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Bien
Le bien
http://agora.qc.ca/dossiers/bien
Ne jamais dissocier le bien et le Bien, la bonne action de la Source d’énergie qui la rend possible. La bonne action c’est le fruit, la Source c’est le soleil.
Le Bien: lumière de la vie et vie de la lumière, source et fin de toutes les énergies, de la photosynthèse naturelle comme de la photosynthèse surnaturelle appelée grâce.
***
Les obligations envers l’être humain
Au début de l’Enracinement, , Simone Weil propose une liste des obligations, devant avoir préséance à ses yeux sur les chartes de droits. Voici quelques-unes de ces obligations
L’ordre
http://agora.qc.ca/dossiers/ordre
Le premier besoin de l'âme, celui qui est le plus proche de sa destinée éternelle, c'est l'ordre, c'est-à-dire un tissu de relations sociales tel que nul ne soit contraint de violer des obligations rigoureuses pour exécuter d'autres obligations. L'âme ne souffre une violence spirituelle de la part des circonstances extérieures que dans ce cas. Car celui qui est seulement arrêté dans l'exécution d'une obligation par la menace de la mort ou de la souffrance peut passer outre, et ne sera blessé que dans son corps. Mais celui pour qui les circonstances rendent en fait incompatibles les actes ordonnés par plusieurs obligations strictes, celui-là, sans qu'il puisse s'en défendre, est blessé dans son amour du bien.
L’enracinement
http://agora.qc.ca/dossiers/enracinement_sens_figure
L'Enracinement est peut-être le besoin le plus important et le plus méconnu de l'âme humaine. C'est un des plus difficiles à définir. Un être humain a une racine par sa participation réelle, active et naturelle à l'existence d'une collectivité qui conserve vivants certains trésors du passé et certains pressentiments d'avenir. Participation naturelle, c'est-à-dire amenée automatiquement par le lieu, la naissance, la profession, l'entourage. Chaque être humain a besoin de recevoir la presque totalité de sa vie morale, intellectuelle, spirituelle par l'intermédiaire des milieux dont il fait naturellement partie.
Liberté d’expression
http://agora.qc.ca/dossiers/liberte-dexpression
«La liberté d'expression totale, illimitée, pour toute opinion quelle qu'elle soit, sans aucune restriction ni réserve, est un besoin absolu pour l’intelligence. Par suite c'est un besoin de l'âme, car quand l’intelligence est mal à l'aise, l'âme entière est malade. La nature et les limites de la satisfaction correspondant à ce besoin sont inscrites dans la structure même des différentes facultés de l'âme. Car une même chose peut être limitée et illimitée, comme on peut prolonger indéfiniment la longueur d'un rectangle sans qu'il cesse d'être limité dans sa largeur.»
Simone Weil ne tarde toutefois pas à introduire des nuances et des conditions qui vont la conduire à des limites. Il y a, dit-elle, diverses façons d'exercer son intelligence et divers lieux pour le faire. La liberté dans cet exercice ne peut être absolue que dans le cas d'une recherche pure, excluant toute volonté d'influencer le public.
«Chez un être humain, l'intelligence peut s’exercer de trois manières. Elle peut travailler sur des problèmes techniques, c'est-à-dire chercher des moyens pour un but déjà posé. Elle peut fournir de la lumière lorsque s'accomplit la délibération de la volonté dans le choix d'une orientation. Elle peut enfin jouer seule, séparée des autres facultés, dans une spéculation purement théorique d'où a été provisoirement écarté tout souci d'action.»
C'est seulement dans ce dernier cas que la liberté peut être absolue
***
Le divorce entre l’éthique et l’esthétique
http://agora.qc.ca/a/public/agora/fichiers/202009/apres-lhomme-le-cyborg.pdf
Le divorce entre l’éthique et l’esthétique est un aspect de la montée du formalisme qui mérite une attention particulière. Par esthétique, j’entends (en conformité avec l’étymologie, aisthèsis signifiant sensation), l’ensemble des rapports établis par l’intermédiaire des sens avec le monde, et particulièrement avec les œuvres d’art.
C’est la même raison qui est à l’œuvre dans l’éthique et dans les sciences. Par la rupture du lien avec le monde sensible, cette raison glisse vers le formalisme, ce qui lui fournit une occasion de se développer davantage.
