La vie de Thémistocle - 2e partie

Plutarque
XX. Après la bataille, Xerxès, qui voulait lutter encore avec courage contre le malheur, entreprit de combler le détroit, afin de conduire par-là son armée de terre à Salamine, et de fermer ce passage aux Grecs. Thémistocle, pour sonder Aristide, feignit de vouloir passer dans l’Hellespont pour y couper le pont de bateaux que Xerxès y avait construit, afin, lui dit-il, que nous prenions l'Asie dans l'Europe. Aristide ne goûta point ce projet: «Jusqu'à présent, dit-il à Thémistocle, nous avons combattu contre un roi amolli par les délices; mais si nous l'enfermons dans la Grèce, et que la crainte le réduise à la nécessité de combattre, lorsqu'il commande encore à des troupes si nombreuses, alors il ne se tiendra plus sous un pavillon doré pour y être le spectateur tranquille du combat; il osera tout tenter, il se portera partout où le danger l'appellera: il réparera ses pertes, et voyant qu'il s'agit de tout pour lui, il suivra de meilleurs conseils. Ainsi, Thémistocle, loin de rompre ce pont, il faudrait pouvoir lui en bâtir un second pour le chasser plus tôt de l'Europe. - Si vous jugez ce parti utile, reprit Thémistocle, il est temps de nous en occuper tous ensemble, et d'imaginer quelque stratagème pour le faire sortir de la Grèce le plus promptement possible.» Ce parti ayant été résolu, Thémistocle prit un eunuque de Xerxès, nommé Arnaces, qui se trouvait parmi les prisonniers, et l'envoya vers ce prince, avec ordre de lui dire que les Grecs, vainqueurs sur mer, se préparaient à faire voile vers l'Hellespont pour couper le pont de bateaux qu'il avait construit; que Thémistocle, qui s'intéressait toujours au roi, lui conseillait de regagner au plus tôt les mers de son obéissance, pour de là passer en Asie; que de son côté il trouverait des prétextes pour amuser les alliés et retarder leur poursuite. À cette nouvelle, le Barbare, saisi d'effroi, fit sa retraite avec la plus grande précipitation. La suite des événements justifia la prudence de Thémistocle et d'Aristide, par le danger extrême que courut la Grèce à la bataille de Platée, contre Mardonius, qui n'avait cependant qu'une petite partie de l'armée de Xerxès.
XXI. De toutes les villes de la Grèce, Égine fut, au rapport d'Hérodote, celle qui se distingua le plus à cette bataille: mais tous les Grecs adjugèrent à Thémistocle le prix de la valeur, avec regret cependant, parce qu'ils portaient envie à sa gloire. Quand ils furent rentrés dans l'isthme, et que les capitaines eurent pris sur l'autel les billets qui devaient servir à donner leur suffrage, chacun s'adjugea le premier prix du courage, et donna le second à Thémistocle. Les Lacédémoniens eux-mêmes l'ayant mené à Sparte, décernèrent à Eurybiade le prix de la valeur, et à Thémistocle celui de la sagesse; ils leur donnèrent à chacun une branche d'olivier, et firent présent à Thémistocle du plus beau char qui fût dans la ville; enfin, lorsqu'il partit, trois cents jeunes Spartiates le reconduisirent par honneur jusqu'aux frontières de la Laconie. Aux premiers jeux olympiques qui suivirent cette bataille, Thémistocle ayant paru dans le stade, les spectateurs, oubliant les combattants, eurent toute la journée les yeux fixés sur lui; ils le montraient aux étrangers, ils battaient des mains, et ne pouvaient assez lui témoigner toute leur admiration. Thémistocle, hors de lui-même, avoua à ses amis que ce jour seul le payait de tout ce qu'il avait souffert pour la Grèce.
