjeux. On observe la tendance vers une plus forte uniformisation des apprentissages en même temps que la revendication de caractères distinctifs au sein des écoles et de leur administration respective.

    La nécessité pour l'école d'occuper sa place sur les marchés du savoir où elle devra dorénavant lutter pour séduire une clientèle qui n'est plus captivesemble devenue un fait inéluctable. Si l'on excepte les régions rurales où le maintien d'une école dans la localité restera certainement un enjeu ferme, il est de plus en plus probable que l'école qu'on choisira en milieux plus densément peuplés ne sera pas toujours l'école la plus rapprochée géographiquement. À Montclair, dans le New-Jersey, la majorité des enfants ne fréquentent pas l'école la plus proche de leur domicile, et cependant leurs premier et second choix d'école se trouvent satisfaits dans une proportion de 90%. Est-il ima-ginable ou réaliste que le même phénomène puisse dans un avenir rapproché se produire à Montréal, Québec ou Longueuil?

    L'heure est venue, non pas de limiter l'accès à l'école privée, mais de le faciliter. Aussi, les pouvoirs publics auront-ils sans doute désormais le mandat d'assurer cet accès auprès des citoyens moins nantis d'une part, sur les territoires où l'alternative n'existe pas d'autre part. La légitimité de l'école privée est reconnue partout. On lui reconnaît même le mérite de promouvoir l'égalité des chances pour tous au coeur du système général d'enseignement. À cet égard, le versement de la subvention à l'élève plutôt qu'à l'institution, sous la forme de ce qu'on appelle bon d'éducation ou chèque-éducation, est une des formules les plus encourageantes en ce moment, même si on demeure très prudent dans l'application de la formule. (en 1996, à Milwaukee dans le Wisconsin, un chèque de 3200 $ était remis aux étudiants admis à ce régime).

    Enfin, le mouvement dans le sens d'une plus grande autonomie accordée à chaque école apparaît également irréversible. Cette tendance s'inscrit en corollaire à la valorisation du pouvoir local et à l'effort de décentralisation de l'État, jusque-là fort centralisateur sur la question de l'éducation. Les écoles devront fonder leur opération sur un sens plus aigu du projet qu'elles entendent réaliser. Elles devront convaincre leur clientèle de la qualité de leurs services.

    Les conditions du succès apparaissent de plus en plus clairement: elles sont dans l'ordre, la qualité du leadership, la cohésion du corps professoral et le lien étroit entre une mission éducative clairement affichée et la communauté à desservir. Dans la situation idéale, la communauté aura elle-même participé à l'élaboration du projet de l'école.

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