Nos ancêtres européens n’ont pu apporter avec eux en Amérique que leur éthique. Leur esthétique, ils l’avaient abandonnée à Caen, ou dans d’autres lieux.
Tel de nos ancêtres qui avait vécu à l’ombre, ou plutôt à la lumière de la cathédrale de Caen, ne retrouvait plus en Canada que des forêts, des rivières et, ici et là, une cabane au milieu d’une clairière. Certes, pour construire leurs maisons ou leurs églises, ces ancêtres ont su s’inspirer des modèles européens dont ils conservaient le souvenir. Ils n’en n’étaient pas moins privés de l’inspiration et de la joie vivifiante que leur procuraient en Europe les paysages et les monuments qu’un long passé civilisé avait disposés autour d’eux.
Dans une civilisation unifiée, l’éthique et l’esthétique sont une même idée incarnée dans des règles de vie dans un cas, et dans l’autre cas, dans de la pierre, des couleurs ou des sons. L’éthique est l’esthétique de l’âme, tandis que l’esthétique est l’éthique du paysage. Dans le Temple d’Éphèse, Victor Hugo a merveilleusement rendu cette correspondance.
Le Temple d’Éphèse
Ma symétrie auguste est sœur de la vertu ;
Sparte a reçu sa loi de Lycurgue rêveur…
Moi, le temple, je suis législateur d’Éphèse ;
Le peuple en me voyant comprend l’ordre et s’apaise ;
Mes degrés sont les mots d’un code, mon fronton
pense comme Thalès, parle comme Platon,
Mon portique serein pour l’âme qui sait lire,
A la vibration pensive d’une lyre,
Mon péristyle semble un précepte des cieux ;
Toute loi vraie étant un rythme harmonieux,
Nul homme ne me voit sans qu’un dieu l’avertisse ;
Mon austère équilibre enseigne la justice ;
Je suis la vérité bâtie en marbre blanc ;
Le beau, c’est, ô mortels, le vrai plus ressemblant ;
[…]
Éloignez-vous du temple et vous manquerez d’inspiration pour obéir aux préceptes du législateur. Vous devrez vous cramponner à ces préceptes, ce qui les durcira et vous dépendrez davantage de votre volonté. Vous serez en effet privés de la grâce qui atteint l’homme à travers les œuvres d’art et les cérémonies religieuses. Quelques mégalomanes des États-Unis ont voulu importer d’Europe, pierre par pierre, des monastères et des châteaux. Peine perdue, tâche impossible ! Les coûteuses répliques ne furent jamais que des répliques.
***
La grâce
"Dans la vie morale, il ne suffit pas d'indiquer un but à atteindre, il faut aussi donner accès à des sources d'énergie spirituelle qui rendent possible le mouvement vers le but. Simone Weil : « L'objet d'une action et le niveau de l'énergie qui l'alimente, choses distinctes.Il faut faire telle chose. Mais où puiser l'énergie ? Une action vertueuse peut abaisser s'il n'y a pas d'énergie disponible au même niveau. (La pesanteur et la grâce)
Cela place la question de la grâce au cœur de la recherche du bien.
http://agora.qc.ca/dossiers/grace
Extraits :
Le mot grâce a deux sens bien distincts, selon qu'il désigne une qualité d'une personne ou une nourriture surnaturelle. Nous réunissons ces deux sens dans un même dossier parce qu'il existe au moins une analogie entre eux. Quand Bergson note que nous apercevons dans la grâce supérieure «l'indication d'un mouvement vers nous, d'une sympathie virtuelle ou naissante», il nous invite à voir une ressemblance entre le rayonnement d'une personne suprêmement gracieuse et celui d'une autre, sage ou sainte, dont on peut dire qu'elle a été touchée par la grâce.
