Maximes des moralistes français sur l'enfance

Henri Le Brun
Maximes et pensées de La Bruyère, Rousseau, Joubert et plusieurs auteurs français sur l'enfance, choisies par Henri Le Brun.
Dans l'enfance de tous les peuples, comme dans celle des particuliers, le sentiment a toujours précédé la réflexion, et en a été le premier maître.
VAUVENARGUES


La nature veut que les enfants soient enfants avant que d'être hommes.
J.- J. ROUSSEAU


Les enfants n'ont ni passé ni avenir; et ce qui ne nous arrive guère, ils jouissent du présent.
LA BRUYÈRE


Rien n’étonne quand tout étonne: c'est l'état des enfants.
RIVAROL


Le premier sentiment d'un enfant est de s'aimer lui-même; et le second, qui dérive du premier, est d'aimer ceux qui l'approchent; car dans l'état de faiblesse où il est, il ne connaît personne que par l'assistance et les soins qu'il reçoit.
J.- J. ROUSSEAU


La nature a fait les enfants pour être aimés et secourus, mais les a-t-elle faits pour être obéis et craints?
J.- J. ROUSSEAU

C'est perdre toute confiance dans l'esprit des enfants et leur devenir inutile, que de les punir des fautes qu'ils n'ont point faites ou même sévèrement de celles qui sont légères. Ils savent précisément et mieux que personne ce qu'ils méritent, et ils ne méritent guère que ce qu'ils craignent; ils connaissent si c'est à tort ou avec raison qu'on les châtie, et ne se gâtent pas moins par des peines mal ordonnées que par l'impunité.
LA BRUYÈRE


Les enfants savent bien qu'on ne veut pas les tourmenter quand ils sont sûrs qu'on les aime, et les enfants se trompent rarement là-dessus.
J.- J. ROUSSEAU


L'unique soin des enfants est de trouver l'endroit faible de leurs maîtres, comme de tous ceux à qui ils sont soumis. Dès qu'ils ont pu les entamer, ils gagnent le dessus et prennent sur eux un ascendant qu'ils ne perdent plus. Ce qui nous fait déchoir une première fois de cette supériorité à leur égard est toujours ce qui nous empêche de la recouvrer.
LA BRUYÈRE


Il n'y a nuls vices extérieurs et nuls défauts du corps qui ne soient aperçus par les enfants. Ils les saisissent d'une première vue, et ils savent les exprimer par des mots convenables: on ne nomme point plus heureusement. Devenus hommes, ils sont chargés à leur tour de toutes les imperfections dont ils se sont moqués.
LA BRUYÈRE

Ce qui fait que la plupart des petits enfants plaisent, c'est qu'ils sont encore renfermés dans cet air et dans ces manières que la nature leur a donnés, et qu'ils n'en connaissent point d'autres. Ils les changent et les corrompent quand ils sortent de l'enfance; ils croient qu'il faut imiter ce qu'ils voient, et ils ne le peuvent parfaitement imiter, il y a toujours quelque chose de faux et d'incertain dans cette imitation. Ils n'ont rien de fixe dans leurs manières, ni dans leurs sentiments; au lieu d'être en effet ce qu'ils veulent paraître, ils cherchent à paraître ce qu'ils ne sont pas.
LA ROCHEFOUCAULD


Dans les naïvetés d'un enfant bien né, il y a quelquefois une philosophie bien aimable.
CHAMFORT

Le premier soupir de l'enfance est pour la liberté.
VAUVENARGUES

Les enfants tourmentent et persécutent tout ce qu'ils aiment.
JOUBERT

Les enfants crient ou chantent tout ce qu'ils demandent, caressent ou brisent tout ce qu'ils touchent, et pleurent tout ce qu'ils perdent.
RIVAROL

Les enfants nous savent ordinairement peu de gré de nos sollicitudes; ce sont de jeunes branches qui s'impatientent contre la tige qui les enchaîne, sans penser qu'elles se flétriraient si elles en étaient détachées.
Madame NECKER

Les enfants sont hautains, dédaigneux, colères, envieux, curieux, intéressés, paresseux, volages, timides, intempérants, menteurs, dissimulés; ils rient et pleurent facilement; ils ont des joies immodérées et des afflictions amères sur de très petits sujets; ils ne veulent point souffrir de mal, et aiment à en faire; ils sont déjà des hommes.
LA BRUYÈRE


Les enfants commandent par les larmes, et quand on ne les écoute pas, ils se font mal exprès.
STENDHAL


Les enfants, dont il est si difficile de fixer l'attention, poussent des cris, aiment le bruit, cherchent la foule; ils font tout ce qu'ils peuvent pour s'avertir de leur existence et rassembler des sensations: le dedans est encore vide. On peut en dire autant du peuple en général. Il n'y a que les hommes habitués à penser qui aiment le silence et le calme; leur existence est une suite d'idées: le mouvement est intérieur.

