Nékrassov (1821-1877) a joué un rôle très important dans la vie littéraire russe par le soutien clairvoyant et désintéressé qu'il apporta aux débuts de nombreux grands écrivains, Léon Tolstoï* par exemple. Son poème «Je vais bientôt mourir» (1867) est «dédié à un ami inconnu qui m'a envoyé le poème "C'est impossible". Le poète y exprime son sentiment que son «timide silence» et son «modeste labeur» d'écriture ont apporté si peu à sa patrie. Loin de l'héroïsme* et du sacrifice* de sa vie, son don n'est qu'une goutte de sang commune» avec son peuple.
Je vais bientôt mourir.C'est un pauvre héritage,
O ma patrie! que je te laisserai.
Sous un funeste joug s'est passée mon enfance,
Puis ma jeunesse dans un douloureux combat,
Quand la tempête est brève, elle donne des forces,
Malgré le trouble d'un instant qui nous saisit,
Mais lorsque la tempête est longue, pour toujours
Elle habitue notre âme au timide silence.
Des années m'ont courbé sous leur poids accablant
Et leur trace jamais n'aura pu s'effacer,
Comme j'aurai connu peu de libres élans,
Moi qui fus tristement ton poète, ô patrie!
Cheminant aux côtés de ma Muse morose
Que j'en ai rencontré d'obstacles, d'interdits!...
Pour la goutte de sang commune avec le peuple
Tiens moi compte pourtant de mon labeur modeste!
[...]
Ma vocation était de chanter tes souffrances,
Peuple étonnant par la patience et de jeter
Ne fût-ce qu'un rayon de conscience au travers
Du chemin où par Dieu tu te trouves conduit;
Mais aimant trop la vie et ses bienfaits éphémères,
Rivé par mon milieu, rivé par l'habitude,
J'ai marché vers le but d'un pas bien hésitant,
Je n'ai pas fait le sacrifice de moi-même,
Et sans laisser de trace aura passé mon chant
Et jusqu'au peuple il n'est pas parvenu.
En lui seul mon amour aura pu s'exprimer
Pour toi, mon cher pays, en mon chant seulement!
Et parce qu'endurci chaque année davantage
Dans mon âme du moins j'aurai su le sauver,
Pour la goutte de sang commune avec le peuple
Pardonne, ma patrie, pardonne-moi mes fautes.
1867
Traduit par Gullevic.
O ma patrie! que je te laisserai.
Sous un funeste joug s'est passée mon enfance,
Puis ma jeunesse dans un douloureux combat,
Quand la tempête est brève, elle donne des forces,
Malgré le trouble d'un instant qui nous saisit,
Mais lorsque la tempête est longue, pour toujours
Elle habitue notre âme au timide silence.
Des années m'ont courbé sous leur poids accablant
Et leur trace jamais n'aura pu s'effacer,
Comme j'aurai connu peu de libres élans,
Moi qui fus tristement ton poète, ô patrie!
Cheminant aux côtés de ma Muse morose
Que j'en ai rencontré d'obstacles, d'interdits!...
Pour la goutte de sang commune avec le peuple
Tiens moi compte pourtant de mon labeur modeste!
[...]
Ma vocation était de chanter tes souffrances,
Peuple étonnant par la patience et de jeter
Ne fût-ce qu'un rayon de conscience au travers
Du chemin où par Dieu tu te trouves conduit;
Mais aimant trop la vie et ses bienfaits éphémères,
Rivé par mon milieu, rivé par l'habitude,
J'ai marché vers le but d'un pas bien hésitant,
Je n'ai pas fait le sacrifice de moi-même,
Et sans laisser de trace aura passé mon chant
Et jusqu'au peuple il n'est pas parvenu.
En lui seul mon amour aura pu s'exprimer
Pour toi, mon cher pays, en mon chant seulement!
Et parce qu'endurci chaque année davantage
Dans mon âme du moins j'aurai su le sauver,
Pour la goutte de sang commune avec le peuple
Pardonne, ma patrie, pardonne-moi mes fautes.
1867
Traduit par Gullevic.