L'enfance selon John Boorman
La tragédie de l’enfance, âge d’harmonie et d’insouciance, c’est qu’elle est aussi délicieuse qu’éphémère. Chacun rêve de la retrouver, tout en sachant fort bien que le temps et les nécessités de la condition humaine nous en éloignent inexorablement.
La tragédie de l’âge pré-social, période identifiable à l’enfance de l’Humanité, c’est qu’il promet aux individus l’enviable existence des « bons sauvages », alors même qu’il n’est au fond qu’un mythe sans lendemain. Chacun rêve de le retrouver, pour s’affranchir du fardeau des institutions, tout en sachant que l’Homme a des passions que la Raison ignore trop pour faire durablement l’économie du Pouvoir.
L’un des aspects les plus fascinants du cinéma de John Boorman, c’est d’avoir effectué la synthèse de ces deux tragédies, qui opposent en une guerre sans merci le principe de plaisir et le principe de réalité, le libre arbitre et la fatalité. Si l’on se penche un instant sur l’œuvre de celui que l’Histoire de l’Art retiendra sans doute comme l’un des plus grands réalisateurs Anglo-Saxons, on peut ainsi constater qu’un personnage très singulier revient constamment symboliser cette lutte immémoriale. Résurgence d’un inconscient collectif forgé dans le creuset millénaire des légendes et des contes, cet archétype (au sens où Carl Gustav Jung l’entendait) se définit comme un être entre deux âges, qui vit à la lisière de l’ordre social. Dans Léo le dernier (Leo the Last),il prend les traits d’un grand enfant (Marcello Mastroianni), que des troubles affectifs obligent à vivre à l’écart d’un monde qu’il doit se contenter, au moins dans un premier temps, d’observer à la longue vue. Dans Délivrance (Deliverance), il est incarné par Burt Reynolds, brillant interprète d’une sorte de "vieil adolescent" ombrageux et asocial. Dans Hope and Glory, il se manifeste à travers un enfant de sept ans (alter ego de John Boorman lui-même), qui voit en la seconde guerre mondiale une occasion de se libérer des contraintes inhérentes à la vie collective (qu’elles soient scolaires ou familiales). Dans la Forêt d’émeraude (The Emerald Forest), il prend l’apparence d’un tout jeune homme (Charley Boorman) qui tente, avec ses parents adoptifs, de préserver l’Amazonie des ravages du « monde mort », c’est-à-dire, d’un monde prétendument civilisé qui, au nom du progrès, détruit méthodiquement l’univers paradisiaque des peuplades primitives. Dans Le Général (The General), c’est enfin un "sale garnement" (Brendan Gleeson), dont les innombrables forfaits n’expriment pas tant une volonté de nuire à autrui que de vivre hors-la-loi ou, si l’on préfère, en marge de la Société.
Extrait d'un essai de Jean-Philippe Costes, La nature selon John Boorman.