Vie du Poussin

Stendhal
CHAPITRE LXII

Vie du Poussin
Nicolas Poussin, qui naquit aux Andelys, en Normandie, en 1594, descendait d'une famille noble de Picardie: mais son père, qui avait été soldat d'Henri IV lorsque ce prince était roi de Navarre, était apparemment fort peu riche 1.

Il paraît cependant qu'on l'envoyait à l'école dont il couvrait les murs de dessins, ainsi que ses livres. Il fut encouragé dans son amour naissant pour la peinture par un peintre nommé Varin qui se trouvait aux Andelys.

Le Poussin, impatient de ne rien voir de relatif aux arts dans sa petite ville, s'enfuit de la maison de son père et vint à Paris, probablement sans argent. Il y rencontra un gentilhomme du Poitou qui venait faire sa cour, qui le prit, en quelque sorte, auprès de lui et lui donna les moyens de subsister. Le Poussin ne trouva à Paris que ces manières de peindre ridicules dont les Carrache venaient seulement de délivrer l'Italie 2. On sait que le Poussin changea deux fois de maître, en peu de temps. L'un d'eux nommé Ferdinand Fiammingo, peinait bien le portrait; mais les qualités qui font exceller, dans ce genre, ne convenaient guère au caractère que le Poussin a montré dans la suite.

Heureusement, il fit connaissance avec un géomètre du roi, nommé Cortese, qui avait rassemblé au Louvre où il logeait, une collection des meilleures estampes de Raphaël et de Jules Romain. Il les montra au Poussin, les lui fit aimer et celui-ci les copia bientôt avec une exactitude parfaite.

CHAPITRE LXIII

Le gentilhomme qui le soutenait à Paris, retourna en Poitou. Il l'emmena, à la vérité, avec lui, pour peindre sa maison; mais la mère du gentilhomme qui ne voyait qu'un enfantillage dans le goût de son fils pour le Poussin, employait cet ami de son fils à faire des comptes et à d'autres affaires domestiques, et ne lui laissait aucun moment pour peindre. Il ne pouvait revenir à Paris parce que la mère de son ami ne donnait à son fils, depuis son retour, aucune somme d'argent considérable.

Le Poussin entreprit de faire ce voyage à pied et sans argent; mais il souffrit tant qu'il tomba malade en arrivant et que pour se rétablir, il fut obligé de retourner aux Andelys, où il demeura un an entier avant de recouvrer la santé. Il revint encore à Paris et tâcha d'y vivre par son travail.

Depuis qu'il avait connu Raphaël, il avait un désir extrême de voir Rome: mais ce désir n'était pas soutenu par la moindre probabilité de succès. On sait, cependant, qu'il se mit en route. On ignore avec quels moyens. Tout ce qu'on sait, c'est qu'il ne put aller plus avant que Florence. De là, il revint en France, où il passa quelques années, on ne sait pas trop comment.

Quelques années après, il se trouvait à Lyon et se mit en route de nouveau pour Rome; mais il fut arrêté à la requête d'un marchand, et le payement de ce qu'il lui devait emporta toute la petite somme qu'il avait amassée pour le voyage. Il racontait qu'il ne lui resta qu'un écu et que trouvant une espèce de consolation à braver la fortune: «Prends encore celui-là», s'écria-t-il, et il le dépensa le soir même à souper gaiement avec ses compagnons.

CHAPITRE LXIV

Il se trouvait à Paris, en 1623, année dans laquelle les Jésuites célébraient la canonisation de saint Ignace et de saint François Xavier. Il avait vingt-neuf ans, et n'avait pas pu parvenir à voir Rome. Les écoliers des Jésuites à Paris avaient autrefois un monument en toile et en bois pour lequel ils faisaient peindre les miracles des deux nouveaux saints. Le Poussin fut chargé de ce travail. Il s'agissait de faire six grands tableaux en détrempe et il avait déjà tant de facilité, qu'il les termina presque en six jours. Il travaillait nuit et jour, n'avait pas le temps de consulter la nature et ses tableaux furent regardés comme les meilleurs.