XXII. Sa passion pour la gloire était sans bornes, à en juger par les divers traits qu'on rapporte de lui. Lorsque les Athéniens l'eurent nommé leur amiral, il suspendit l'expédition de toute affaire publique ou particulière; et toutes celles qui lui survinrent, il les renvoya au jour qu'il devait s'embarquer, afin qu'en le voyant juger à la fois un si grand nombre d'affaires et parler à tant de sortes de gens, on conçût une plus haute idée de sa grandeur et de sa puissance. Un jour, en passant le long du rivage de la mer, il s'arrêta à regarder les corps morts que les flots apportaient; et en ayant vu plusieurs qui avaient des colliers et des bracelets d'or, il continua son chemin, et dit à un de ses amis qui le suivait: «Prends cela, car tu n'es pas Thémistocle.» Un jeune homme d'une grande beauté, appelé Antiphatès, qui d'abord avait traité Thémistocle avec beaucoup de fierté, lui faisait assidûment la cour depuis qu'il avait acquis une grande réputation: «Mon ami, lui dit Thémistocle, nous sommes devenus sages en même temps, mais tous deux un peu tard.» Il disait que les Athéniens n'avaient plus pour lui d'admiration ni d'estime; mais qu'ils se servaient de lui comme d'un platane, sous lequel on va se réfugier pendant l'orage; et lorsque le calme est revenu, on en coupe, on en arrache les branches. Un Sériphien lui disait un jour que ce n'était pas à lui-même, mais à sa patrie qu'il devait sa gloire: «Tu dis vrai, lui répondit Thémistocle; si j'avais été de Sériphe, je ne me serais jamais illustré; ni toi, quand tu serais né à Athènes.» Un capitaine athénien, qui croyait avoir rendu à la république un service important, s'en vantait avec fierté devant Thémistocle, et comparait ses actions avec celles de ce général. «Le jour de fête, lui dit Thémistocle, eut dispute avec son lendemain; celui-ci se plaignait qu'il n'avait pas un moment de loisir, et qu'il était accablé de travail, tandis que le jour de fête n'avait d'autre soin que de faire jouir tout le monde à son aise des biens qu'on avait amassés les autres jours. Tu as raison, répondit le jour de fête; mais si je n'avais pas été, tu ne serais pas. Moi aussi, ajouta Thémistocle, si je n'avais pas été, où seriez-vous maintenant?» Son fils abusait de la faiblesse de sa mère, et se servait d'elle pour gouverner son père. Thémistocle disait, en plaisantant, que son fils avait plus de pouvoir qu'aucun autre Grec: «Car, ajoutait-il, les Athéniens commandent aux Grecs, je commande aux Athéniens, sa mère me gouverne, et il gouverne sa mère.» Comme il affectait en tout la singularité, un jour qu'il avait mis en vente une de ses terres, il fit annoncer par le crieur public qu'elle avait un bon voisin. De deux citoyens qui recherchaient sa fille en mariage, il préféra l'homme de bien à l'homme riche, et dit, à cette occasion, qu'il voulait pour gendre un homme qui eût besoin de richesses, plutôt que des richesses qui eussent besoin d'un homme. Tels étaient ses apophthegmes.
XXIII. Après avoir vu ses travaux couronnés jusqu'alors par le succès, il s'occupa, sans perdre un instant, de rebâtir et de fortifier Athènes. Mais comme il craignait l'opposition des éphores, il les gagna, dit Théopompe, à prix d'argent. Selon d'autres, il les trompa: il se rendit à Sparte avec le titre d'ambassadeur; les Spartiates se plaignirent de ce qu'on fortifiait Athènes, et s'appuyèrent du témoi-gnage de Poliarque, envoyé exprès à Lacédémone par les Éginètes, pour accuser les Athéniens. Thémistocle nia le fait, et proposa d'envoyer des gens à Athènes pour s’en assurer. Il ne voulait que gagner du temps pour laisser achever les murailles, et donner en même temps aux Athéniens, dans ceux qu'on enverrait, des otages de sa personne. Sa ruse lui réussit; les Lacédémoniens, instruits de la vérité, dissimulèrent leur ressentiment, et le laissèrent partir sans oser lui rien faire. Voulant tourner du côté de la mer les vues des Athé-niens, il fit ensuite fortifier le Pirée, parce qu'il avait reconnu la commodité de ses ports. En cela il suivit une politique tout opposée à celle des anciens rois d'Athènes, qui, dans l'intention d'éloigner les citoyens du commerce maritime, et de leur faire abandonner la navi-gation pour s'appliquer à l'agriculture, avaient répandu parmi le peuple que, dans la dispute qui s'était élevée entre Minerve et Neptune pour savoir lequel des deux serait protecteur de l'Attique, Minerve montra l'olivier et gagna sa cause. Thémistocle donc ne mêla point le Pirée avec la ville, comme le poète comique Aristophane le lui reproche; mais il attacha la ville au Pirée, et la terre à la mer. Par-là il donna de la force au peuple contre les nobles; et le remplit d'audace, en mettant l'autorité entre les mains des matelots, des pilotes et des rameurs. Aussi, dans la suite, le tribunal qu'on avait placé dans le Pnix, et qui regardait la mer, fut-il tourné du côté de la terre par les trente tyrans, qui pensaient que les forces maritimes favorisaient la démocratie, et que les laboureurs étaient moins opposés à l'oligarchie.
XXIV. Thémistocle, pour assurer à Athènes l'empire de la mer, avait conçu un bien plus grand dessein. Depuis la retraite de Xerxès, la flotte des Grecs était dans le port de Pagases, où elle devait hiverner. Il dit un jour aux Athéniens, en pleine assemblée, qu'il avait imaginé un projet dont l'exécution leur serait très avantageuse et très salutaire; mais qu'il ne pouvait pas le faire connaître au public. On lui ordonna de le communiquer à Aristide, en l'autorisant à l'exécuter si Aristide l'approuvait. Thémistocle lui ayant déclaré qu'il avait eu la pensée de brûler la flotte des Grecs, Aristide rentra dans l'assemblée, et dit que le projet de Thémistocle était à la fois le plus utile et le plus injuste. Aussitôt les Athéniens lui ordonnèrent d'y renoncer.
