Travail

Littré: «Peine qu'on prend pour faire quelque-chose. Le travail du corps. Le travail de l'esprit.» Dans le Trésor de la langue française, l'idée de peine est remplacée par celle d'effort soutenu. «Activité humaine exigeant un effort soutenu, qui vise à la modification des éléments naturels, à la création et/ou à la production de nouvelles choses, de nouvelles idées. » Dans l'une et l'autre définition, il subiste quelque chose de la conception traditionnelle selon laquelle le travail est châtiment. Cette connotation est-elle encore présente dans le sens le plus courant qu'on donne aujourd'hui, en 2005, à ce mot?

Essentiel

 


L'homme se définit par le travail
«Avec la Renaissance, commencera la mise en question systématique des ordres mendiants, de la vie monastique en général, et avec elle la critique de l'idéal de silence et de contemplation. Ce changement est si fondamental qu'il suffirait à faire considérer la Renaissance comme une période de rupture profonde dans l'histoire de notre civilisation. Car il témoigne d'une transformation globale de la conception de l'être humain, de son agir et de son destin, de son rapport à lui-même et au monde.
[...]
Le travail avait été, dès les débuts de l'humanité, et devait demeurer tout au long de sa pérégrination dans cette vallée de larmes et jusqu'au retour triomphant du Christ, une punition et une humiliation. Le Seigneur féodal, propriétaire du domaine, et les nobles médiévaux dans leur ensemble avaient bien compris ce message: ils avaient, selon le mot de l'historien Robert Delort, comme "principale occupation de ne pas travailler", se consacrant tout entiers aux nobles exercices du sport et de la guerre.

Rapidement, à mesure que se répand en Europe la vision d'un nouvel ordre des choses et d'un homme nouveau, le travail perd son caractère humiliant et dégradant. Par le travail sous ses diverses formes, par son action dans la cité, sa maîtrise des techniques ou son activité marchande, l'homme prouve sa force morale et son efficacité. À l'instar des Romains, qui constituent pour les humanistes le parfait modèle de vie autant que de beau langage, les hommes de la Renaissance sont invités à pratiquer la vertu. Comme l'expliquera clairement Machiavel au début du XVIe siècle, il ne s'agit plus là de la vertu chrétienne, qui ne peut concourir au salut de l'homme que dans la mesure où l'inspire et l'assiste la grâce divine, mais bien plutôt de la force virile par laquelle l'homme affirme sa liberté et sa grandeur. Le monde et l'histoire où elles s'exercent et triomphent ne sont plus régis par la prescience et le vouloir divins, mais soumis aux caprices de la fortune et à un aveugle destin.

Cette conviction que l'homme est éminemment responsable de son devenir, et qu'il atteint à sa dignité d'homme par l'exercice de son libre arbitre dans l'action efficace, pénètre généralement la pensée des humanistes. C'est dans toutes les sphères d'action que le travail se trouve ainsi revalorisé, sans exclure, bien au contraire, le domaine économique et l'activité marchande. Le noble médiéval, dont la guerre constituait la raison d'être, trouvait indigne de s'occuper lui-même de l'exploitation de son domaine et méprisait les bourgeois qui s'enrichissaient autrement que par la noble activité guerrière, donc de manière douteuse. La morale du Moyen Âge prohibait, par ailleurs, le prêt à intérêt et prônait le juste prix . Dès le XIIIe siècle, cependant, cette société féodale avait commencé de se désagréger et s'était amorcée la «longue marche vers le capitalisme», qu'il suffit d'évoquer ici. Corrélativement, toute tentative de fuir le monde est considérée comme une désertion, la vie monastique comme inutile et parasitaire. À l'apologie de la pauvreté, de la solitude et de la contemplation silencieuse se sont substitués l'exaltation de la puissance de l'homme et de ses inventions techniques, l'éloge du travail rentable et de la profession, de la famille et de l'action engagée dans le développement de l'économie et de la cité. C'est le travail et l'oeuvre de l'homme qui désormais le définissent, l'intelligence et la connaissance se soumettent maintenant aux exigences de l'action. Le puritanisme protestant en fournira la justification théologique et verra dans le succès matériel de l'homme sur terre le signe même de sa prédestination divine au bonheur céleste. Progressivement, pour reprendre une observation très judicieuse de Max Weber, les énergies de l'homme seront empêchées de se déployer dans le champ du plaisir et contraintes de s'investir dans le travail, dans la croissance économique, dans le désir du gain.»