CHAPITRE LXV

Cela ne signifierait pas grand'chose; mais ce qui prouve en faveur de leur mérite, c'est que le célèbre cavalier Marin, qui se trouvait alors à Paris, voulut faire connaissance avec le peintre. Il le fit venir et étant retenu au lit par une indisposition, il fit travailler le Poussin dans sa chambre et trouvait du plaisir à voir la peinture représenter les sujets de ses poésies, particulièrement les situations principales de son poème d'Adonis. On a conservé longtemps à Rome quelques-uns de ces dessins, entre autres la naissance d'Adonis qui, comme on sait, ne voit le jour qu'après que sa mère, Mirra, a été métamorphosée en arbre. On y remarquait avec plaisir combien dès ce temps-là, le Poussin suivait déjà les exemples de Raphaël et de Jules Romain.

Le cavalier Marin, retournant à Rome, voulut y conduire son peintre, qui ne put le suivre que quelques mois après. Les tableaux qu'il laissa à Paris ne sont guère connus. On cite le Passage de la Vierge entourée des apôtres dans l'église de Notre-Dame de Paris 3.

CHAPITRE LXVI
Enfin le Poussin, après tant de traverses surmontées par la force de son caractère, arriva à Rome au printemps de l'année 1624, à trente ans. Il jouit peu de l'amitié du cavalier Marin qui, étant allé à Naples sa patrie, y mourut bientôt. Le poète en partant l'avait recommandé à Sacchetti qui lui procura la faveur du cardinal Barberin, neveu d'Urbain VIII; mais cette protection fut encore enlevée au Poussin par le départ du cardinal qui allait négocier la paix entre la France et l'Espagne 4.

Le Poussin, n'ayant plus d'espérance et personne qui achetât ses tableaux, retrouva à Rome le dénuement qui le poursuivait depuis son enfance. On raconte qu'il eut beaucoup de peine à trouver 76 francs de deux tableaux de batailles emplis de figures et qui avaient quatre palmes de large.

Poussin, à Rome, montra comment doit se conduire l'homme qui veut devenir peintre. Les restes de l'antiquité lui donnaient des leçons qu'il ne pouvait espérer d'aucun maître. Il étudia le beau dans les statues grecques et forma des règles pour les proportions 5 des figures d'après le Mercure du Vatican.

Les arcs de triomphe, les colonnes des vases antiques, des urnes, lui fournirent les accessoires de ses tableaux.

Pour la composition, il étudia particulièrement une des plus belles peintures qui soient restées de l'antiquité, les Noces Aldobrandini. Ce tableau et les bas-reliefs lui apprirent cet art des oppositions, ces attitudes parfaitement adaptées au sujet et cette parcimonie d'acteurs de laquelle, ainsi qu'Alfieri l'a fait de nos jours dans ses tragédies, le Poussin ne se départit jamais. Le Poussin avait coutume de dire qu'une demi-figure de plus qu'il n'est besoin, suffit pour gâter un tableau.

Les obstacles continuels que le Poussin ne surmonta qu'en exerçant toute la force de son caractère, ne lui laissèrent pas le temps de sentir des impressions douces à laquelle son âme n'était peut-être pas très disposée. Cette sensibilité profonde que l'on trouve dans le Corrège, dans Luini, etc..., lui manque quelquefois.

S'il eût été protégé ou si un tel caractère eût pu se plier aux démarches nécessaires pour se mettre à la mode, il eût fait de grands tableaux et se fût rendu plus habile dans la partie mécanique de la peinture. Avec les sommes qu’il eût retirées de ses grands tableaux, il eût pu mener une vie plus douce et trouver des modèles pour les choses tendres et voluptueuses, dont l'absence se fait sentir dans ses tableaux.

Il se fût alors rapproché davantage de Léonard de Vinci, avec lequel il avait d'ailleurs beaucoup de rapports. Il suivait Léonard dans la théorie et fut son rival dans la précision 6.

