Réalité
Le réel c'est ce que je sens, ce que je connais par les sens, mais c'est aussi ce qui me résiste. D'où peut-être cette distinction du dictionnaire philosophique Lalande: «L'air est réel, l'arc-en-ciel ne l'est pas.» On les connaît l'un et l'autre par les sens, mais l'arc-en-ciel, accident d'optique, n'offre aucune résistance, tandis qu'il existe une résistance de l'air.
Les choses sont plus complexes. Réalité est l'un de ces mots qui engage toute la philosophie. Quand je dis que le réel c'est ce que je connais par les sens, j'en exclus les idées pures. Or on peut, comme Platon, penser que ces idées sont réelles, plus réelles même que les apparences sous lesquelles elles se présentent à notre sensibilité. D'où le fait que l'on qualifie de réaliste la philosophie de Platon.
Mais il existe aussi des arcs-en-ciel dans le domaine des idées; qu'est-ce qui les distingue de l'air? L'idée réelle se distingue de l'idée irréelle en ce qu'elle est une victoire sur ce qui lui résiste en nous: l'illusion. Nous n'aimons pas ouvrir la lettre qui va nous donner la mesure précise de notre endettement. Nous préférons d'abord l'illusion de la richesse. Nous n'aimons pas non plus le messager qui nous apprend que nous avons été victime d'une grave injustice. C'est néanmoins par l'injustice douloureusement ressentie que l'idée de justice se révèle à nous dans toute sa réalité, dans toute sa vérité. La vérité n'est pas là où nous la cherchons, mais là où nous refusons de la voir.
«La contradiction est le criterium du réel»(S.W.) Nous résistons à la réalité, précise Simone Weil, parce que nous craignons le vide devant lequel nous place la contradiction qui en est le critère.Bergson disait:«Il faut penser ce qu'on voit et non voir ce qu'on pense.»