L'Encyclopédie sur la mort


Le voyage dans le passé

Stefan Zweig

Le voyage dans le passé, traduction de Baptiste Touverey suivi du texte original en allemand, Der Reise in die Vergangenheit et de «Stefan Zweig et le monde d'hier» par Isabelle Hausser, Paris, Grasset, Le Livre de poche, 2008. Ce texte connut un étonnant destin. Un fragment intégré à un recueil collectif parut à Vienne en 1929. Bien des années plus tard un manuscrit de 41 pages annotées fut trouvé dans les archives d'Atrium Press à Londres. Les Éditions Grasset nous offrent une première traduction en français en 2008. C'est le récit d'un amour impossible et de retrouvailles inachevées entre un homme et une femme qui se sont aimés, mais que la Grande Guerre a séparés. Lui, le premier secrétaire d'une compagnie en poste au Mexique et elle, l'épouse du patron en Allemagne. «La nouvelle se place explicitement sous le patronage de Verlaine*. Les vers de «Colloque sentimental» viennent la clore et nous fournissent une clé de lecture. Zweig, [...] le Viennois, dont le pays a été emporté par la guerre*, [...] recourt à un poème «étranger», à la langue de l'ennemi, pour dire ce qui est au coeur de cette nouvelle: l'impossibilité de faire revivre le passé.» (B. Touverey, «Avant-propos du traducteur», o. c., p. 7-9)
Dans le vieux parc solitaire et glacé
Deux spectres cherchent le passé

Et à peine ces vers eurent-ils fusé dans sa mémoire, que toute la scène lui revint comme par magie: la lampe répandant sa lumière dorée dans le salon obscur, où un soir elle lui avait lu ce poème de Verlaine. En la voyant, obscurcie par l'ombre de la lampe, assise comme autrefois, proche et lointaine, à la fois, aimée et inaccessible, il sentit tout d'un coup son coeur s'emballer, enthousiasmé d'entendre sa voix se moduler sur la vague sonore du vers, de l'entendre prononcer - même si ce n'était que dans un poème - les mots «nostalgie» et «amour», mots d'une langue étrangère certes, et destinés à des étrangers, mais néanmoins grisants, prononcés par cette voix, sa voix. Comment avait-il pu oublier cela, pendant des années, ce poème, cette soirée où seuls dans la maison, et troublés par cette solitude, ils avaient fui les périls de la conversation pour le terrain plus rassurant des livres, où, derrière les mots et la mélodie, avait parfois clairement brillé, comme une lueur dans des buissons, l'aveu d'un sentiment plus intime, étincelles insaisissables qui, bien qu'évanescentes, les rendaient heureux. Comment avait-il pu oublier cela si longtemps?

[...]

Il dut sursauter sans s'en rendre compte, car elle se retourna: «Qu'as-tu, Louis? À quoi penses-tu?»

Mais il éluda «Rien! Rien!» Et il se contenta de plonger plus profondément en lui-même, dans cet autrefois: cette voix, la voix prémonitoire du souvenir, ne voulait-elle pas une fois encore lui parler et, grâce au passé, lui révéler le présent?

FIN
Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30

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