CHAPITRE LXVII

Il chercha à former sa couleur sur celle du Titien et cette Danse d'enfants, qui fut si longtemps à la villa Ludovisi et qui le voit maintenant à Madrid, lui montra, avec le meilleur coloris qui soit au monde, le plus beau dessin qui convienne aux enfants, dans les figures desquels il a tant de gentillesse 7.

On dit qu'il abandonna bientôt l'application qu'il donnait au coloris et que ceux de ses tableaux dans lesquels on trouve les meilleures couleurs sont les premiers qu'il fit en arrivant à Rome Il craignit, ajoute-t-on, que le soin continu donné au coloris ne le distraisit de la partie philosophique de la peinture, à laquelle il était singulièrement porté.

Il suivit librement l'impulsion de son caractère et s'y adonna tout entier.

Raphaël était son modèle pour donner de l'âme aux figures, pour représenter avec vérité les passions, pour choisir dans une action, le moment qui convient le mieux à l'art de la peinture, pour faire comprendre plus qu'on ne voit, pour faire naître dans le spectateur de nouvelles réflexions, même à la seconde ou troisième fois qu'il vient voir un tableau. C'est, en effet, ce qu'on éprouve à la vue de ses ouvrages si bien inventés et si profonds.

Dans ce genre, il lutta avec les poètes et il sut même mieux que Raphaël, rendre sensibles des idées qu'avant lui la peinture n'avait pu exprimer.

Une de ces grandes vérités, que pendant longtemps la religion chrétienne a cherché à rappeler de toutes les manières, pour donner aux hommes, pour présenter à chaque instant à l'esprit des hommes, l'idée de l'enfer et que la philosophie leur met quelquefois sous les yeux pour les avertir de mettre à profit pour le bonheur les courts instants de cette vie et ne pas les perdre en vaines disputes, c'est l'idée de la mort. Présenter cette idée dans un tableau duquel on ne détourne pas la vue sur-le-champ, ou après avoir donné quelques minutes à admirer le talent déployé par le peintre dans certains membres ou dans certaines draperies, était un problème que peu de peintres eussent pu résoudre et dont le Poussin s'est tiré de la manière la lus brillante dans le célèbre tableau des Pasteurs d'Arcadie, qui orne le palais de Trianon. Ce sont de jeunes bergers qui, dansant avec une jeune fille au son d'un lyre touchée par une figure représentant le temps, s'arrêtent un instant pour lire une inscription qui est sur un tombeau élégant, placé au milieu d'une campagne charmante. Ils y trouvent cette inscription:
    Fui Arcade anch'jo 8.

Le Poussin rechercha, en arrivant à Rome, la société des gens instruits. Il est singulier que le peintre le plus judicieux ait été présenté dans Rome par le cavalier Marin, l'auteur de ce vers célèbre:
    Judate o focchi a preparer metalli 9

et qui était fait pour être l'ami des artistes du siècle de Louis XV.

Il vivait en compagnie avec un sculpteur François Fiammingo 10, connu par la grâce avec laquelle il a fait les figures d'enfants.

Ils étudiaient ensemble l'antique. Le Poussin modelait quelquefois avec son compagnon. Ils mesurèrent ensemble la statue d'Antinoüs (M. N., no...). Ils étudièrent le jeu des amours du Titien, qui était alors dans le jardin Ludovisi et qui se trouve maintenant en Espagne 11.

Ces amours étaient d'une extrême beauté; le Poussin les copia non seulement en peinture, mais il les modela en bas-relief de terre, avec son compagnon. La force du ressort qui poussait le Poussin à la peinture, était encore si vive, que même les jours de fête, il abandonnait la promenade et la société des pauvres artistes ses compagnons, société qui, alors, pouvait être son seul plaisir et se retirait seul à dessiner au Capitole, ou dans les jardins de Rome. Il apprit la science de la perspective dans les écrits de Zoccolini qui avait été le maître du Dominiquin 12. Il avait étudié l'anatomie à Paris dans un hopita1. Il recommença cette étude à Rome, toujours sur la nature.

