L'Encyclopédie sur la mort


La «bonne mort» dans les sociétés modernes

Glennys Howarth

Dans «The good death in modern societies» (Death and Dying. A sociological introduction, Polity, 2007, p. 134-137), Glennys Howarth décrit le sens ou les divers sens que, selon la littérature anglosaxonne particulièrement en philosophie et en sciences humaines, l'on accorde à la «bonne mort». Dans cet article, nous essayerons de nous inspirer de sa démarche en nous servant des résultats de ses recherches et en reconnaissant son autorité dans le domaine. Nous intégrons à ses considérations nos propres réflexions et remarques ainsi que des notices bibliographiques.

Depuis l'institutionnalisation et la médicalisation du processus du mourir, le contrôle de la mort a glissé de l'individu aux mains de la profession médicale. Dans cette situation, les mourants ne sont même plus au courant, ni conscients de leur mourir. Philippe Ariès (Essais sur l’histoire de la mort en Occident du Moyen-Âge à nos jours, Paris, Seuil, 1975; L’homme devant la mort, Paris, Seuil, «Points», 1977), ose parler de «mort sauvage», enveloppée dans une aire de «mensonge» d'où la proximité de la mort est occultée (B. Glaser et A. Strauss, Awareness of Dying, Chicago, Aldine, 1965).

En revanche, le concept de la «bonne mort» renferme l'idée d'un certain degré de contrôle sur la mort par l'individu en termes de lieu et de temps. Or, aux yeux de M. Bloch et Parry, Death and the Regeneration of Life, Cambridge University Press, 1982) et de G. Howarth (Last Rites; the work of the modern funeral director, Amityville, NY, Baywood, 1996), il n'est pas évident que la mort, déterminée de la sorte, est nécessairement «bonne». Par exemple, dans l' Occident contemporain, on assume qu'une mort, au terme d'une longue vie, est un événement aussi naturel qu'inévitable et aisément acceptée par les aînés comme souhaitable (A. Stedeford, Facing Death: Patients, Families and Professionals, London, Heinemann, 1984). Le modèle de la bonne mort, attribuée à une personne qui meurt à un âge avancé, correspond sans doute à la perception des jeunes générations parce que celles-ci préfèrent reculer le plus loin possible leur propre mort. Or, ce faisant, non seulement, marginalisent-elles les personnes âgées, mais elles dénient la proximité de leur propre mort ou la finitude de toute vie (G. Howart, «"Just live for today." Living, ageing, caring and dying», Ageing and Society, 18, 6, 673-689; E, Hallam et al., Beyond the Body, Death and social identity, Londres, Routledge, 1999). Cette construction idéologque de la bonne mort contraste avec la mentalité de certaines époques antérieures, par exemple de l'Angleterre
au XIX° et au début du XX° siècle où l'enfance aurait été considérée comme le temps «naturel» de mourir (J. Walvin, A Child's World: a social history of English childhood 1800-1914, Harmondsworth, Penguin, 1982). En effet, les adultes de cette époque ne s'attendaient pas trop à que les enfants leur survivraient, comme c'est d'ailleurs encore toujours le cas dans des sociétés en voie de développement où le taux de mortalité infantile est encore très élevé.

Il y a une pluralité de définitions de la bonne mort qui sont effectivement des constructions culturelles et sociales. Par exemple, en temps de guerre*, la mort peut être estimée soit «bonne» (une mort noble) soit «mauvaise» (une vie gaspillée). Tout dépend, en effet, du point de vue que l'on adopte ainsi que de la perception que l'on a de l'ordre social ou de la façon dont on se situe par rapport à la société et de la gestion du bien public (M. Bradbury, Representations of Death: a social and psychological perspective, Londres, Routledge, 1999). Pour la compréhension de la bonne mort, aujourd'hui deux approches différentes sont privilégiées. La première approche assume que l'art du bien mourir est avant tout de l'ordre du bien-être physique de la personne en fin de vie, tandis que la seconde estime que l'art du bien mourir consiste à mourir «dignement» et insiste davantage sur la préparation de la personne à sa fin de la vie. C'est ainsi que les présente A. Kellehear bien qu'il présume que, dans la pratique, les deux peuvent converger dans un souci manifeste du personnel soignant de procurer aux personnes en fin de vie une mort digne et douce
(«Spirituality and Palliative care: a model of needs», Palliative Medecine, 14, 149-155).