XXV. Les Lacédémoniens ayant proposé, dans le conseil des amphictyons; que les villes qui n'étaient pas entrées dans la ligue des Grecs contre les Mèdes fussent privées du droit de séance à ce conseil, Thémistocle, qui craignait que, si les Thessaliens, les Argiens et même les Thébains en étaient exclus, les Spartiates n'y devinssent maîtres des suffrages, défendit la cause de ces villes. Il amena les députés à son sentiment, en leur représentant qu'il n'y avait que trente-et-une villes, la plupart même peu considérables, qui eussent pris part à la guerre; qu'il serait donc très dangereux, pour le reste de la Grèce, que deux ou trois villes principales pussent, par l'exclusion de toutes les autres, se partager l'autorité du conseil amphictyonique. Dès cet instant il fut en butte à la mauvaise volonté des Lacédémoniens, qui, pour contre-balancer son pouvoir dans le gouvernement, lui suscitèrent un rival dans la personne de Cimon, qu'ils portèrent aux emplois publics. Thémistocle s'attira aussi la haine des alliés, en parcourant les îles pour y lever des contributions. Il alla chez les habitants de l'île d'Andros, et leur demanda de l'argent, en leur disant, au rapport d'Hérodote, qu'il venait avec deux divinités, la persuasion et la force. Ils lui répondirent qu'ils en avaient aussi deux qui n'étaient pas moins grandes que les siennes, la pauvreté et l'impuissance, qui leur défendaient de rien donner.
XXVI. C'est à ce sujet que Timocréon, poète de l'île de Rhodes, fait, dans une de ses chansons, un reproche bien mordant à Thémistocle; il l'accuse d'avoir rappelé des bannis pour de l'argent, et de l'avoir abandonné, par le même intérêt, lui son hôte et son ami.

Louez Pausanias, Xanthippe et Leutychide;
Pour moi, bien plus qu'eux tous, je célèbre Aristide.
Athènes a produit bien des héros fameux,
Mais elle n'eut jamais d'homme si vertueux.
La mère d'Apollon et de sa sœur Diane
Déteste en Thémistocle un menteur, un profane,
Un traître qui, séduit par l'amour de l'argent,
A trompé son ami, l'a trahi lâchement.
II dut me ramener dans ma chère patrie,
Aux murs de Jalysus: mais cette âme flétrie
A reçu trois talents; et, gagnant ses vaisseaux,
Je l'ai vu, loin de moi, fendre le sein des flots.
Que la mer, pour punir sa malice profonde,
Ne l'a-t-elle à l'instant englouti sous son onde!
Au gré de ses désirs, afin de s'enrichir,
Il rappelle d'exil, bannit et fait mourir;
Et depuis, dans ces jeux que célèbre la Grèce,
Il vient insolemment étaler sa richesse.
Là, sa table est ouverte à qui veut s'y placer;
Mais à travers ce faste on voit toujours percer
D'un sordide intérêt le signe indubitable;
Car souvent, de mets froids faisant couvrir sa table,
Il fait aux conviés désirer que ses jours
Avant la fin de l'an soient au bout de leur cours.

Mais il lance contre lui des traits bien plus piquants, et l'insulte plus ouvertement encore, dans une chanson qu'il fit après que Thémistocle eut été condamné au bannissement, et qui commence ainsi:

De mes vers consacrés au temple de mémoire,
Muse, parmi les Grecs fais éclater la gloire.

On dit que Timocréon fut banni parce qu'il avait embrassé le parti des Mèdes, et que Thémistocle opina pour sa condamnation. Aussi, lorsque Thémistocle subit la même accusation, Timocréon fit contre lui la chanson suivante:

Je ne suis pas le seul qui, traître à ma patrie,
Voulus à l'ennemi vendre mon industrie;
Je connais d'autres gens aussi méchants que moi:
Il est plus d'un renard qui flatte le grand roi.

XXVII. Thémistocle, qui s'aperçut que ses concitoyens, envieux de sa gloire, prêtaient volontiers l'oreille à ces calomnies, fut comme forcé de se rendre encore plus odieux, en rappelant sans cesse au peuple assemblé ses services et ses exploits; et lorsqu'on lui témoignait qu'on était las d'entendre si souvent les mêmes choses: «Eh! quoi, leur disait-il, vous lassez-vous de recevoir souvent du y bien des mêmes personnes?» Il n'offensa pas moins le peuple en élevant un temple à Diane Aristobule, pour faire entendre qu'il avait donné à Athènes et à toute la Grèce les meilleurs conseils. Il avait bâti ce temple près de la maison qu'il occupait dans le quartier de Mélite, où maintenant les bourreaux jettent les corps de ceux qu'ils ont exécutés, et portent les habits des criminels, avec les cordes dont ils les ont étranglés. On voyait encore de nos jours, dans le temple de Diane Aristobule, une petite statue de Thémistocle, qui faisait juger que sa figure répondait à l'élévation de son âme. Les Athéniens donc, pour rabattre une autorité qui leur paraissait démesurée, prononcèrent contre lui le ban de l'ostracisme; sorte d'exil qu'ils avaient coutume d'infliger à tous ceux dont la puissance, excédant les bornes de l'égalité démocratique, leur inspirait des craintes: car l'ostracisme n'était pas une punition; c'était une espèce de satisfaction donnée au peuple, qui aimait à rabaisser ceux dont l'élévation lui faisait ombrage, et qui ne trouvait que dans leur chute un adoucissement à sa jalousie.