[…]
« Il y a analogie entre les rapports mécaniques qui constituent l'ordre du monde sensible et les vérités divines. La pesanteur qui gouverne entièrement sur terre les mouvements de la matière est l'image de l'attachement charnel qui gouverne les mouvements de notre âme. La seule puissance capable de vaincre la pesanteur est l'énergie solaire. C'est cette énergie, descendue sur terre dans les plantes et reçue par elle qui leur permet de pousser verticalement de bas en haut. Par l'acte de manger elle pénètre dans les animaux et en nous; elle seule nous permet de nous tenir debout et de soulever des fardeaux. Toutes les sources d'énergie mécanique, cours d'eau, houille et très probablement pétrole, viennent d'elle également; c'est le soleil qui fait tourner nos moteurs, qui soulève nos avions, comme c'est lui aussi qui soulève les oiseaux. Cette énergie solaire nous ne pouvons pas aller la chercher, nous pouvons seulement la recevoir. C'est elle qui descend. Elle entre dans les plantes, elle est la graine ensevelie sous terre, dans les ténèbres, et c'est là qu'elle a la plénitude de la fécondité et suscite le mouvement de bas en haut qui fait jaillir le blé ou l'arbre. Même avec l'arbre mort, dans une poutre, c'est elle encore qui maintient la ligne verticale; avec elle nous construisons nos demeures. Elle est l'image de la grâce qui descend s'ensevelir dans les ténèbres de nos âmes mauvaises et y constitue la seule source d'énergie qui fasse contrepoids à la pesanteur morale, à la tendance au mal. [...]
La grâce, telle que l'évoque le théologien Karl Rahner correspond à la conception de Simone Weil. « Nous est-il déjà arrivé de pardonner sans attendre en retour une rétribution et même si le pardon silencieux était considéré comme allant de soi? Nous est-il déjà arrivé d'accomplir une tâche quand, apparemment, nous ne pouvons l'accomplir qu'avec le sentiment brûlant de faire vraiment abnégation de nous-mêmes et de nous effacer? Avons-nous déjà été bons envers un homme de qui nous n'attendons aucun écho de reconnaissance ou de compréhension, et sans même être récompensés par le sentiment d'avoir été désintéressés, maganimes, etc.? » (Vivre et croire aujourd'hui, Desclée de Brouwer, Paris, 1967, p. 37.)
Si, ajoute Rahner, nous avons déjà fait de telles expériences, c'est signe que nous avons aussi été touchés par la grâce, que nous avons fait l'expérience spirituelle: « Expérience de l'éternité, expérience de ce que l'esprit est plus qu'une parcelle de ce monde temporel, expérience de ce que la signification de l'homme n'apparaît pas dans le signification et le bonheur de ce monde, expérience du risque et de la confiance aveugle qui n'a vraiment aucun appui suffisant dans la réussite de ce monde. » (Vivre et croire aujourd'hui, Desclée de Brouwer, Paris, 1967, p. 37.)
***
La banalité du mal selon S.Weil et H.Arendt
http://agora.qc.ca/documents/la_banalite_du_mal_selon_s_weil_et_h_arendt
Par Chantal Delsol
Extrait
Je suis consciente de l’indignation douloureuse que suscite chez nos contemporains l’expression même de « banalité du mal ». Et cette indignation justement, rend utile la réflexion sur ce sujet.
Nos deux auteurs sont proches par l’irruption dans leur vie et dans leur chair de la catastrophe historique que constitue le nazisme. Devant cet événement, elles ne pouvaient pas l’une et l’autre ne pas poser la question du mal. La comparaison des deux approches est éloquente. Hannah Arendt (1906-1975) est fille de son époque, engagée. Simone Weil (1909-1943), en dépit de ses engagements sociaux et politiques, nous apparaît bien souvent surnaturelle, intemporelle, détachée. Et pourtant, il me semble que c’est Simone Weil qui a été le plus loin dans la réflexion sur le mal concret du XX° siècle, qui apparaît littéralement comme l’irruption du diable dans l’histoire des hommes.
[…]
C’est au cours de la guerre d’Espagne que Simone Weil rencontre concrètement la banalité du mal. Elle l’écrit à Georges Bernanos (dans une lettre de 1938 que celui-ci conservera dans son portefeuille jusqu’à sa mort) après la lecture des Grands cimetières sous la lune. Puis elle éclaircit encore ses analyses dans Réflexions sur la barbarie (1939). Ce qui l’a frappée dans cette guerre, c’est bien ce qui plus tard frappera Hannah Arendt devant Eichman : l’indifférence, la désinvolture qui accompagnent le crimes, autrement dit, l’absence de conscience du mal. Le plus terrible : cette désinvolture n’est pas exceptionnelle, mais générale au contraire : « je n’ai jamais vu personne exprimer même dans l’intimité de la répulsion, du dégoût ou seulement de la désapprobation à l’égard du sang inutilement versé » (25). Faiblesse terrible de la condition humaine : « sauf au prix d’un effort de générosité aussi rare que le génie, on est toujours barbare avec les faibles » (26). Il faut donc affirmer avec vigueur que contrairement à ce que croient les pensées totalitaires, qui incarnent spécifiquement le Mal dans un groupe tantôt racial et tantôt social, le mal, et même le plus grand, est virtuel chez tous les hommes : « je voudrais proposer de considérer la barbarie comme un caractère permanent et universel de la nature humaine, qui se développe plus ou moins selon que les circonstances lui donnent moins de jeu » (27).