De là vient que les anecdotes sont l'esprit des vieillards, le charme des enfants et des femmes: il n'y a que le fil des événements qui fixe leur sentiment et tienne leur attention en haleine. Une suite de raisonnements et d'idées demande toute la tête et la verve d'un homme.
RIVAROL


La paresse, l'indolence et l'oisiveté, vices si naturels aux enfants, disparaissent dans leurs jeux, où ils sont vifs, appliqués, exacts, amoureux des règles et de la symétrie, où ils ne se pardonnent nulle faute les uns aux autres, et recommencent eux-mêmes plusieurs fois une seule chose qu'ils ont manquée: présages certains qu'ils pourront un jour négliger leurs devoirs, mais qu'ils n'oublieront rien pour leurs plaisirs.
LA BRUYÈRE


Les enfants ont déjà de leur âme l'imagination et la mémoire, c'est-à-dire ce que les vieillards n'ont plus; et ils en tirent un merveilleux usage pour leurs petits jeux et pour leurs amusements; c'est par elles qu'ils répètent ce qu'ils ont entendu dire, qu'ils contrefont ce qu'ils ont vu faire; qu'ils sont de tous métiers, soit qu'ils s'occupent en effet à mille petits ouvrages, soit qu'ils imitent les divers artisans par le mouvement et par le geste; qu'ils se trouvent à un grand festin et y font bonne chère; qu'ils se transportent dans des palais et dans des lieux enchantés; que, bien que seuls, ils se voient un riche équipage et un grand cortège; qu'ils conduisent des armées, livrent bataille et jouissent du plaisir de la victoire; qu'ils parlent aux rois et aux plus grands princes; qu'ils sont rois eux-mêmes, ont des sujets, possèdent des trésors qu'ils peuvent faire de feuilles d'arbres ou de grains de sable; et, ce qu'ils ignorent dans la suite de leur vie, savent, à cet âge, être les arbitres de leur fortune et les maîtres de leur propre félicité.
LA BRUYÈRE


Aux enfants tout parait grand, les cours, les jardins, les édifices, les meubles, les hommes, les animaux; aux hommes les choses du monde paraissent ainsi, et j'ose dire, par la même raison, parce qu'ils sont petits.
LA BRUYÈRE

Quoique la pudeur soit naturelle à l'espèce humaine, naturellement les enfants n'en ont pas. La pudeur ne naît qu'avec la connaissance du mal: et comment les enfants, qui n'ont ni ne doivent avoir cette connaissance, auraient-ils le sentiment qui en est l'effet?
J.- J. ROUSSEAU


Le mot sage dit à un enfant est un mot qu'il comprend toujours et qu'on ne lui explique jamais.
JOUBERT


Le caractère de l'enfant paraît unique; les mœurs dans cet âge sont assez les mêmes; et ce n'est qu'avec une curieuse attention qu'on en pénètre la différence; elle augmente avec la raison, parce qu'avec celle-ci croissent les passions et les vices, qui seuls rendent les hommes si dissemblables entre eux et si contraires à eux-mêmes.
LA BRUYÈRE


Les enfants commencent entre eux par l'état populaire, chacun y est le maître, et, ce qui est bien naturel, ils ne s'en accommodent pas longtemps, et passent au monarchique. Quelqu'un se distingue, ou par une plus grande vivacité, ou par une meilleure disposition du corps, ou par une connaissance plus exacte des jeux différents et des petites lois qui les composent; les autres lui défèrent, et il se forme alors un gouvernement absolu qui ne roule que sur le plaisir.
LA BRUYÈRE


Des enfants étourdis viennent les hommes vulgaires.
J.- J. ROUSSEAU


Par l'association des idées, le bonheur du premier âge en fait aimer tous les événements, les mets dont on fut nourri, les chants qu'on entendit, l'éducation que l'on reçut, et les peines mêmes qu'elle causa.
JOUBERT

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