Pic de la Mirandole et l'ésotérisme

Louis Valcke

Extrait d’un échange épistolaire entre Louis Valcke et la romancière belge Catherine d’Oultremont au sujet des rapports de Pic de la Mirandole avec l’ésotérisme, l’astrologie et la magie.

Dans un courriel adressé à Louis Valcke en date du 26 août 2005, la romancière lui avoue sa perplexité au sujet de l'évolution de certaines positions de Pic de la Mirandole.

«Je dois vous avouer que je m'interroge en ce qui concerne le changement d'opinion de Pic, a l’époque de la rédaction des Disputationes Adversus Astrologiam. Même s'il a essuyé des revers et des épreuves à la fin de sa vie, cela ne suffit pas, à un esprit brillant comme le sien, pour condamner les travaux qui l'on conduit là où il est arrivé. En reniant ce qui l'a passionné quelques années plus tôt, il a certainement éprouve un sentiment amère (sic) d'avoir perdu un temps précieux...

J'aurais tendance a croire, si je devais suivre mon intuition, que Pic n'a pas renié ses études de jeunesse (la philosophie néoplatonicienne, la magie naturelle, l’ésotérisme, l'astrologie...); je penserais plutôt que ce furent pour lui des étapes sur un chemin initiatique, comme les échelons d'une échelle permettant de se hisser vers la lumière.»



Louis Valcke lui répond, dans un courriel daté du 20 septembre suivant, que nous citerons plus longuement:

Hélas, hélas, je crains que je ne doive vous décevoir, ou que Pic ne doive vous décevoir...

Pic a toujours été profondément religieux et mystique. mais cette mystique a pris des formes et des expressions très différentes selon les époques de sa vie. Il est certain que les ésotérismes, la magie, l’astrologie, l'alchimie on toujours exercé un attrait extrêmement puissant, car [les] sciences initiatiques promettent de nous conduire sans effort vers des révélations sublimes, qui nous mettraient en contact immédiat avec la transcendance, avec l'au-delà, avec Dieu si vous préférez. C'est pourquoi d'ailleurs les ésotérismes réapparaissent en force dans les périodes troublées, qui ont perdu les anciennes certitudes. Telle est notre époque: d’où le succès du Nouvel Age sous toutes ses formes. La Renaissance était également une période de transition, avec les incertitudes et les angoisses qu'elle cachait sous des dehors éblouissants. Il est parfaitement normal que Pic, précisément parce qu'il était particulièrement doué et ouvert sur le monde, sur son monde à lui, ait été fasciné par l'ésotérisme. Accueilli à Florence en jeune prodige, admiré par les esprits les plus brillants de son temps, comment aurait-il pu résister au chant de tant de sirènes? D'autant plus que, guidé par ce vieux fou de Ficin, il croit découvrir dans la doctrine de Plotin la justification rationnelle de le démarche ésotérique. Que peut-il demander de plus? Il croit découvrir enfin la clef de tous les mystères. Il est à deux doigts de s’immerger, de se noyer définitivement dans l'océan insondable de la pensée néoplatonicienne...

Mais, sous son aveuglement. Pic n'a jamais totalement perdu son esprit critique. Il en avait déjà donné la preuve dans son Commento, oeuvre de jeunesse, exactement contemporaine à l'Oratio qui, pourtant, semblait si proche du néoplatonisme. Et il se réveillera définitivement à l'occasion du De ente et uno. On peut d’ailleurs noter que dans ces deux textes, Pic n'hésite pas à critiquer Ficin, à qui il reproche, essentiellement, un grave manque de rigueur intellectuelle. Puis viendront les Disputationes, où il fera systématiquement la critique des tous les ésotérismes, auxquels il aurait tellement voulu croire de toute son âme, en ses années de jeunesse.

La doctrine de Plotin est, selon moi, de toutes les doctrines grecques la plus belle, la plus enlevante. Certains textes des Ennéades sont parmi les plus beaux de toute la littérature philosophique, plus beaux que les plus belles pages de Platon. Mais cela ne veut pas dire qu'il faille les prendre pour guide. C'est ce dont Pic s'est finalement rendu compte.

C'est le propre du néoplatonisme de confondre les genres et les plans, en particulier le plan de la mystique et le plan de la raison -- d'où, d'ailleurs, la fascination qui émane de cette doctrine. Pic a voulu y croire, mais il s'est rendu compte que ce mélange entre mystique et raison ne tient pas. C'est pourquoi il exprimera son énorme déception dans le De ente, en s'adressant à son ami Ange Politien: «Mais vois, cher Angelo, la folie qui nous tient...» (dans mon livre, p. 329). Et son discours, désormais, deviendra double: d'une part, la raison raisonnante des Disputationes, d’autre part, distinct mais non opposé, un discours poétique, essentiellement religieux. Mais, romancière, vous avez parfaitement le droit de choisir les aspects de Pic en lesquels vous croyez vous retrouver et qui vous permettent de vous exprimer plus librement...

À lire également du même auteur

«Le périple intellectuel de Jean Pic de la Mirandole» : notes sur l’élaboration d’un ouvrage
Dans une lettre adressée (3 août 1993) à Joanne Lortie, directrice intérimaire du Programme d’

«Le périple intellectuel de Jean Pic de la Mirandole» : réflexions à la suite d’un symposium consacré à l’ouvrage
Brèves réflexions de Louis Valcke à la suite d’un symposium organisé en 1996 sur son ouvrage p

Pic de la Mirandole et le christianisme
Dans cet échange épistolaire, Louis Valcke et le cardinal Henri de Lubac discutent des rapports qu




Articles récents