La complexité des réseaux de financement du terrorisme

Première partie de: Répression du financement du terrorisme. Rapport 355 (2000-2001) - Commission des Affaires étrangères, Sénat de la République française

Le terrorisme est une activité clandestine qui nécessite des moyens logistiques et donc financiers très importants. Traditionnellement toutefois, contrairement aux crimes crapuleux, le terrorisme n'a pas pour but l'argent, ce qui rend plus complexe le démontage de ses réseaux de financements. Aucun réseau clandestin n'est spécifique au terrorisme et les activités illégales n'ont pas forcément pour but le financement du terrorisme. En outre, le financement du terrorisme peut s'effectuer par des réseaux financiers légaux ou «quasi légaux» à partir de collectes de fonds ou de dons d'argent, acquis légalement.

(...) On estime généralement que ces attentats (contre des ambassades américaines à Dar es-Salam et Nairobi en 1998) ont été commandités et financés par le milliardaire d'origine saoudienne Oussama Ben Laden. Celui-ci, issu d'une riche famille d'Arabie Saoudite ayant fait fortune dans le bâtiment et les travaux publics et proche de la famille régnante, avait joué un rôle important dans le financement de la guerre d'Afghanistan contre l'Union soviétique, comme relais de l'aide en provenance des Etats-Unis et des pays du Golfe. Depuis le début des années 1990 toutefois et sa destitution de la nationalité saoudienne, Oussama Ben Laden a choisi de soutenir les groupes islamistes radicaux contre les monarchies du Golfe, Israël et les Etats-Unis et s'est réfugié successivement au Soudan, alors dirigé par Hassan Tourabi, puis en Afghanistan auprès des Talibans.

Or, Oussama Ben Laden assure le financement des groupes terroristes qu'il soutient en grande partie grâce à sa fortune personnelle, estimée à 300 millions de dollars, acquise légalement dans les affaires. Cette fortune qu'il fait fructifier dans des activités légales dans les pays du Golfe ou d'Occident, serait aujourd'hui gérée par une holding, «Wadi al Aqiz», ayant des participations dans de multiples sociétés (1).

Pour utiliser ces fonds à des fins terroristes et en cacher l'origine, il pratiquerait ce qu'on appelle un «blanchiment à l'envers» permettant de verser ces fonds aux cellules opérationnelles.

Les réseaux utilisés par les terroristes ne leur sont pas spécifiques. Ils utilisent les facilités de la finance internationale offertes aux particuliers et aux sociétés. Les transferts de fonds pour le terrorisme empruntent souvent des circuits financiers sans complicité terroriste avérée comme l'a montré le démantèlement d'un transfert de 300 000 dollars au profit de l'ETA en provenance de Suisse (2).

Le financement du terrorisme s'appuie bien entendu également sur le blanchiment de l'argent issu d'activités illégales. A cet égard, le rappel de quelques chiffres peut donner une idée du montant des «fonds gris» qui doivent être blanchis (3) et qui peuvent notamment servir au soutien du terrorisme:
    * le commerce annuel de stupéfiants représenterait, selon le PNUCID (Programme des Nations unies pour le contrôle international des drogues), 2 500 milliards de francs, soit 8 % du commerce mondial alors que l'industrie automobile représente 2 900 milliards de francs;
    * le trafic d'espèces animales protégées: 100 milliards de francs selon le WWF (World Wild Foundation);
    * le trafic de médicaments: 80 milliards de francs selon l'OMS;
    * la contrefaçon: 150 à 470 milliards de dollars selon le ministère de l'économie et des finances;
    * et les fraudes au budget communautaire: 53 à 83 milliards de francs.

On comprend dès lors l'importance du combat contre le blanchiment des capitaux qui représenterait 1 000 milliards de dollars par an selon les estimations du GAFI, qui regroupe 29 pays et qui publie une liste des pays ne respectant pas les normes de prudence internationales en la matière. Cette liste concerne aujourd'hui 19 pays dont de nombreux paradis fiscaux connus des Antilles et d'Amérique centrale mais aussi des pays européens comme le Liechtenstein ou Chypre.

Face à cette menace transnationale, l'amélioration de la coopération judiciaire des Etats, à laquelle contribue cette convention, est absolument indispensable. Le juge Eric Halphen ne déclarait-il pas lors d'un colloque : « Il faut cinq minutes pour déposer 1 million de francs aux Pays-Bas, cinq autres minutes pour le transférer sur un compte britannique, cinq de plus pour le transférer une nouvelle fois sur un compte en Suisse. Enfin, il faut une journée pour se rendre dans ce pays, solder le compte, traverser la rue et ouvrir un compte dans un autre établissement helvétique (...). Le juge devra attendre six mois pour obtenir une commission rogatoire aux Pays-Bas, presque un an en Grande-Bretagne, près de six mois encore en Suisse, pour s'apercevoir que le compte incriminé a été soldé (4). »

Notes

(1) Ahmed Sallam, «Oussama Ben Laden: le banquier du terrorisme international», Renseignement et opérations spéciales, n° 5, juillet 2000, p. 131-136.

(2) René Wack, «Argent et terrorisme», Revue internationale de criminologie et de police technique, avril 1997, p. 241-244.

(3) Thierry Cretin, «Les puissances criminelles, Une authentique question internationale», Ramsès 2001, p. 135-154.

(4) Cité in Gérard Nicaud, «Les 1000 milliards de dollars du blanchiment», Le Figaro économie, 15 mai 2001.

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