XXVIII. Thémistocle, banni d'Athènes, vivait tranquillement à Argos, lorsque la découverte de la trahison de Pausanias fournit à ses ennemis un sujet de le citer en justice. Léobotes, fils d'Alcméon, du bourg d'Agraule, intenta l'accusation, et les Spartiates la souscrivirent. Pausanias, quoique ami de Thémistocle, lui avait d'abord caché la trahison qu'il méditait: mais quand il le vit banni d'Athènes et supportant impatiemment son exil, il se hasarda à lui en faire part, et le sollicita d'entrer dans son projet. Il lui montra les lettres du roi, et fit tous ses efforts pour l'irriter contre les Grecs, en lui représentant leur méchanceté et leur ingratitude. Thémistocle rejeta la proposition de Pausanias, et lui déclara qu'il ne prendrait aucune part à ses complots; mais il garda le plus grand secret sur ses confidences et sur l'entreprise qu'il méditait, espérant ou qu'il abandonnerait de lui-même des projets aussi déraisonnables que hasardeux, et dont il ne pouvait attendre aucun succès, ou qu'ils seraient découverts de quelque autre manière. Après que Pausanias eut été puni de mort, on trouva chez lui des lettres et d'autres écrits qui firent soupçonner Thémistocle de complicité. Les Lacédémoniens se déchaînèrent contre lui, et ses envieux d'Athènes l'accusèrent publiquement. Il était toujours exilé, et il se justifiait par lettres, surtout des premières calomnies de ses ennemis. Il écrivait aux Athéniens qu'ayant toujours recherché la domination, n'étant pas né pour être esclave, et ayant encore moins la volonté de le devenir, il était sans vraisemblance qu'il eût voulu se livrer, lui et toute la Grèce, à des ennemis et à des Barbares. Mais le peuple, gagné par ses accusateurs, envoya des gens à Argos avec ordre de l’arrêter et de l'amener à Athènes, pour y être jugé par le conseil des Grecs. Thémistocle, averti à temps, passa dans l'île de Corcyre, dont il avait autrefois obligé les habitants. Nommé juge d'un différend qu'ils avaient avec les Corinthiens, il termina la querelle en faisant payer aux Corcyréens, par la ville de Corinthe, la somme de vingt talents. Il décida aussi que Corcyre et Corinthe posséderaient en commun l’île de Leucade, qui était une colonie de ces deux villes.
XXIX. De là il s'enfuit en Épire; et s'y voyant poursuivi par les Athéniens et les Spartiates, il prit le parti aussi incertain que périlleux de se réfugier chez Admète, roi des Molosses. Ce prince avait autrefois demandé je ne sais quel service aux Athéniens; et Thémistocle, qui jouissait alors du plus grand crédit dans la république, ayant fait rejeter avec mépris sa demande, Admète en conservait du ressentiment, et laissait voir tout le désir qu'il avait de s'en venger s'il en trouvait l'occasion. Mais Thémistocle, qui, dans son exil, redoutait bien plus l'envie toute récente de ses concitoyens que l'ancienne inimitié de ce prince, aima mieux courir ce dernier risque. Il se présente donc devant Admète comme suppliant, mais d'une manière nouvelle et extraordinaire. Il prit entre ses bras le fils du roi, encore enfant, et se jeta à genoux devant son foyer. C'est la manière de supplier que les Molosses regardent comme la plus sacrée, et la seule qu'il ne soit pas permis de rejeter. Quelques auteurs disent que ce fut Phtia, la femme du roi, qui suggéra à Thémistocle cette forme de supplication, et qui le plaça elle-même devant le foyer avec son fils entre les bras. Selon d'autres, ce fut Admète lui-même qui, pour se mettre dans la nécessité de refuser Thémistocle à ceux qui le redemanderaient, en sanctifiant son refus par un acte de religion, imagina cette manière de supplier, qui a quelque chose de tragique.
