Essentiel
Selon la thèse de Platon sur la division tripartite de l'âme, le coeur est le lieu du courage, comme l'étymologie nous invite à le penser. Et il n'y pas d'harmonie intérieure possible si le coeur n'occupe pas sa place, intermédiaire entre la tête, siège de la raison et le ventre siège du désir. «Mais ce qui est difficile, écrit Platon, c'est de décider si tous nos actes sont produits par le même principe ou s'il y a trois principes chargés chacun de leur fonction respective, c'est-à-dire si l'un de ces principes qui est en nous fait que nous apprenons (Noos), un autre que nous nous mettons en colère (Thumos), un troisième que nous recherchons le plaisir de manger, d'engendrer... (Epithumia).» Voici donc la tête, le cœur et le ventre, la tête étant le lieu de la raison, de la pensée, le ventre celui du désir. Il ne faudrait toutefois pas limiter le cœur à la colère au sens que nous donnons à ce mot. Le Thumos est en réalité le siège du courage, du sentiment de dignité, de fierté.
Enjeux
«Ce n’est pas faire preuve de courage que de s’en prendre à des choses dépassées ou désuètes, pas plus que de provoquer sa grand-mère. L’homme réellement courageux est celui qui brave les tyrannies jeunes comme des matins et les superstitions fraîches commes les premières fleurs.»
G. K. CHESTERTON, Saying of the wise.
*******
Raison, rigueur et courage
«L’accès à la pensée personnelle est la première étape de la rationalité, de l’esprit scientifique. À en juger par la place qu’occupent les symboles de la science et de la technologie autour de nous, nous pourrions conclure que nous souffrons tous d’un excès de rationalité. On s’attend en effet à ce que la jouissance de tous ces bienfaits de la pensée rationnelle : la voiture, l’ordinateur, l’avion, induisent chez les gens l’habitude d’aborder toutes les questions avec rigueur. Or on a vu récemment comment la propagande pouvait être efficace dans le pays le plus technicisé du monde. On voit tous les jours, partout, comment les mêmes utilisateurs de la technique se prennent au piège des sectes les plus grossières, ajoutent foi aux opinions les moins fondées. Pourtant ces personnes sont non seulement des habituées de la technique, mais elles ont aussi suivi, pour la plupart, des cours de science. C’est que la rigueur est d’abord une affaire de courage. Nous avons devant la vérité la même attitude que devant une lettre enregistrée: nous hésitons à nous approcher d’elle. Il nous faut du courage pour le faire.
Comment ce courage de la vérité s’acquiert-il? Platon expliquait qu’on s’initie à la rigueur par les mathématiques comme un enfant apprend à lire plus facilement avec de gros caractères. L’objet des mathématiques, précise un de ses commentateurs, c’est la nécessité séparée de son support matériel. Par nécessité, il faut entendre des rapports de causalité entre des phénomènes. Si j’ai mal à l’estomac en ce moment, c’est probablement parce que j’ai trop mangé de plats difficiles à digérer et non parce que la conjoncture des astres m’est défavorable en ce moment. La rigueur, toujours proche du bon sens, exige que, devant un phénomène à expliquer, nous fassions d’abord l’hypothèse la plus simple, la plus matérielle. Cela équivaut à lire la nécessité à travers la sensation, opération difficile car nos sensations nous troublent et suscitent notre attachement. D’où l’intérêt d’apprendre à lire la nécessité quand elle est séparée de son support matériel, à travers les mathématiques et les autres sciences rigoureuses. Vues sous cet angle, les disciplines scientifiques sont de merveilleux moyens de formation générale.
Le courage, comme toute autre vertu se nourrit aussi d’exemples. Pendant des siècles en Occident la base de l’éducation morale fut assurée par la lecture des Vies des hommes illustres de Plutarque : César, Alexandre, Périclès, Thémistocle. Ils n’étaient pas tous des saints, loin de là, ni des génies, mais ils avaient tous du courage, de la grandeur et Plutarque, en bon moraliste, les présente de telle sorte que le lecteur puisse faire son profit de leurs échecs comme de leurs réussites. Le sport peut aussi être une bonne école de courage, bien qu’il soit trop souvent une école de compétition où le souci d’éclipser l’autre, voire de l’éliminer, a beaucoup plus d’importance que le souci de demeurer maître de soi-même.
L’importance accordée au courage dans nos écoles est-elle suffisante? Les valeurs molles dont parle Jacques Grandmaison, n’ont-elles pas pris trop de place ? La pédagogie approbatrice destinée à renforcer l’estime de soi chez les jeunes n’a-t-elle pas été poussée un peu trop loin ? Le courage de la vérité a besoin d’un climat.
Les conditions spirituelles
Devenir courageux c’est apprivoiser la mort, la mort du corps certes, mais aussi celle du moi. (Par moi, j’entends le moi haïssable de Pascal et non celui de Freud!) À l’origine de toutes nos lâchetés dans la vie courante, et de la perte d’autonomie qui en résulte, il y a un attachement démesuré au moi. Si, jour après jour, nous nous laissons passivement remplir par les images et les opinions de la télévision, c’est parce que notre moi trouve dans ces distractions un confort et une indifférence qui le protègent contre les aspérités de la vérité.
Le remède à ce mal, le détachement, est au cœur de toutes les grandes spiritualités et de toutes les philosophies dans la mesure où, comme celle de Socrate, elles enferment des préceptes pour la conduite de la vie. Qu’il soit inspiré par le souci d’une immortalité exigeant la purification, par le simple désir d’aimer sans réserve et de s’accomplir par ce moyen, d’accéder à la perfection, de devenir rayonnant, le souci du détachement est la condition la plus élevée et la plus déterminante de notre autonomie, de notre compétence proprement humaine. Là où cette dimension est absente, les étages inférieurs de l’autonomie risquent fort de s’effondrer. La spiritualité est la clé de voûte de notre être.»
JACQUES DUFRESNE, La pédagogie humaniste. Voir ce texte.