GAÉTAN DAOUST,"Entre la mort de Dieu et le triomphe de la science: un homme
en quête d'identité"
, L'Agora, vol 1, no 3, décembre 1993




*******

Renversement des activités de l'homme
Quand toute activité est réduite au travail
Dans son principal ouvrage, Condition de l'homme moderne, Hannah Arendt développe systématiquement la thématique du renversement des activités de l'homme. Ces activités sont hiérarchisées ainsi: le travail, l'oeuvre et l'action. Le travail permet à l'homme de vivre. Par l'oeuvre, l'homme dépasse le nécessaire et accède au domaine utilitaire et artistique. Enfin, l'action, où sa liberté s'exerce pleinement, lui permet d'entrer dans le monde du politique. Or, constate Hannah Arendt, si l'homme a été remplacé par la machine dans bien des tâches qui constituaient naguère son travail, il n'a pas réussi à en profiter pour instaurer une ère de liberté indispensable à l'action et à la politique; il s'est au contraire soumis davantage au joug de la nécessité: tout est devenu travail. Ce phénomène est une régression, une réduction de l'activité de l'homme au niveau élémentaire, un renversement de la hiérarchie.



Le travail, élément libérateur de l'homme?
«Dès l’origine, on trouve un lien très fort entre travail et persécution, le verbe travailler lui-même venant du latin tripaliare qui se traduit par torturer avec un instrument appelé tripalium, c’est-à-dire constitué de trois pieux.

Ce n’est pas là un de ses moindres paradoxes que le travail réservé aux esclaves et, par là-même, symbole de la soumission, soit devenu, au fil des temps, l’instrument de la libération de l’Homme, Sartre ayant pu écrire que l’élément libérateur de l’opprimé, c’est le travail

MICHEL DEBOUT, Le harcèlement moral au travail. Avis adopté par le Conseil économique et social de la République française au cours de sa séance du 11 avril 2001

Enjeux

Situation du travail dans le monde actuel

«Bien qu’en ce début du XXIe siècle la situation de l’emploi dans le monde ait tendance à s’améliorer par rapport à la décennie écoulée, «elle est encore très défaillante». Tel est le constat que fait le BIT dans son Rapport sur l’emploi dans le monde 2001.

Les auteurs rappellent que près d’un tiers des actifs du monde, qui sont environ trois milliards, sont «au chômage ou sous employés, soit qu’ils recherchent davantage de travail soit que leurs revenus sont inférieurs à ce qu’il faudrait pour mettre leurs familles à l’abri de la pauvreté».

Le BIT estime qu’à la fin de l’an 2000 «160 millions de personnes, c’est-à-dire 20 millions de plus qu’au plus fort de la crise financière asiatique de 1998», étaient officiellement au chômage. Qui plus est, la nombreuse population indigente des pays en développement vit des maigres revenus des travailleurs pauvres qui ne jouissent généralement ni de conditions de sécurité et d’hygiène du travail satisfaisantes ni de la sécurité de l’emploi et du revenu.

Les auteurs considèrent que, malgré les difficultés auxquelles sont en butte les marchés du travail mondiaux, les perspectives d’une amélioration de la situation mondiale de l’emploi sont «meilleures aujourd’hui que dans le passé récent». Pour ce qui est du monde industrialisé, ils justifient cet optimisme par les taux de croissance élevés enregistrés aux Etats-Unis de 1995 à 2000, le plus grand dynamisme de l’Europe et l’amélioration de la situation du Japon.

L’espoir suscité par la reprise de la croissance s’étend à l’Asie de l’Est «dont la guérison rapide de la crise financière de 1997-98 a surpris les pessimistes». L’Afrique et l’Amérique latine «commencent, elles aussi, à se remettre de plusieurs années de baisse de la production par habitant». Dans les pays en transition, «la production augmente». La Russie (grâce en partie à la flambée des cours du pétrole en 2000) «se relève à une vitesse inespérée de sa crise de 1998».

Il est cependant à craindre qu’à long terme la croissance ne puisse à elle seule garantir la création des 500 millions d’emplois et plus qui seront nécessaires d’ici 2010 pour satisfaire les nouveaux demandeurs d’emplois et réduire de moitié le taux de chômage actuel. Selon le BIT, la réalisation d’un tel objectif exigera que l’on accorde beaucoup plus d’importance aux problèmes fondamentaux du marché du travail, notamment en investissant davantage dans le capital humain, en éliminant la discrimination et en faisant de l’emploi l’enjeu central de la politique économique.