XXX. Pendant son séjour chez Admète, Épicrates d'Acarnanie lui envoya sa femme et ses enfants, qu'il avait fait sortir secrètement d'Athènes. Il fut pour cela cité depuis en justice par Cimon, et condamné à mort, s'il faut en croire Stésimbrote, qui oubliant ensuite, je ne sais comment, ce qu'il avait dit plus haut, ou le faisant oublier à Thémistocle, raconte qu'il s'embarqua pour la Sicile; que là il demanda au tyran Hiéron sa fille en mariage, en lui promettant de mettre les Grecs sous son obéissance; et que, sur le refus d'Hiéron, il fit voile pour l'Asie. Mais ce récit n'a aucune vraisemblance; car Théophraste, dans son ouvrage sur la royauté, rapporte qu'Hiéron envoya des chevaux à Olympie pour disputer le prix de la course, et fit dresser un pavillon orné avec la plus grande magnificence; que Thémistocle proposa aux Grecs, en pleine assemblée, d'arracher le pavillon du tyran, et d'empêcher ses chevaux d'entrer en lice. Thucydide raconte même que Thémistocle s'embarqua à Pydne pour gagner l'autre mer: il n'était connu d'aucun des passagers; mais le vaisseau ayant été porté par le vent vers l'île de Naxos, dont les Athéniens faisaient alors le siège, le danger qu'il courait l'obligea de se découvrir au maître du vaisseau et au pilote; et, employant tour à tour les prières et les menaces, il leur déclara qu'il les accuserait auprès des Athéniens de l'avoir reçu à bord quoiqu'ils le connussent, parce qu'ils s'étaient laissé corrompre: par ce moyen il les força de passer outre et de cingler vers l'Asie, où ses amis lui firent passer une grande partie de ses biens, qu'ils avaient détournée; tout ce qu'on en découvrit fut porté au trésor public, et se monta, selon Théopompe, à cent talents; suivant Théophraste, à quatre-vingts seulement. Toute la fortune de Thémistocle, lorsqu'il entra dans l'administration publique, n'allait pas à trois talents.
XXXI. Arrivé à Cumes, il s'aperçut qu'il y avait sur le rivage beaucoup de gens apostés pour l'arrêter, et en particulier Ergotelès et Pythodore: c'était une riche proie pour ceux à qui tout moyen de s'enrichir est bon; car le roi de Perse avait fait publier qu'il donnerait deux cents talents à quiconque le lui livrerait. Il s'enfuit donc à Eges, petite ville de l'Éolie, où il n'était connu que de son hôte Nicogène, le plus riche des Éoliens, et très lié avec tous les seigneurs de la cour de Perse. Il s'y tenait caché depuis quelques jours, lorsqu'un soir après le souper, qui avait été suivi d'un sacrifice, Olbius, précepteur des fils de Nicogène, comme subitement inspiré et hors de lui-même, prononça ce vers tout haut:

Donne à la nuit la voix, le conseil, la victoire.

Thémistocle alla se coucher; et dans son sommeil il crut voir un dragon qui s'entortillait autour de son corps, et qui, se glissant le long de son cou, n'eut pas plus tôt touché son visage, qu'il se changea en aigle, le couvrit de ses ailes, l’emporta dans un long espace de chemin, et le posa sur un caducée d'or qui parut tout à coup: aussitôt il se sentit délivré du trouble et de la frayeur qu'il avait eus. Nicogène donc, pour le conduire en sûreté à la cour de Perse, s'avisa de cet expédient: la plupart des nations barbares, et surtout les Perses, ont naturellement pour leurs femmes une jalousie excessive; et non seulement pour celles qu'ils ont épousées, mais encore pour leurs concubines et pour les esclaves qu'ils ont achetées. Ils les font garder si étroitement que personne ne peut les voir, et dans leurs maisons mêmes ils les tiennent enfermées: en voyage ils les font porter sur des chariots, dans des pavillons clos de tous les côtés avec le plus grand soin. Nicogène fit mettre Thémistocle dans un de ces chariots bien couverts, et les gens qui l'accompagnaient avaient ordre de répondre aux questions que les passants pourraient leur faire, que c'était une femme grecque qu'ils amenaient d'Ionie à un des seigneurs de la porte du roi.
XXXII. Thucydide et Charon de Lampsaque disent que Thémistocle n'arriva en Perse qu'après la mort de Xerxès, et qu'il fut présenté à son fils Artaxerce. Éphore, Dinon, Clitarque, Héraclide, et plusieurs autres historiens, assurent que ce fut devant Xerxès lui-même qu'il parut. Mais le sentiment de Thucydide semble s'accorder davantage avec les tables chronologiques, quoique dressées d'ailleurs avec assez peu de fidélité. Thémistocle, se voyant dans le moment critique, s'adressa d'abord à Artabane, capitaine de mille hommes d'armes; il lui dit qu'il était Grec de nation, et qu'il désirait entretenir le roi d'affaires très importantes que ce prince lui-même avait fort à coeur: «Étranger, lui répondit Artabane, les lois des hommes ne sont pas les mêmes partout: ce qui est beau pour les uns ne l'est pas pour les autres; mais il est beau pour tous de respecter et de maintenir les lois de leur pays. Vous autres Grecs, vous estimez, dit-on , au-dessus de tout la liberté et l'égalité: pour nous, entre un grand nombre de belles lois que nous avons, la plus belle à nos yeux est celle qui nous ordonne d'honorer le roi, et d'adorer en lui l’image du dieu qui conserve toutes choses. Si donc tu veux t'accommoder à nos usages et l'adorer, tu pourras, comme nous, le voir et l'entretenir. Si tu es dans d'autres sentiments, tu ne lui parleras que par des intermédiaires; car la coutume de Perse est que personne ne puisse recevoir audience du monarque sans l'avoir adoré. - Artabane, lui répondit Thémistocle, je suis venu ici pour augmenter la gloire et la puissance du roi; j'obéirai à vos lois, puisque telle est la volonté du dieu qui a élevé si haut l'empire des Perses; je ferai même que votre maître recevra les adorations d'un plus grand nombre de peuples: que cela n'apporte aucun obstacle au désir que j'ai de l'entretenir. -Mais, reprit Artabane, qui lui dirons-nous que tu es? car tu ne me parais pas un homme ordinaire. - Pour cela, repartit Thémistocle, personne, Artabane, ne le saura avant le roi.» Tel est le récit de Phanias. Ératosthène, dans son ouvrage sur la richesse, ajoute que ce fut une femme érétrienne, concubine d'Artabane, qui lui présenta Thémistocle.