Éthique de la complexité
http://agora.qc.ca/documents/ethique-de-la-complexite
Dans la science classique, on considérait bien des facteurs comme négligeables. C'est ce qui a permis à Newton d'établir les lois simples et élegantes de l'attraction. Dans les sciences de la complexité d'aujourd'hui, on tient compte du négligeable, de l'effet papillon par exempe. Le plus souvent on procède en éthique, discipline demeurée classique, comme dans la physique de Newton. Dans le débat sur l'euthanasie par exemple on s'arrête à quelques questions: la douleur, la dignité, le libre choix, et on considère les autres comme négligeables. Mais sont-elles vraiment négligeables et si elles le sont n'existerait-il pas dans ce domaine comme dans les systèmes complexes de la nature, quelque effet papillon qui n'est négligeable qu'à première vue. Pour y voir un peu plus clair nous avons identifié une cinquantaine de questions liées à l'euthanasie. Ne pouvant pas les présenter dans un tableau, étant donné que nous voulions nous rapprocher du sytème vivant entourant la mort, nous avons demandé à une jeune artiste, Cynthia Dufresne, de les inscrire dans un fruit mûr qui va tomber de l'arbre. À défaut de pouvoir appliquer à ce cas les méthodes mathématiques qu'on applique aux sytèmes complexes de la nature, nous avons regroupé en trois séries de six un certain nombre de questions choisies au hasard et nous avons ébauché une réflexion sur ces séries
Le bien
http://agora.qc.ca/dossiers/bien
Ne jamais dissocier le bien et le Bien, la bonne action de la Source d’énergie qui la rend possible. La bonne action c’est le fruit, la Source c’est le soleil.
Le Bien: lumière de la vie et vie de la lumière, source et fin de toutes les énergies, de la photosynthèse naturelle comme de la photosynthèse surnaturelle appelée grâce.
***
Les obligations envers l’être humain
Au début de l’Enracinement, , Simone Weil propose une liste des obligations, devant avoir préséance à ses yeux sur les chartes de droits. Voici quelques-unes de ces obligations
L’ordre
http://agora.qc.ca/dossiers/ordre
Le premier besoin de l'âme, celui qui est le plus proche de sa destinée éternelle, c'est l'ordre, c'est-à-dire un tissu de relations sociales tel que nul ne soit contraint de violer des obligations rigoureuses pour exécuter d'autres obligations. L'âme ne souffre une violence spirituelle de la part des circonstances extérieures que dans ce cas. Car celui qui est seulement arrêté dans l'exécution d'une obligation par la menace de la mort ou de la souffrance peut passer outre, et ne sera blessé que dans son corps. Mais celui pour qui les circonstances rendent en fait incompatibles les actes ordonnés par plusieurs obligations strictes, celui-là, sans qu'il puisse s'en défendre, est blessé dans son amour du bien.
L’enracinement
http://agora.qc.ca/dossiers/enracinement_sens_figure
L'Enracinement est peut-être le besoin le plus important et le plus méconnu de l'âme humaine. C'est un des plus difficiles à définir. Un être humain a une racine par sa participation réelle, active et naturelle à l'existence d'une collectivité qui conserve vivants certains trésors du passé et certains pressentiments d'avenir. Participation naturelle, c'est-à-dire amenée automatiquement par le lieu, la naissance, la profession, l'entourage. Chaque être humain a besoin de recevoir la presque totalité de sa vie morale, intellectuelle, spirituelle par l'intermédiaire des milieux dont il fait naturellement partie.