Tendances régionales

Certes, les travailleurs des Etats-Unis et d’autres pays industrialisés trouvent plus facilement du travail, mais «le chômage augmente en Amérique latine et au Caraïbes, demeure élevé en Europe centrale et orientale, au Moyen-Orient et en Afrique du Nord ainsi que dans les villes de l’Afrique subsaharienne et commence à apparaître au grand jour en Chine», font observer les auteurs du rapport.

En Asie du Sud, la situation est mitigée bien que la hausse apparemment soutenue des taux de croissance donne des raisons d’espérer. En Inde, il n’est pas encore certain que la croissance ait fait sensiblement reculer la pauvreté. Au Pakistan, malgré une récente amélioration, le chômage déclaré a augmenté et la récession qui perdure a précipité près de 20 millions de personnes au-dessous du seuil de pauvreté en dix ans. Au Sri Lanka, le chômage a quelque peu diminué durant la deuxième partie des années quatre-vingt-dix, mais il demeure élevé chez les jeunes qui ont fait des études.

En Asie de l’Est, les économies se remettent de la crise financière mais «le marché du travail, qui a été plus durement touché que la production, reprend plus lentement le dessus», constatent les auteurs du rapport.

En Chine, les entreprises d’Etat, dont la restructuration se poursuit, ne représentent plus aujourd’hui que 13 pour cent de l’emploi total contre 16 pour cent au début des années quatre-vingt-dix. Dans le secteur privé, l’emploi a augmenté de 1 pour cent de la population active en 1990 à près de 5 pour cent en 1998. Cependant, l’exode rural s’accélère et de nombreux travailleurs officiellement employés dans des entreprises d’Etat ne travaillent pas en réalité: c’est pourquoi, la banque régionale de développement estime que «en 1999, le taux de chômage urbain corrigé était de 9,5 pour cent alors que le chiffre officiel était de 3,1 pour cent».

En Afrique du Nord et au Moyen-Orient, «le chômage constitue toujours un énorme problème». Ainsi, «à la fin des années quatre-vingt-dix, le taux de chômage était estimé à 29 pour cent en Algérie, 9 pour cent au Liban, 22 pour cent au Maroc et 8 pour cent en Egypte».

Ces chiffres s’expliquent principalement par les taux de natalité élevés et le recul de l’emploi dans la fonction publique.

En Amérique latine, des taux de chômage moyens de 9 à 10 pour cent étaient généralement la règle à la fin des années quatre-vingt-dix et les salaires réels, qui ont stagné ou baissé ces dernières années, n’ont que légèrement remonté en 2000, à cause de la mauvaise tenue de l’économie qui s’est traduite par une baisse du PIB réel dans plusieurs pays. Dans l’ensemble, malgré une légère reprise de la croissance en 2000, le chômage n’a pas encore commencé à reculer. Au Mexique, cependant, le chômage a ralenti et les salaires réels, qui avaient baissé pendant la majeure partie de la décennie, se sont orientés à la hausse. Le secteur non structuré est un grand pourvoyeur d’emplois en Amérique latine.

Sur les marchés du travail des Caraïbes, des taux de chômage à deux chiffres sont la règle. Toutefois, certains pays tels que Trinité-et-Tobago, la Barbade et les Bahamas ont enregistré une baisse du chômage, «principalement due à une amélioration de la croissance économique et à une plus grande absorption de la main-d’œuvre par le secteur non structuré».

L’Afrique subsaharienne est toujours la région du monde dans laquelle l’extrême pauvreté est la plus répandue. Les catastrophes naturelles, les conflits civils et la faiblesse des cours des produits de base continuent à hypothéquer lourdement l’avenir des pays les plus pauvres de la région, dont le Mozambique, la République démocratique du Congo et la Sierra Leone. Le spectre du VIH/SIDA plane sur tout le continent.

En Afrique australe, les taux de chômage les plus récents sont 19,5 pour cent en Namibie, 23, 3 pour cent en Afrique du Sud et 42 pour cent au Lesotho.

Dans les pays en transition d’Europe centrale et orientale, le taux de chômage déclaré est estimé à plus de 14 pour cent, mais la situation est encore plus grave chez les jeunes où il atteint presque 30 pour cent, soit le double du taux moyen de l’Europe de l’Ouest. «Le chômage de longue durée pose également un grave problème» indique le rapport. Il varie de 16 pour cent du chômage total en République tchèque à 68 pour cent en Géorgie.