XXXIII. Lorsqu'il parut devant le roi, il l'adora et se tint en silence jusqu'à ce que l'interprète eût reçu l'ordre de lui demander son nom. Celui-ci lui ayant fait cette question, Thémistocle répondit ainsi: «Grand roi, je suis Thémistocle, Athénien, qui, banni et persécuté par les Grecs , viens chercher un asile auprès de vous. À la vérité, j'ai fait bien du mal aux Perses; mais je leur ai fait encore plus de bien en empêchant les Grecs de les poursuivre, lorsque la sûreté de la Grèce et de ma patrie, qui me devaient leur salut, me permettait de vous rendre quelque service. Aujourd'hui mes sentiments sont conformes à ma fortune; et je viens également disposé ou à recevoir vos bienfaits, si votre ressentiment est calmé, ou à le détourner, s'il subsiste encore. Mes ennemis eux-mêmes vous seront témoins des services que j'ai rendus aux Perses: que mon malheur donc vous serve plutôt à faire éclater votre vertu qu'à satisfaire votre vengeance. L'une sauvera la vie à un suppliant qui vient se livrer à vous; l'autre perdrait un ennemi déclaré des Grecs.» Après ce discours, Thémistocle, pour consacrer en quelque sorte par un acte de religion ce qu'il venait de dire, rapporta au roi le songe qu'il avait eu chez Nicogène, et un oracle de Jupiter de Dodone qui lui avait ordonné de se retirer auprès du prince qui portait le même nom que lui: ce qu'il n'avait pu entendre que du roi de Perse; car Jupiter et lui étaient les seuls qui fussent et qu'on appelât les grands rois. Artaxerce, quoique rempli d'admiration pour sa grandeur d'âme et pour sa hardiesse, ne lui répondit rien dans cette première audience; mais, avec ses amis, il se félicita de cet événement comme du plus grand bonheur qui pût lui arriver. Il pria le dieu Arimane d'envoyer toujours à ses ennemis de semblables pensées, et de leur inspirer de bannir du milieu d'eux leurs plus grands hommes. Il fit aux dieux un sacrifice suivi d'un grand festin; et il se coucha si transporté de joie, que la nuit on l'entendit s'écrier trois fois au milieu de son sommeil: «J'ai Thémistocle l’Athénien!»
XXXIV. Le lendemain, à la pointe du jour, il convoqua ses amis, et fit venir Thémistocle, qui n'espérait rien de bon depuis qu'il avait vu les gardes de la porte, aussitôt qu'ils avaient su son nom, témoigner ouvertement leur mauvaise volonté contre lui, et s'emporter jusqu'à lui dire des injures. Roxanes, capitaine de mille hommes d'armes, le voyant passer devant lui lorsque le roi était déjà sur son trône, et tout le monde dans un profond silence, lui dit tout bas en soupirant: «Serpent artificieux de Grèce, c'est le bon génie du roi qui t'amène ici.» Mais quand il eut paru devant le roi, et qu'il l'eut adoré de nouveau, ce prince le salua, et lui dit avec bonté qu'il lui devait déjà deux cents talents; qu'étant venu lui-même se remettre entre ses mains, il était juste qu'il reçût la récompense promise à celui qui l'amènerait. Il lui en promit encore davantage, le rassura pleinement et lui ordonna de dire avec une entière liberté ce qu'il pensait des affaires de la Grèce. Thémistocle lui répondit que, de même qu'une tapisserie doit être déployée pour que l’œil puisse découvrir les figures qu'elle renferme, le discours a aussi besoin d'être développé, pour étaler les figures qui en font l'agrément et l'intérêt; qu'il lui fallait donc du temps pour se préparer à satisfaire à sa demande. Le roi goûta la comparaison, et lui demanda celui qu'il voulait prendre. Thémistocle demanda un an; et, dans cet intervalle, il apprit assez bien la langue persane pour pouvoir parler au roi sans interprète.
