Talleyrand et Fouché
Jeudi le 21 septembre 2000
L’épisode se déroule au retour de Gand, alors que Louis XVIII s'arrête à Saint-Denis. Talleyrand et Fouché ont fini par s'imposer au roi. Il comporte l'un des traits d'esprit les plus fameux de l'illustre écrivain. Passage extrait des Mémoires d'outre-tombe, troisième partie, I, livre VI
Le soir, vers les neuf heures, j'allai faire ma cour au roi. Sa Majesté était logée dans les bâtiments de l'abbaye; on avait toutes les peines du monde à empêcher les petites filles de la Légion d'honneur de crier : «Vive Napoléon!» J'entrai d'abord dans l'église; un pan de mur, attenant au cloître, était tombé; l'antique abbatiale n'était éclairé que d'une lampe. Je fis ma prière à l'entrée du caveau où j'avais vu descendre Louis XVI, plein de crainte sur l'avenir, je ne sais si j'ai jamais eu le coeur noyé d'une tristesse plus profonde et plus religieuse. Ensuite, je me rendis chez Sa Majesté: introduit dans une des chambres qui précédaient celle du roi, je ne trouvai personne; je m'assis dans un coin et j'attendis. Tout à coup une ports s'ouvre: entre silencieusement le vice appuyé sur le bras du crime, M. de Talleyrand marchant soutenu par M. Fouché; la vision infernale passe lentement devant moi, pénètre dans le cabinet du roi et disparaît. Fouché venait jurer foi et hommage à son seigneur; le féal régicide, à genoux, mit les mains qui firent tomber la tête de Louis XVI entre les mains du frère du roi martyr; l'évêque apostat fut caution du serment. [...]
Avant de quitter Saint-Denis je fus reçu par le roi et j'eus avec lui cette conversation:
«Eh bien? me dit Louis XVIII, ouvrant le dialogue par cette exclamation.
- Eh bien, sire, vous prenez le duc d'Otrante?
- Il l'a bien fallu: depuis mon frère jusqu'au bailli de Crussol (et celui-là n'est pas suspect) tous disaient que nous ne pouvions pas faire autrement: qu'en pensez-vous?
- Sire, la chose est faite: je demande à Votre Majesté la permission de me taire.
- Non, non, dites: vous savez comme j'ai résisté depuis Gand.
- Sire, je ne fais qu'obéir à vos ordres; pardonnez à ma fidélité: je crois la monarchie finie.»