Les auteurs avertissent que, malgré les progrès accomplis dans beaucoup de ces pays, «une nouvelle forme de pauvreté a fait son apparition dans les économies en transition», dont sont victimes les petits salariés, les chômeurs, les personnes âgées et les travailleurs qui ne sont pas payés. «Le salaire minimum est tombé en deçà du minimum vital dans la plupart des pays et en particulier dans les pays de la Communauté d’Etats indépendants (CEI) où les salaires demeurent fréquemment impayés.»

C’est dans les pays de l’OCDE, où le chômage a globalement diminué – le chômage de longue de durée baissant même de 35 pour cent à près de 31 pour cent ces dernières années – que la situation de l’emploi s’est le plus transformée. Cependant, la persistance du chômage de longue durée à des taux supérieurs à 50 pour cent du chômage total dans des pays tels que la Belgique, l’Italie et le Portugal «constitue toujours un problème économique et social de fond et un important facteur de pauvreté», peut-on lire dans le rapport.

Les auteurs attirent l’attention sur l’apparition de nouvelles formes d’emploi en vertu desquelles les entreprises ont de plus en plus recours à des travailleurs à temps partiel et à des contrats à court terme. «En outre, les entreprises se tournent de plus en plus vers l’extérieur en faisant appel à des agences d’intérim, à l’externalisation, à la sous-traitance et à des travailleurs indépendants.»

«Ce phénomène accentue la vulnérabilité des travailleurs secondaires, toujours plus nombreux, qui voient ainsi non seulement se restreindre leurs perspectives de carrière et de formation mais encore se détériorer leurs conditions d’emploi», avertissent les auteurs.

De 1990 à 1999, le travail à temps partiel a augmenté de 14 à 16 pour cent de l’ensemble de la population active de l’OCDE. L’importance relative de l’emploi temporaire augmente elle aussi, puisqu’elle est passée de 10 à 12 pour cent de la population active de douze pays de l’Union européenne (UE) pour lesquels il existe des données. Le travail occasionnel et le travail sans un contrat en bonne et due forme est de plus en plus courant dans le monde entier et notamment dans beaucoup de pays qui libéralisent les marchés des produits et du travail, tels que l’Argentine, le Brésil, le Pakistan et le Sri Lanka.

L’emploi indépendant augmente plus rapidement que l’emploi traditionnel bien qu’il représente une part relativement faible de l’emploi total: 12 pour cent en moyenne de la population active. Aux Etats-Unis, 7 pour cent seulement de la population active sont des travailleurs indépendants alors que ce pourcentage est de 23 pour cent en Italie, 25 pour cent en Turquie et en République de Corée et de 26 pour cent au Mexique. De 1990 à 1999, le travail à temps partiel est passé de 13 à 16 pour cent de la population active de l’UE. En Amérique latine, environ 25 pour cent de tous les travailleurs sont indépendants.

Le nombre des travailleurs itinérants est aussi en augmentation, ceux qui sont spécialisés dans les technologies de pointe s’en tirant généralement bien, contrairement aux centaines de milliers de migrants en situation irrégulière ou clandestins, dont le bilan est souvent désastreux. Les auteurs du rapport constatent que «les travailleurs les plus qualifiés se déplacent de plus en plus librement» sur le marché du travail mondial et surtout dans le secteur des technologies de l’information et la communication (TIC) des pays industrialisés, qui manque cruellement de personnel spécialisé. Selon eux, «l’Inde, l’Europe de l’Est et l’Afrique du Nord deviendront probablement de grandes sources d’approvisionnement».

Les perspectives de l’emploi à court et à moyen terme dépendent de la durabilité de l’actuelle reprise de l’économie mondiale. De nombreuses incertitudes subsistent: en fin de trajectoire, l’économie des Etats-Unis connaîtra-t-elle un atterrissage «brutal» ou un atterrissage «en souplesse»? L’Europe prendra-t-elle le relais comme moteur de l’économie mondiale? Le redressement économique de la Russie sera-t-il durable? Sur tous ces points, les auteurs du rapport adoptent en définitive une attitude optimiste. La poursuite de la croissance offrirait la bouffée d’oxygène nécessaire pour corriger les nombreuses failles de la politique de l’emploi, qui sont relevées dans le rapport.»

source: La situation mondiale de l’emploi s’améliore mais demeure à bien des égards «défaillante». Rapport sur l'emploi dans le monde 2001. Dossier de presse. Organisation internationale du travail

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