Génie du christianisme et peinture

François-René de Chateaubriand
Extraits du chapitre sur les Beaux-arts du Génie du christianisme dans lequel Châteaubriand défend le rôle de l'institution chrétienne dans le développement de la peinture
La Grèce raconte qu'une jeune fille, apercevant l'ombre de son amant sur un mur, en crayonna les contours. Ainsi, selon l'antiquité, une passion volage produisit l'art des plus parfaites illusions.

L'école chrétienne a cherché un autre maître; elle le reconnaît dans ce grand artiste, qui, pétrissant un peu de limon entre ses mains puissantes, dit ces paroles du peintre: «faisons l'homme à notre image». Donc, pour nous, le premier trait du dessin a existé dans l'idée éternelle de Dieu; et la première statue que vit le monde, fut cette fameuse argile animée du souffle du créateur.

Il y a une force d'erreur qui contraint au silence, comme la force de vérité: l'une et l'autre, poussées au dernier degré, emportent conviction, la première négativement, la seconde affirmativement. Ainsi, lorsqu'on entend soutenir que le christianisme est l'ennemi des arts, on demeure muet d'étonnement, car à l'instant même on ne peut s'empêcher de se rappeler Michel-Ange, Raphaël, Carache, Dominiquin, Lesueur, Poussin, Coustou, et tant d'autres artistes dont les seuls noms rempliraient des volumes.

Vers le milieu du quatrième siècle, l'empire romain envahi par les barbares, et déchiré par l'hérésie, tomba en ruines de toutes parts. Les arts ne trouvèrent plus de retraite qu'auprès des chrétiens et des empereurs orthodoxes. Théodose, par une loi spéciale de excusatione artificium , déchargea les peintres et leurs familles de tout tribut et de tout logement d'hommes de guerre. Les pères de l'église ne tarissent point sur les éloges qu'ils donnent à la peinture. Saint Grégoire s'exprime d'une manière remarquable:«vidi saepiùs inscriptionis imaginem, et sine lacrymis transire non potui, cùm tam efficaciter ob oculos poneret historiam; c'était un tableau représentant le sacrifice d'Abraham. Saint Basile va plus loin, car il assure que les peintres «font autant par leurs tableaux que les orateurs par leur éloquence». Un moine, nommé Methodius, peignit dans le huitième siècle ce jugement dernier, qui convertit Bogoris, roi des bulgares. Les prêtres avoient rassemblé au collège de l'orthodoxie, la plus belle bibliothèque du monde, et tous les chefs-d'œuvre de l'antiquité: on y voyait en particulier la Vénus de Praxitèle, ce qui prouve au moins que les fondateurs du culte catholique n'étaient pas des barbares sans goût, des moines bigots, livrés à une absurde superstition.

Ce collège fut dévasté par les empereurs iconoclastes. Les professeurs furent brûlés vifs, et ce ne fut qu'au péril de leurs jours, que des chrétiens parvinrent à sauver la peau de dragon, de cent vingt pieds de longueur, où les œuvres d'Homère étaient écrites en lettres d'or. On livra aux flammes les tableaux des églises. De stupides et furieux hérésiarques, assez semblables aux puritains de Cromwell, hachèrent à coups de sabre les admirables mosaïques de l'église de Notre-Dame de Constantinople, et du palais des blaquernes . Les persécutions furent poussées si loin, qu'elles enveloppèrent les peintres eux-mêmes: on leur défendit, sous peine de mort, de continuer leurs études. Le moine Lazare eut le courage d'être le martyr de son art. Ce fut en vain que Théophile lui fit brûler les mains pour l'empêcher de tenir le pinceau. Ce glorieux moine, caché dans le souterrain de l'église de saint Jean-Baptiste, peignit avec ses doigts mutilés le grand saint dont il était le suppliant; digne, sans doute, de devenir le patron des peintres, et d'être reconnu de cette famille sublime, que le souffle de l'esprit ravit au-dessus des hommes. Sous l'empire des goths et des lombards, le christianisme continua de tendre une main secourable aux talents. Ces efforts se remarquent surtout dans les églises bâties par Théodoric, Luitprand et Didier. Le même esprit de religion inspira Charlemagne; et l'église des apôtres, élevée par ce grand prince à Florence, passe encore, même aujourd'hui, pour un beau monument.

Enfin, vers le treizième siècle, la religion chrétienne, après avoir lutté contre mille obstacles, ramena en triomphe le chœur des muses sur la terre. Tout se fit pour les églises et par la protection des pontifes et des princes religieux. Bouchet, grec d'origine, fut le premier architecte; Nicolas, le premier sculpteur; et Cimabue, le premier peintre, qui tirèrent le goût antique des ruines de Rome et de la Grèce. Depuis ce temps, les arts, entre diverses mains, et par divers génies, parvinrent jusqu'à ce grand siècle de Léon X, où éclatèrent, comme des soleils, Raphaël et Michel-Ange. On sent qu'il n'est pas de notre sujet de faire l'histoire technique de l'art. Tout ce que nous devons montrer, c'est en quoi le christianisme est plus favorable à la peinture que toute autre religion. Or, il est aisé de prouver trois choses: 1° que la religion chrétienne étant d'une nature toute spirituelle et mystique, fournit au peintre un beau idéal plus parfait et plus divin, que celui qui naît d'un culte matériel; 2° que, corrigeant la laideur des passions, ou les combattant avec force, elle donne des tons plus sublimes à la figure humaine, et fait mieux sentir l'âme dans les muscles, et les liens de la matière; 3° enfin, qu'elle a fourni aux arts des sujets plus beaux, plus riches, plus dramatiques, plus touchants, que les sujets mythologiques.

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