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Essentiel

Les plantes dans la perspective du romantisme allemand.

Gustav Theodor Fechner, fondateur de la psychologie expérimentale, en extase devant l'âme des plantes:

En Allemagne, le romantisme fut beaucoup plus qu'une école littéraire. Il laissa également son empreinte sur la science et les arts, sur la peinture en particulier
Ce romantisme fut marqué par un effort cohérent et soutenu pour opposer une vision vitaliste du monde à la vision mécaniste qui s'était déjà imposée dans le reste de l'Europe. Ce mouvement conserva son élan jusqu'en 1850 environ et il fut à l'origine, en peinture avec Caspar David Friedrich, en philosophie, en médecine et même en physique, d'œuvres de premier ordre dont nous pourrions nous inspirer pour mieux comprendre les causes profondes de notre faible attachement à la vie et découvrir quelques remèdes à ce mal. Je pense en particulier au grand ouvrage de Carl Gustave Carus intitulé Psyché.

À l'instar des anciens germains comme des anciens grecs, ces romantiques allemands étaient persuadés que le monde a une âme en étroite affinité avec celle de l'homme et des plantes. Voici, à propos de l'âme des plantes une histoire instructive. Tous ceux qui ont étudié la psychologie expérimentale, ne fût-ce qu'au collège, savent que Gustav Theodor Fechner est considéré comme le fondateur de la psychologie expérimentale. On lui doit la loi sur la perception qui porte son nom. Rien n'illustre mieux le déchirement de cette époque, déchirement dont nous portons la trace en nous, que la carrière de Fechner. Quelques années avant de commencer à prendre la mesure précise des seuils de perception, Fechner avait écrit un ouvrage sur l'âme des plantes dans la plus pure tradition romantique.

Un peu plus tôt au cours de sa vie, suite à plusieurs années de surmenage, il avait sombré dans une étrange dépression accompagnée d'une maladie des yeux qui l'obligea à vivre dans l'obscurité pendant toute la durée de sa cure, c'est-à-dire trois ans. Quand il ouvrit les yeux pour la première fois, à la lumière du jour, il fut ébloui jusqu'à l'extase par les fleurs et il conserva à jamais la conviction qu'elles avaient une âme.

«Je me souviens très bien encore de l'impression que j'éprouvai quand pour la première fois, après plusieurs années d'une maladie des yeux et de réclusion dans une chambre obscure, je pénétrai, sans bandeau sur les yeux dans le jardin en fleur. Il me sembla que mon regard m'emportait au-dessus de la condition humaine, que chaque fleur m'éblouissait de sa propre lumière, comme si elle versait dans la lumière extérieure je ne sais quel rayon de sa lumière intérieure. Le jardin entier me parut lui-même transfiguré, comme si ce n'était pas moi, mais la nature qui ressuscitait. Et je pensais que c'était bien le moment de rendre à mes yeux toute leur fraîcheur pour permettre à une nature vieillie de retrouver sa jeunesse. On ne saurait croire à quel point la nature se fait neuve et vivante pour aller à la rencontre de celui qui vient vers elle avec un regard neuf.

L'image du jardin m'accompagna dans la chambre obscure, mais dans la faible lumière, elle n'en était que plus claire et plus belle et j'ai cru voir tout à coup une lumière intérieure à la source de la clarté extérieure des fleurs et la genèse spirituelle de couleurs qui se limitaient à transparaître à l'extérieur. Je ne doutais pas alors que je voyais briller l'âme des fleurs et je pensais, dans l'émerveillement et l'extase : voilà à quoi ressemble le jardin au-delà du mur de ce monde et toute la terre et tout le corps de la terre n'est que la clôture autour de ce jardin pour ceux qui sont encore à l'extérieur.»(1)

Et Fechner de poursuivre en s'adressant à son lecteur : «Imagine que tu as passé une nuit de six mois au pôle Nord et que pendant tout ce temps tu as oublié à quoi ressemble un arbre et une fleur, que tu n'as vu que de la neige et des champs de glace et que tout à coup tu es transporté dans un jardin en fleur éclairé par une lumière douce et que tu te trouves d'abord comme moi devant une rangée de Dahlias géants, ne serais-tu pas émerveillé de les voir ainsi briller et ne pressentirais-tu pas derrière ce joyau, cet éclat, cette joie quelque chose de plus que du vulgaire liber et de l'eau?»4

Je note trois choses à propos de cette histoire: elle constitue une allégorie de la connaissance aussi belle que le mythe de la caverne de Platon. Elle nous rappelle que la pleine participation à la vie suppose un période de nuit obscure, une ascèse qui secoue les habitudes qui nous rendent aveugles et sourds. Elle nous invite enfin à cultiver ce regard subjectif sur la vie qui a été si négligé depuis plus d'un siècle. Ce qui nous ramène à notre fil conducteur initial. Vous avez tendu la main à Louis Aragon, il a renoué son pacte avec la vie, du moins pour un temps. Que faites-vous ensuite pour lui et pour prévenir dans l'ensemble de la société les tentatives qui sont trop souvent des réussites ? Vous ne répondrez pas vraiment à ma question si vous me dites que vous confierez votre poète à un expert en prévention du suicide aux frais de l'État. Cette professionnalisation de la chaleur humaine fait partie à mes yeux du problème, non de la solution, même si je comprends qu'il s'agit là d'un moindre mal nécessaire compte tenu de l'état de plusieurs de nos familles et de nos communautés. (J.D.)
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1- Gustav Theodor Fechner, Nanna, über das Seelenleben der Pflanzen, Verlag von Leopold Voss, Leipzig 1921, postface. Texte en ligne

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