Marc Chevrier

Trois témoignages

Alexandre Poulin, essayiste

Marc Chevrier est né en 1964. Après des études de droit à l’Université de Montréal (1987), il a obtenu une maîtrise en droit à l’Université de Cambridge (1988) et un doctorat en science politique de l’Institut d’études politiques de Paris (2001). Après treize années passées dans la fonction publique du Québec, notamment au ministère du Conseil exécutif et au ministère des Relations internationales, il est devenu en 2002 professeur au Département de science politique de l’Université du Québec à Montréal. Après Le temps de l’homme fini (Boréal, 2005), qui l’a fait connaître en tant que brillant essayiste, Chevrier a publié La République québécoise. Hommages à une idée suspecte (Boréal, 2012), couronné du prix Richard-Arès, et L’empire en marche. Des peuples sans qualité, de Vienne à Ottawa (Presses de l’Université Laval, 2019), lui aussi récompensé par le prix Richard-Arès de la revue L’Action nationale. Avec des collègues, Marc Chevrier a dirigé plusieurs ouvrages collectifs, dont La France depuis de Gaulle (Presses de l’Université de Montréal, 2010), Voyage dans l’autre de la modernité. Essais d’anthropologie philosophique (Fides, 2011) et De la République en Amérique française. Anthologie pédagogique des discours républicains au Québec, 1703-1967 (Septentrion, 2013).

Depuis son entrée dans le monde intellectuel, le professeur Marc Chevrier a collaboré à de nombreuses revues généralistes, parmi lesquelles Argument, dont il est membre du comité de rédaction, L’Action nationale, et L’Inconvénient. Il a surtout été un infatigable et fidèle collaborateur de L’Agora depuis presque les tout débuts, offrant à la revue imprimée d’abord, ensuite à la revue numérique, d’innombrables textes étoffés mêlant réflexions politiques et constitutionnelles. Rares sont ceux au Québec qui construisent une œuvre se situant au confluent du politique, du droit constitutionnel et de la philosophie, en usant d’une plume des plus élégantes. Marc Chevrier est un philosophe du politique, un essayiste au ton cohérent et toujours étonnant; la finesse et la probité intellectuelles sont la marque de ce savant engagé dans la Cité. Un savant : c’est de cela qu’il est question d’abord et avant tout. Mais Chevrier n’est pas de ceux qui, trop nombreux, se retirent sur l’Aventin ou se contentent de leur statut de techniciens du savoir pratique. Il est aussi de ceux qu’on nomme intellectuels, de ceux qui, pour reprendre une formule de Fernand Dumont, apportent de nouveaux paramètres au débat collectif. Et puis-je ajouter que cet apport est tout à fait singulier ?

On trouvera un tableau détaillé de ses travaux et ses intérêts à l’adresse suivante : https://professeurs.uqam.ca/professeur/chevrier.marc

Nicolas Bourdon, écrivain et professeur de littérature au Cégep Bois-de-Boulogne

Je sais bien que Marc Chevrier souhaite qu’on ne le définisse pas comme un militant, mais je ne peux m’empêcher de remarquer malicieusement que sa démarche même nie le fédéralisme, le fédéralisme canadien en particulier. En ce sens, son approche est beaucoup plus radicale que celle d’un politicien nationaliste, voire souverainiste, qui se contenterait d’un lac Meech ou de quelques ententes fédérales-proviciales pour se déclarer satisfait.  

En convoquant la littérature dans ses ouvrages savants, Marc Chevrier peint l’être de chair et de sang, l’être concret, enraciné dans un milieu et dans une époque, être auquel le fédéralisme, dont le but est de bâtir de grands ensembles homogènes, n’accorde que peu d’attention. Dans L’empire en marche, Chevrier s’intéresse à l’écrivain Robert Musil qui, dans son grand roman, tente de capter la vie d’un jeune mathématicien souffrant d’une irrésolution presque maladive qui le rend disponible à tout. Cet homme sans qualités lui a permis de comprendre intimement le sort des peuples sans qualités, peuples sans personnalité forte, soumis à la puissance tutélaire d’un régime fédéral. Il y a donc chez Marc Chevrier un aller-retour constant entre l’individuel et le collectif et entre le collectif et l’individuel, aller-retour que la littérature rend possible.     