Liberté d’expression
http://agora.qc.ca/dossiers/liberte-dexpression
«La liberté d'expression totale, illimitée, pour toute opinion quelle qu'elle soit, sans aucune restriction ni réserve, est un besoin absolu pour l’intelligence. Par suite c'est un besoin de l'âme, car quand l’intelligence est mal à l'aise, l'âme entière est malade. La nature et les limites de la satisfaction correspondant à ce besoin sont inscrites dans la structure même des différentes facultés de l'âme. Car une même chose peut être limitée et illimitée, comme on peut prolonger indéfiniment la longueur d'un rectangle sans qu'il cesse d'être limité dans sa largeur.»
Simone Weil ne tarde toutefois pas à introduire des nuances et des conditions qui vont la conduire à des limites. Il y a, dit-elle, diverses façons d'exercer son intelligence et divers lieux pour le faire. La liberté dans cet exercice ne peut être absolue que dans le cas d'une recherche pure, excluant toute volonté d'influencer le public.
«Chez un être humain, l'intelligence peut s’exercer de trois manières. Elle peut travailler sur des problèmes techniques, c'est-à-dire chercher des moyens pour un but déjà posé. Elle peut fournir de la lumière lorsque s'accomplit la délibération de la volonté dans le choix d'une orientation. Elle peut enfin jouer seule, séparée des autres facultés, dans une spéculation purement théorique d'où a été provisoirement écarté tout souci d'action.»
C'est seulement dans ce dernier cas que la liberté peut être absolue
***
Le divorce entre l’éthique et l’esthétique
http://agora.qc.ca/a/public/agora/fichiers/202009/apres-lhomme-le-cyborg.pdf
Le divorce entre l’éthique et l’esthétique est un aspect de la montée du formalisme qui mérite une attention particulière. Par esthétique, j’entends (en conformité avec l’étymologie, aisthèsis signifiant sensation), l’ensemble des rapports établis par l’intermédiaire des sens avec le monde, et particulièrement avec les œuvres d’art.
C’est la même raison qui est à l’œuvre dans l’éthique et dans les sciences. Par la rupture du lien avec le monde sensible, cette raison glisse vers le formalisme, ce qui lui fournit une occasion de se développer davantage.
Nos ancêtres européens n’ont pu apporter avec eux en Amérique que leur éthique. Leur esthétique, ils l’avaient abandonnée à Caen, ou dans d’autres lieux.
Tel de nos ancêtres qui avait vécu à l’ombre, ou plutôt à la lumière de la cathédrale de Caen, ne retrouvait plus en Canada que des forêts, des rivières et, ici et là, une cabane au milieu d’une clairière. Certes, pour construire leurs maisons ou leurs églises, ces ancêtres ont su s’inspirer des modèles européens dont ils conservaient le souvenir. Ils n’en n’étaient pas moins privés de l’inspiration et de la joie vivifiante que leur procuraient en Europe les paysages et les monuments qu’un long passé civilisé avait disposés autour d’eux.
Dans une civilisation unifiée, l’éthique et l’esthétique sont une même idée incarnée dans des règles de vie dans un cas, et dans l’autre cas, dans de la pierre, des couleurs ou des sons. L’éthique est l’esthétique de l’âme, tandis que l’esthétique est l’éthique du paysage. Dans le Temple d’Éphèse, Victor Hugo a merveilleusement rendu cette correspondance.
Le Temple d’Éphèse
Ma symétrie auguste est sœur de la vertu ;
Sparte a reçu sa loi de Lycurgue rêveur…
Moi, le temple, je suis législateur d’Éphèse ;
Le peuple en me voyant comprend l’ordre et s’apaise ;
Mes degrés sont les mots d’un code, mon fronton
pense comme Thalès, parle comme Platon,
Mon portique serein pour l’âme qui sait lire,
A la vibration pensive d’une lyre,
Mon péristyle semble un précepte des cieux ;
Toute loi vraie étant un rythme harmonieux,
Nul homme ne me voit sans qu’un dieu l’avertisse ;
Mon austère équilibre enseigne la justice ;
Je suis la vérité bâtie en marbre blanc ;
Le beau, c’est, ô mortels, le vrai plus ressemblant ;
[…]
Éloignez-vous du temple et vous manquerez d’inspiration pour obéir aux préceptes du législateur. Vous devrez vous cramponner à ces préceptes, ce qui les durcira et vous dépendrez davantage de votre volonté. Vous serez en effet privés de la grâce qui atteint l’homme à travers les œuvres d’art et les cérémonies religieuses. Quelques mégalomanes des États-Unis ont voulu importer d’Europe, pierre par pierre, des monastères et des châteaux. Peine perdue, tâche impossible ! Les coûteuses répliques ne furent jamais que des répliques.
