Pourquoi les élites semblent-elles si indécentes?

Jean-Claude Michéa

En 1938, Orwell écrivait qu’il était difficile d’échapper à l’idée que « les hommes ne sont moraux que lorsqu’ils sont sans pouvoir ». Ce jugement n’est pas aussi pessimiste qu’il y paraît. Il prend simplement acte du fait que le pouvoir (et cela inclut évidemment celui que confère la richesse ou la célébrité) tend naturellement à enfermer ceux qui le détiennent dans un univers séparé de la réalité commune et des limites qui la définissent. C’est pourquoi l’habitude de vivre au dessus (et sur le dos) de ses semblables finit presque toujours par altérer le sens des autres et celui des réalités les plus élémentaires. De là, cette arrogance surréaliste et ce terrible manque de bon sens qui caractérisent généralement les élites modernes – c’est-à-dire celles qui ne possèdent même plus cette culture morale partagée (« noblesse oblige ») qui permettaient, de temps à autre, aux anciennes aristocraties de se comporter de façon honorable. C’est un point que l’Evangile avait déjà su mettre en évidence lorsqu’il enseignait qu’il « est plus facile à un chameau de passer par le chas d’une aiguille qu’à un riche d’entrer au royaume des Cieux ». Si l’on préfère une formulation plus laïque de cet axiome populiste (ou anarchiste) on se souviendra également de la magnifique formule de Camus (dans la postérité du soleil) : « Ici vit un homme libre, personne ne le sert. »

Jean-Claude Michéa, « Libéralisme et décence ordinaire (ragemag.fr, 10 décembre 2012) - http://ragemag.fr/liberalisme-et-decence-ordinaire/

 

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