De sa propre observation,
Kellehear déduit que le défi des personnes atteintes de cancer est de s'ajuster aux différents cycles de leur maladie et de leur traitement, d'accomplir diverses démarches en préparation de leur mort tout autant du point de vue financier que légal et religieux, de renoncer à leurs engagements sociaux que ce soit le travail rémunéré ou le bénévolat, de faire leurs adieux (Kellehear, op. cit., p. 210). L'attention du personnel soignant - professionnels, bénévoles et aidants naturels - se porte alors plus particulièrement au confort du malade par le soulagement de sa douleur, à son adaptation psychologique aux diverses phases de son deuil*. Du point de vue du personnel d'une institution médicale, la qualité des soins est une partie intégrante de toute définition de la «bonne mort».

Il ne faudrait pas pour autant que la seule bonne mort devienne la mort médicalement assistée. En effet, la qualité des soins professionnels est sans doute un des critères d'une bonne mort, mais n'est pas une condition sine qua non de l'art de bien mourir. Eb effet, depuis l'avènement de la médecine moderne, l'anxiété à l'égard de la nature des symptômes physiques s'est substituée à la sollicitude du salut de l'âme (M. Bradbury, p, cit., p. 192). La confiance croissante dans les potentialités médicales de soulager la douleur a exercé sur la population un impact tellement fort que l'hôpital est considéré comme le lieu privilégié de bien mourir. Ainsi l'on a rendu suspecte la mort à domicile. Heureusement aujourd'hui, de nouvelles tendances se manifestent en faveur d'un retour des soins médicaux à domicile, assurés par des équipes de santé familiale, composée de médecins, d'infirmières et des proches aidants.

Le modèle de la bonne mort, qui se dégage des «stades» (stages ou mieux: attitudes toward death) ou attitudes qu'une personne emprunte face à la mort dans son processus de mourir ou de deuil* telles qu'Élisabeth Kübler-Ross (1926-2004) les décrit est devenu dans certains milieux de l'hospitalisation ou des soins palliatifs comme une prescription. Ces «stades» ont été souvent interprétés comme des étapes, chronologiques et successives, à travers lesquelles une personne passe obligatoirement dans sa croissance intérieure ou spirituelle vers la mort, qui, elle, est «l'étape ultime de cette croissance»
(On Death ans Dying, New York, Macmillan, 1970). La description de ces stades (attitudes) a certainement son utilité dans la mesure où elle réussit à nommer et à expliquer les états psychologues que comporte «l'apprivoisement de la mort». Ces stades sont au nombre de cinq : déni (Denial and Isolation); colère (Anger); marchandage (Bargaining); dépression (Depression); acceptation (Acceptance). Cependant, comme le remarquent A. Hart, P. Sainsbury et S. Short, l'interprétation de ces stades a donné cours à l'élaboration d'une idéologie de la bonne mort («Whose dying? A sociological critique of the "good death"», Mortality, 1998, 3, 1, 65-77). Le dogme du bien mourir pourrait se proclamer comme suit: «mourir dans la dignité et la sérénité, être bien préparé. (preparedness) et être conscient, s'adapter et accepter» (A. Hart et al.op. cit., p. 65). Le bon mourant est un être docile et soumis aux impératifs de la profession médicale. G. Howarth tire comme conclusion de cet impératif de la modernité que ce modèle de la bonne mort est celui des professionnels plutôt que celui des mourants. Ce modèle convient sans doute à la culture occidentale, mais ne tient pas compte de la diversité culturelle parmi les patients. Nous pourrions ajouter: ce modèle de la bonne mort convient sans doute à certains groupes de la société occidentale, mais a un effet d'exclusion à l'endroit des individus et des groupes qui ne partagent pas la prédominance de l'approche médicale dans l'appropriation de la mort.
Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30

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