Borduas vu et revu par Pierre Vadeboncoeur

Jacques Dufresne

En 1949 Pierre Vadeboncoeur parlait dans la revue Liaison «de la naïveté, du messianisme ridicule des signataires» du Refus global. C'est, furtivement, dans une note que Yolaine Tremblay évoque cette opinion de Vadeboncoeur. «Il se ravisera,» ajoute-t-elle. On ne peut d'ailleurs manquer d'être frappé par le fait que cet article de la revue Liaison n'est guère cité ou reproduit dans les anthologies ou les articles concacrés à Vadeboncoeur. Jean-Philippe Warren en cite tout de même un plus long passage dans un article de la revue Combats sur le mythe du refus global: «À propos des automatistes, dont Borduas était le chef de file, il écrit: «En dépit de quelques oeuvres assez belles, leur naïveté, leur messianisme ridicule, leur prétention, leurs rengaines me les faisaient tenir, avec leurs maîtres européens, pour les types les plus parfaits de gens qui se servent de leur autorité, de leurs vérités et du prestige de quelques noms célèbres pour proclamer des sottises et les gober euxmêmes. »

En mai 1961, si Vadeboncoeur ne cache pas son admiration sur Borduas peintre, il est toujours très sévère pour Borduas l'écrivain: «Ce n'est pas par hasard que la seule grande rupture qui ait été suivie d'une oeuvre accomplie fut celle de Borduas. Son oeuvre positive, étant picturale, utilisait un langage essentiellement libre et contre lequel une dialectique ne pouvait guère avoir de prise. Mais dans son oeuvre écrite, quels tourments, combien peu de grâce, quelle violence concentrée, quel poids, et dans sa vie quels avatars ! De plus, certaines démarches, certains actes de sa vie, qui chez un autre homme et dans une autre culture eussent été affaires purement privées, prenaient chez lui un caractère de manifeste et de protestation, comme si une révolution en dépendit. Notre culture le rejoignait jusque dans sa vie privée et même là le forçait à « représenter » ! 1

Mais voilà ce qu'on peut lire dans le Devoir du 2 février 2008, sous la plume de Michel Lapierre, peu après la publication des écrits de jeunesse de Pierre Vadeboncoeur paru aux Presses de l'Université Laval sous le titre de Une tradition d'emportement. «Qu'en 1961 un syndicaliste associât la libération sociale du Québec à l'éclosion de notre peinture abstraite, cela pouvait paraître saugrenu, même aux yeux des gens de gauche. En publiant dans Cité libre l'article «Borduas, ou la minute de vérité de notre histoire», Vadeboncoeur étonnait, d'autant plus qu'il affirmait à propos du peintre, qui, par le manifeste Refus global, avait rompu avec notre passé catholique: «Il avait quelque chose d'un saint.»

Faire de Borduas un saint laïque pour opposer la liberté créatrice exprimée dans ses toiles à l'hypocrisie des prédicateurs qui, selon l'article, commandent d'adorer Dieu «en Lui mentant», semblait incongru. Pourtant, c'était la meilleure manière de montrer que la révolution picturale des automatistes, encore plus éclatante chez Riopelle que chez Borduas, devançait par sa modernité notre littérature et n'attaquait pas le phénomène spirituel en soi.»

Notes

1- La revanche des cerveaux, par Pierre Vadeboncoeur,  Cité libre, 37 (mai 1961) : 12-14.

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