XXXV. Ceux qui n'étaient pas attachés à la cour crurent qu'il n'entretenait le roi que des affaires de la Grèce; mais les changements arrivés dans ce temps-là parmi les amis mêmes du prince lui attirèrent la haine des grands, qui crurent qu'il avait eu la hardiesse de parler librement au roi sur leur compte. Il est vrai que les honneurs qu'on faisait à la cour aux autres étrangers n'étaient rien en comparaison de ceux que Thémistocle recevait. Artaxerce le mettait de toutes ses parties de chasse et de tous les divertissements du palais. Il le présenta même à la reine sa mère, qui le recevait familièrement chez elle. Enfin il fut instruit, par ordre du roi, dans la philosophie des Mages. Démarate le Lacédémonien était alors à la cour de Perse; un jour le roi lui ayant ordonné de lui demander un présent, il lui demanda la permission de se promener à cheval dans la ville de Sardes avec la tiare royale sur la tête, comme le roi de Perse. Mithropaustes, cousin du roi, lui prenant la main: «Démarate, lui dit-il, cette tiare couvrirait bien peu de cervelle; tu aurais beau prendre en main la foudre, tu ne serais pas pour cela Jupiter.» Artaxerce, irrité de cette demande, repoussa si durement Démarate, qu'il semblait ne devoir jamais lui pardonner. Thémistocle sollicita pour lui, et le remit dans les bonnes grâces du roi. Aussi dit-on que, sous les règnes suivants, où les relations des Perses avec la Grèce acquirent plus d'étendue, quand les rois voulaient attirer quelque Grec à leur service, ils lui promettaient, dans leurs lettres, de le faire plus grand que ne l'avait été Thémistocle. On ajoute que, parvenu à ce haut point de grandeur, et recherché de tout le monde, un jour qu'il vit sa table magnifiquement servie, il dit à ses enfants: «Mes amis, nous étions perdus, si nous n'avions été perdus.» On assure que le roi lui donna trois villes pour son pain, son vin et sa viande: Magnésie, Lampsaque et Myonte. Néanthès de Cyzique et Phanias en ajoutent deux autres pour son habillement et ses meubles: Percote et Palescepsis.
XXXVI. Dans un voyage qu'il fit sur les côtes maritimes de l'empire pour les affaires de la Grèce, un satrape nommé Épixyès, qui commandait dans la haute Phrygie, lui dressa des embûches, et aposta quelques Pisidiens pour l'assassiner pendant qu'il serait dans la ville de Léontocéphale. Mais avant que d'y arriver, comme il dormait sur le midi, la mère des dieux lui apparut en songe, et lui dit: «Thémistocle, évite la Tête de Lion, de peur de tomber dans les griffes du lion. Pour prix de l'avis que je te donne, tu consacreras à mon service ta fille Mnésiptolème.» Thémistocle, se réveillant tout troublé, fait sa prière à la déesse, quitte le grand chemin, et, ayant pris un détour pour éviter cette ville, il va passer la nuit dans un autre lieu. Là, une des bêtes de somme qui portait sa tente étant tombée dans l'eau, les esclaves de Thémistocle en étendirent les tapisseries pour les faire sécher. Les Pisidiens apostés par le satrape, ne distinguant pas au clair de la lune les tapisseries qui séchaient, et les prenant pour la tente de Thémistocle, accoururent l'épée à la main, croyant qu'ils l'y trouveraient endormi. Ils en étaient tout près et levaient déjà la tapisserie, lorsque les gens de Thémistocle, qui les observaient, tombèrent sur eux et s'en saisirent. Ce danger évité, Thémistocle, pour remercier la déesse de cette apparition merveilleuse, lui bâtit un temple à Magnésie sous le nom de Dindymène, et en consacra prêtresse sa fille Mnésiptolème. Quand il fut à Sardes, il profita de son loisir pour en visiter les temples, et examiner le grand nombre d'offrandes qu'on y avait consacrées. Il vit dans le temple de la mère des dieux une petite statue de bronze, haute de deux coudée, qu'on appelait l'Hydrophore. Il l'avait fait faire lui-même, pendant qu'il était intendant des eaux à Athènes, du profit des amendes auxquelles i1 condamnait ceux qui détournaient les eaux publiques dans des canaux particuliers, et il l'avait consacrée dans un temple. Soit qu'il la vît avec chagrin dans des mains étrangères, soit qu'il voulût faire connaître aux Athéniens tout le crédit dont il jouissait dans les états du roi, il parla de cette statue au satrape de Lydie, et lui demanda la permission de la renvoyer à Athènes. Le Barbare, irrité de sa demande, lui dit qu'il allait en écrire au roi. Thémistocle, effrayé, se réfugia dans l'appartement des femmes; et ayant gagné, à force de présents, les concubines du satrape, il parvint à l'apaiser. Ce fut une leçon pour lui d'être à l'avenir plus réservé, afin de ne pas exciter la jalousie des Barbares. Il ne voulut pas même parcourir les autres contrées de l’Asie, quoique Théopompe ait écrit qu'il les visita; mais il se fixa à Magnésie, où il jouissait des grands bienfaits du roi, et n'était pas moins honoré que les plus grands seigneurs de Perse. II y vécut longtemps sans aucune crainte; Artaxerce, assez occupé par les affaires qu'il avait dans les provinces supérieures de l'Asie, n'avait pas le temps de songer à celles de la Grèce.