***
La grâce
"Dans la vie morale, il ne suffit pas d'indiquer un but à atteindre, il faut aussi donner accès à des sources d'énergie spirituelle qui rendent possible le mouvement vers le but. Simone Weil : « L'objet d'une action et le niveau de l'énergie qui l'alimente, choses distinctes.Il faut faire telle chose. Mais où puiser l'énergie ? Une action vertueuse peut abaisser s'il n'y a pas d'énergie disponible au même niveau. (La pesanteur et la grâce)
Cela place la question de la grâce au cœur de la recherche du bien.
http://agora.qc.ca/dossiers/grace
Extraits :
Le mot grâce a deux sens bien distincts, selon qu'il désigne une qualité d'une personne ou une nourriture surnaturelle. Nous réunissons ces deux sens dans un même dossier parce qu'il existe au moins une analogie entre eux. Quand Bergson note que nous apercevons dans la grâce supérieure «l'indication d'un mouvement vers nous, d'une sympathie virtuelle ou naissante», il nous invite à voir une ressemblance entre le rayonnement d'une personne suprêmement gracieuse et celui d'une autre, sage ou sainte, dont on peut dire qu'elle a été touchée par la grâce.
[…]
« Il y a analogie entre les rapports mécaniques qui constituent l'ordre du monde sensible et les vérités divines. La pesanteur qui gouverne entièrement sur terre les mouvements de la matière est l'image de l'attachement charnel qui gouverne les mouvements de notre âme. La seule puissance capable de vaincre la pesanteur est l'énergie solaire. C'est cette énergie, descendue sur terre dans les plantes et reçue par elle qui leur permet de pousser verticalement de bas en haut. Par l'acte de manger elle pénètre dans les animaux et en nous; elle seule nous permet de nous tenir debout et de soulever des fardeaux. Toutes les sources d'énergie mécanique, cours d'eau, houille et très probablement pétrole, viennent d'elle également; c'est le soleil qui fait tourner nos moteurs, qui soulève nos avions, comme c'est lui aussi qui soulève les oiseaux. Cette énergie solaire nous ne pouvons pas aller la chercher, nous pouvons seulement la recevoir. C'est elle qui descend. Elle entre dans les plantes, elle est la graine ensevelie sous terre, dans les ténèbres, et c'est là qu'elle a la plénitude de la fécondité et suscite le mouvement de bas en haut qui fait jaillir le blé ou l'arbre. Même avec l'arbre mort, dans une poutre, c'est elle encore qui maintient la ligne verticale; avec elle nous construisons nos demeures. Elle est l'image de la grâce qui descend s'ensevelir dans les ténèbres de nos âmes mauvaises et y constitue la seule source d'énergie qui fasse contrepoids à la pesanteur morale, à la tendance au mal. [...]
La grâce, telle que l'évoque le théologien Karl Rahner correspond à la conception de Simone Weil. « Nous est-il déjà arrivé de pardonner sans attendre en retour une rétribution et même si le pardon silencieux était considéré comme allant de soi? Nous est-il déjà arrivé d'accomplir une tâche quand, apparemment, nous ne pouvons l'accomplir qu'avec le sentiment brûlant de faire vraiment abnégation de nous-mêmes et de nous effacer? Avons-nous déjà été bons envers un homme de qui nous n'attendons aucun écho de reconnaissance ou de compréhension, et sans même être récompensés par le sentiment d'avoir été désintéressés, maganimes, etc.? » (Vivre et croire aujourd'hui, Desclée de Brouwer, Paris, 1967, p. 37.)
Si, ajoute Rahner, nous avons déjà fait de telles expériences, c'est signe que nous avons aussi été touchés par la grâce, que nous avons fait l'expérience spirituelle: « Expérience de l'éternité, expérience de ce que l'esprit est plus qu'une parcelle de ce monde temporel, expérience de ce que la signification de l'homme n'apparaît pas dans le signification et le bonheur de ce monde, expérience du risque et de la confiance aveugle qui n'a vraiment aucun appui suffisant dans la réussite de ce monde. » (Vivre et croire aujourd'hui, Desclée de Brouwer, Paris, 1967, p. 37.)
