Il y a du Dante chez Baudelaire
Il appartient à une époque troublée, sceptique, railleuse, nerveuse, qui se tortille dans les ridicules espérances des transformations et des métempsychoses; il n’a pas la foi du grand poète catholique, qui lui donnait le calme auguste de la sécurité dans toutes les douleurs de la vie. Le caractère de la poésie des Fleurs du Mal, à l’exception de quelques rares morceaux que le désespoir a fini par glacer, c’est le trouble, c’est la furie, c’est le regard convulsé et non pas le regard, sombrement clair et limpide, du Visionnaire de Florence. La Muse du Dante a rêveusement vu l’Enfer, celle des Fleurs du Mal le respire d’une narine crispée comme celle du cheval qui hume l’obus ! L’une vient de l’Enfer, l’autre y va. Si la première est plus auguste, l’autre est peut-être plus émouvante. Elle n’a pas le merveilleux épique qui enlève si haut l’imagination et calme ses terreurs dans la sérénité dont les génies, tout à fait exceptionnels, savent revêtir leurs œuvres les plus passionnées. Elle a, au contraire, d’horribles réalités que nous connaissons, et qui dégoûtent trop pour permettre même l’accablante sérénité du mépris.»
JULES BARBEY D'AUREVILLY, Les Œuvres et les hommes (1ère série) – III. Les Poètes, Paris, Amyot, 1862, p. 380.
*******
«Baudelaire fut le rhapsode de ses Fleurs du Mal dans les quelques salons qui ne craignaient pas l’odeur, dardant la cervelle, de ces syringas terribles. Il les disait, ces Fleurs du Mal, avec cette voix douce et mystificatrice qui hérissait le crin des bourgeois, quand il les distillait suavement dans leurs longues oreilles épouvantées…»
JULES BARBEY D'AUREVILLY, Les Œuvres et les hommes (2e série) – XI. Les Poètes, Paris, Lemerre, 1890, p.327.