XXXVII. Mais la révolte de l'Égypte, soutenue par les Athéniens, les progrès de la flotte des Grecs, qui, sous les ordres de Cimon, s'étant avancée jusqu'à l’île de Cypre et aux côtes de la Cilicie, était maîtresse de la mer, l'obligèrent de revenir sur ses pas, pour s'opposer à leurs entreprises, et les empêcher de se fortifier contre lui. Déjà on avait levé des troupes, et les officiers s'étaient rendus à leurs postes. On expédia donc des courriers à Magnésie pour porter à Thémistocle l’ordre du roi d'aller commander cette expédition contre les Grecs, et acquitter les promesses qu'il lui avait faites; mais Thémistocle ne voyait, ni dans le ressentiment qu'il pouvait conserver encore contre ses concitoyens, ni dans 1a gloire et la puissance qui lui étaient offertes, un motif suffisant de se charger de la conduite de cette guerre. Peut-être même en croyait-il le succès impossible; car la Grèce avait alors plusieurs grands généraux, entre autres Cimon, qu'un bonheur singulier accompagnait dans toutes ses entreprises. Mais ce qui l'en éloignait le plus, c'était la honte qu'il y aurait à flétrir la gloire de ses premiers exploits, et de renverser lui-même ses trophées. Il prit donc la résolution magnanime d'éviter ce déshonneur par une mort digne de sa vie. Il fit un sacrifice aux dieux, assembla ses amis, et, après leur avoir fait ses derniers adieux, il but, suivant l'opinion commune, du sang de taureau; d'autres disent qu'il prit un poison très actif, et qu'il mourut à Magnésie âgé de soixante-cinq ans, dont il avait passé la plus grande partie dans l'administration des affaires publiques et dans le commandement des armées. Le roi, ayant appris la cause et le genre de sa mort, l'en admira, dit-on, davantage, et traita toujours avec beaucoup de bonté sa famille et ses amis.
XXXVIII. Thémistocle laissa de sa première femme Archippe, fille de Lysandre, du bourg d'Alopèce, trois fils, Archeptolis, Polyeucte et Cléophante. Platon parle de ce dernier comme d'un écuyer habile, mais qui n'avait aucun autre mérite. Il en avait eu deux autres fils: Néoclès, l'aîné de tous, qui était mort, dans son enfance, d'une morsure de cheval, et Dioclès, que Lysandre, son aïeul, avait adopté. Il eut de sa seconde femme plusieurs filles: Mnésiptolème, mariée à Archeptolis son frère, fils d'une autre mère; Italie, qui épousa Panthéide de Chio; Sybaris, qui eut pour mari un Athénien nommé Nicomède; Nicomaché, qui, après la mort de son père, fut mariée dans Magnésie, par ses frères, à Phrasiclès, neveu de Thémistocle par son père. Celui-ci prit chez lui et fit élever la plus jeune de toutes les sœurs, qui s'appelait Asie. Les Magnésiens élevèrent à Thémistocle un superbe tombeau dans leur place publique, où on le voit encore. On ne doit donc pas ajouter foi à ce que dit Andocides, dans un ouvrage adressé à ses amis, que les Athéniens dérobèrent ses cendres et les jetèrent au vent. C'est un mensonge qu'il a imaginé exprès, afin d'irriter les nobles contre le peuple. Phylarque, dans son histoire, rapporte la chose en poète tragique: afin d'exciter la pitié, d'émouvoir vivement les cœurs, il forge une sorte d'intrigue théâtrale, et fait intervenir je ne sais quels Néoclès et Démopolis, qu'il dit fils de Thémistocle. Mais il n'est pas d'homme si ignorant qui ne sache que c'est une pure fable. Diodore le géographe, dans son Traité des tombeaux, dit, plutôt comme une conjecture que comme une chose certaine, que près du Pirée, vers le promontoire d'Alcimus, on voit une pointe de terre qui s'avance en forme de coude; et qu'après l'avoir doublée, on trouve, dans un endroit où la mer est toujours calme, une base fort grande sur laquelle s'élève, en forme d'autel, le tombeau de Thémistocle. Il s'autorise du témoignage de Platon, le poète comique, qui dit:

Ton sépulcre est placé dans un lieu favorable,
D'où par les voyageurs il sera révéré,
Et, si près de nos ports un combat est livré,
Il verra des vaisseaux le conflit redoutable.

Les descendants de Thémistocle sont encore en possession à Magnésie de quelques honneurs particuliers; et moi-même j'en ai vu jouir Thémistocle l'Athénien, avec qui je m'étais lié très étroitement chez le philosophe Ammonius.

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