***
La banalité du mal selon S.Weil et H.Arendt
http://agora.qc.ca/documents/la_banalite_du_mal_selon_s_weil_et_h_arendt
Par Chantal Delsol
Extrait
Je suis consciente de l’indignation douloureuse que suscite chez nos contemporains l’expression même de « banalité du mal ». Et cette indignation justement, rend utile la réflexion sur ce sujet.
Nos deux auteurs sont proches par l’irruption dans leur vie et dans leur chair de la catastrophe historique que constitue le nazisme. Devant cet événement, elles ne pouvaient pas l’une et l’autre ne pas poser la question du mal. La comparaison des deux approches est éloquente. Hannah Arendt (1906-1975) est fille de son époque, engagée. Simone Weil (1909-1943), en dépit de ses engagements sociaux et politiques, nous apparaît bien souvent surnaturelle, intemporelle, détachée. Et pourtant, il me semble que c’est Simone Weil qui a été le plus loin dans la réflexion sur le mal concret du XX° siècle, qui apparaît littéralement comme l’irruption du diable dans l’histoire des hommes.
[…]
C’est au cours de la guerre d’Espagne que Simone Weil rencontre concrètement la banalité du mal. Elle l’écrit à Georges Bernanos (dans une lettre de 1938 que celui-ci conservera dans son portefeuille jusqu’à sa mort) après la lecture des Grands cimetières sous la lune. Puis elle éclaircit encore ses analyses dans Réflexions sur la barbarie (1939). Ce qui l’a frappée dans cette guerre, c’est bien ce qui plus tard frappera Hannah Arendt devant Eichman : l’indifférence, la désinvolture qui accompagnent le crimes, autrement dit, l’absence de conscience du mal. Le plus terrible : cette désinvolture n’est pas exceptionnelle, mais générale au contraire : « je n’ai jamais vu personne exprimer même dans l’intimité de la répulsion, du dégoût ou seulement de la désapprobation à l’égard du sang inutilement versé » (25). Faiblesse terrible de la condition humaine : « sauf au prix d’un effort de générosité aussi rare que le génie, on est toujours barbare avec les faibles » (26). Il faut donc affirmer avec vigueur que contrairement à ce que croient les pensées totalitaires, qui incarnent spécifiquement le Mal dans un groupe tantôt racial et tantôt social, le mal, et même le plus grand, est virtuel chez tous les hommes : « je voudrais proposer de considérer la barbarie comme un caractère permanent et universel de la nature humaine, qui se développe plus ou moins selon que les circonstances lui donnent moins de jeu » (27).
Éthique de la complexité
http://agora.qc.ca/documents/ethique-de-la-complexite
Dans la science classique, on considérait bien des facteurs comme négligeables. C'est ce qui a permis à Newton d'établir les lois simples et élegantes de l'attraction. Dans les sciences de la complexité d'aujourd'hui, on tient compte du négligeable, de l'effet papillon par exempe. Le plus souvent on procède en éthique, discipline demeurée classique, comme dans la physique de Newton. Dans le débat sur l'euthanasie par exemple on s'arrête à quelques questions: la douleur, la dignité, le libre choix, et on considère les autres comme négligeables. Mais sont-elles vraiment négligeables et si elles le sont n'existerait-il pas dans ce domaine comme dans les systèmes complexes de la nature, quelque effet papillon qui n'est négligeable qu'à première vue. Pour y voir un peu plus clair nous avons identifié une cinquantaine de questions liées à l'euthanasie. Ne pouvant pas les présenter dans un tableau, étant donné que nous voulions nous rapprocher du sytème vivant entourant la mort, nous avons demandé à une jeune artiste, Cynthia Dufresne, de les inscrire dans un fruit mûr qui va tomber de l'arbre. À défaut de pouvoir appliquer à ce cas les méthodes mathématiques qu'on applique aux sytèmes complexes de la nature, nous avons regroupé en trois séries de six un certain nombre de questions choisies au hasard et nous avons ébauché une réflexion sur ces séries