Du Bos Charles

"Les Approximations de Charles Du Bos, c’est une collection d’Essais sur Valéry, Madame de Noailles, Gide, Proust, Amiel, Flaubert, Baudelaire, Bourget. Pareille constellation donne à cette collection d’essais une note temporelle. Mais si c’est l’actualité littéraire qui a fourni l’occasion de ces études, ce livre représente une attitude parfaitement inactuelle, dans le meilleur sens du mot. Pour peu que nous nous plongions dans cette lecture, nous nous sentons enveloppés de calme et de recueillement. C’est l’atmosphère de la contemplation.

M. Ernst-Robert Curtius explique ce terme emprunté à la vie mystique. La critique européenne se tient ordinairement sur le plan de l’intelligence discursive. Finesse psychologique, intelligence nuancée, compréhension artistique très développée, telles sont les qualités fondamentales de cette critique, en particulier de la critique française, de Sainte-Beuve à Thibaudet.

La critique de Charles Du Bos est d’une tout autre sorte. Elle a sa source, non pas dans l’intelligence analytique, mais dans une expérience intérieure d’espèce métaphysique, dans cet événement vécu que le chrétien nomme l’attouchement de la grâce, le mystique, l’illumination, l’artiste, la vision, le philosophe, l’intuition. Tous ces phénomènes ont un élément commun : la conscience d’une élévation soudaine, d’un brusque enlèvement, d’une véritable transmigration de l’âme, qui lui révèle une nouvelle science, lui dévoile une nouvelle réalité; c’est cet événement que Du Bos décrit sous le nom d’exaltation. […] Cette exaltation est d’une haute valeur et doit être mise sur le même rang que celle que Proust a donné de la création artistique.

Chez Charles Du Bos, la critique littéraire devient le moyen d’exprimer une expérience intime de l’art, qui s’abreuve aux sources mêmes de cette exaltation. Elle nous donne la possibilité rare et précieuse de considérer la littérature française à travers une rare spiritualité extra-française (M. Ernst Curtius a montré précédemment que cette spiritualité jaillissait moins spontanément dans la littérature française que dans la littérature anglaise).

Mais une pareille critique aura grand peine à se faire apprécier à son vrai mérite par la critique sociale. La seule forme qui convienne de façon entièrement adéquate à cette critique est peut-être le « Journal ». Les notations d’Amiel, Mon cœur mis à nu de Baudelaire, sont dans cette direction. Le Journal inédit de Charles Du Bos nous réserve des trésors spirituels.

L’essai tel qu’il le manie, est une œuvre d’art qui prend forme en émergeant, pour ainsi dire, du courant d’une méditation continuellement intérieure, telle qu’elle se dépeint au cours d’un Journal intellectuel. Ces Essais ne s’adressent qu’à des lecteurs dont l’intention est de suivre juqu’au bout l’auteur dans ses efforts pour ramifier et sonder toujours plus avant la pensée. L’homme pressé ne saura qu’en faire. Ils lui paraîtront beaucoup trop subtils. Ce qu’il veut, ce sont des résultats, et il ne trouvera là que des Approximations. Mais ce qui fait justement la beauté toute particulière de ces essais, c’est que le critique exige de nous cette noble tension de l’esprit dans laquelle on ne pourra jamais forcer la porte de la « House Beautiful ». (D’après Ernst-Robert Curtius, La Revue Nouvelle, 15 juillet-15 août 1926)"

Chronique des lettres françaises, nos 23-24, septembre-décembre 1926, p. 785-786.

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