Rien d’organique ou d’enraciné dans le fédéralisme : il est une construction abstraite. On pourrait difficilement concevoir un poète ou un écrivain se faire le chantre de la nation canadienne sans aligner une série de clichés et de lieux communs tel Justin Trudeau qui déclarait dans son discours à la nation du 23 septembre 2020 : « Les Canadiens, on est des gens qui disent : "Je suis capable" » S’il est si difficile de trouver des caractéristiques tangibles à la nation canadienne, c’est précisément parce qu’elle n’existe pas. Le premier ministre, qui a déjà déclaré que le Canada était un pays postnational, voudrait bien parfois, quand l’urgence de la situation le réclame, qu’elle existe un petit peu, même si c’est de manière éphémère, mais il doit alors appeler des illusions en renfort.

Le recours à la littérature, à la bonne littérature, permet de briser le rideau des illusions pour paraphraser Kundera. Ce n’est pas par hasard que Chevrier l’évoque si souvent dans ses œuvres et particulièrement dans l’Empire en marche : elle lui permet de voir au-delà des images « sucrées » des politiciens pour saisir la réalité dans son amère fadeur.  ***

Georges-Rémy Fortin, essayiste et professeur de philosophie au Cégep Bois-de-Boulogne.

Marc Chevrier est un politicologue québécois, spécialiste du droit constitutionnel, mais également un écrivain et un philosophe. Son œuvre est un dialogue aussi bien avec les penseurs classiques les plus influents du droit et de la politique, qu’avec des figures parfois oubliées ou sous-estimées de l’histoire des idées. Il a ainsi contribué à faire connaître et à faire rayonner un grand nombre de penseurs politiques de l’histoire du Québec.

Polyglotte, Marc Chevrier entretient un dialogue avec des auteurs de nombreux horizons linguistiques. Ses analyses s’étendent à des textes en de nombreuses langues, dont, outre le français et l’anglais, l’allemand, l’italien et l’espagnol. Son souci de l’enracinement se traduit par un va et vient constant entre la politique québécoise, canadienne, nord-américaine, française et internationale.

L’œuvre de Marc Chevrier contient une dimension philosophique importante. Saint Augustin, Montesquieu, Hegel, Arendt, sont quelques-uns des auteurs auxquels il a consacré des analyses critiques, auxquels il faut ajouter de nombreux penseurs québécois et canadiens, Hermas Bastien, André Dagenais, Lord Haldane ou Charles Taylor, pour ne donner que quelques exemples. La pensée philosophique de Chevrier englobe notamment les questions de l’État et de sa légitimité (République), de même que celles de la nature et du rôle de la constitution, de la domination politique (concept d’empire, de fédéralisme), et du rapport entre l’État et la religion.

Sa méthode ne prétend pas à une objectivité désincarnée, mais sa pensée ne cède pas non plus à la partisannerie. Marc Chevrier s’inscrit dans la tradition de la pensée politique française, celle de Montesquieu, Chateaubriand, Tocqueville, Aron, Gauchet et Manent, tradition dans laquelle chacun développe un style et une méthode qui lui est propre, mariant la recherche de la vérité et un respect absolu pour la liberté humaine.

Profond et sensible, Marc Chevrier garde toujours une oreille attentive aux vibrations de l’âme humaine, jusque dans la pratique la plus technique de l’analyse juridique, constitutionnelle et institutionnelle. Sa pensée philosophique a une dimension existentielle, soucieuse aussi bien du sens des mots, de l’art, et des représentations symboliques que, plus largement, du sens de notre rapport aux personnes et à la nature.

Articles


À propos de L’empire en marche : les métamorphoses de la magnanimité , de la cité à l’empire, et de l’empire à l’État-nation.

Georges-Rémy Fortin
Le titre est un hommage à l’ouvrage Les métamorphoses de la cité, de Pierre Manent

Extrait

"Marc Chevrier n’est pas de ceux qui, trop nombreux, se retirent sur l’Aventin ou se contentent de leur statut de techniciens du savoir pratique. Il est aussi de ceux qu’on nomme intellectuels, de ceux qui, pour reprendre une formule de Fernand Dumont, apportent de nouveaux paramètres au débat collectif. " Alexandre Poulin

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