Pour la nature vivante, il fréquentait l'Académie du Dominiquin, qu'il regarda toujours comme le premier peintre de son temps. Tout le monde admirait alors le Guide, tous les jeunes gens allaient à Saint-Grégoire dessiner son Saint André conduit au Martyre. Le génie du Poussin qui le portait au genre sévère et expressif, plutôt qu'à la grâce et à la facilité, commença à se marquer. Il se trouva le seul à dessiner le tableau du Dominiquin qui est vis-à-vis.

CHAPITRE LXVIII

Le cardinal Barberin revint enfin à Rome. Les grandes affaires ne lui avaient point fait oublier le peintre français. Il lui demanda des tableaux. Le Poussin peignit d'abord la Mort de Germanicus, ensuite la Prise de Jérusalem par Titus.

Il était aussi protégé par le chevalier del Pozzo 13, amateur éclairé qui le servait auprès du cardinal, qui lui fit donner à faire le Martyre de saint Erasme pour Saint-Pierre de Rome. Ce tableau n'y est plus qu'en mosaïque. L'original est au Musée Napoléon, no 73 et l’on peut y voir quel était alors le talent du Poussin.

C'est un supplice horrible. La beauté du dessin et le vice du coloris, frappent d'abord. Toutes les parties dans l'ombre sont de couleur de brique sombre. Ce qui étonne, c'est qu'une statue d'Hercule à laquelle on veut forcer le saint évêque de sacrifier, ne présente pas les formes de l'antique. L'Hercule Farnèse était cependant découvert 14 et l'Hercule de la galerie Farnèse existait.

Le Poussin peignit ensuite les Philistins frappés de maladie, où il imita la Peste de Raphaël gravée par Marc-Antoine. Ce tableau qui ne lui fut payé que 60 écus (325 francs) fut ensuite vendu au duc de Richelieu mille écus. Les figures les plus grandes ont environ trois palmes.

Ce genre réussissait, mais nuisit au talent du Poussin, qui ne fut pas à même d'acquérir les parties les plus grandioses du coloris 15.

Le Poussin fit beaucoup de tableaux pour le Commandeur del Pozzo et entre autres les Sept Sacrements, que tout le monde connaît. Dans les tableaux originaux qui sont à… les figures ont deux palmes 16. Le peintre les fit en divers temps. Le baptême, par exemple, fut ébauché à Rome, mais ne fut fini que pendant le voyage que le peintre fit à Paris dans la suite 17. Il envoya à Lyon, au peintre Stella, son ami, le Frappement du rocher par Moïse 18.

Il fit pour le cardinal de Richelieu quatre Bacchanales avec le Triomphe de Bacchus.

CHAPITRE LXIX

Au commencement de l'année 1639 19, le Poussin qui était alors très connu, fut appelé à Paris par M. Desnoyers, ministre de Louis XIII. On voulait faire achever le Louvre, restaurer le palais de Fontainebleau et plusieurs autres maisons royales. Les arts étaient à la mode à la cour. Le Poussin qui était heureux à Rome et que le malheur avait rendu méfiant, retarda longtemps son départ. Il arriva, enfin, à Fontainebleau. Voici quelques passages de la lettre qu'il écrivit le 6 janvier 1641, au commandeur del Pozzo:

«.... 20 J'ai fait heureusement le voyage de Rome à Fontainebleau. J'ai été reçu très honorablement dans le Palais et j’y ai été traité splendidement pendant trois jours, par un gentilhomme qui avait reçu des ordres, à ce sujet, de M. Desnoyers. Ce gentilhomme m'a ensuite conduit à Paris dans un carrosse. En arrivant, j'ai rencontré M. Desnoyers qui m'a reçu fort honnêtement. Le soir j'ai été conduit, par son ordre, dans un lieu qu'il avait désigné pour mon habitation. C'est un petit palais au milieu des Tuileries. Il contient neuf chambres, en trois étages. Il y a une écurie, une serre chaude; il y a de plus un grand jardin plein d'arbres fruitiers, avec trois petites fontaines et un puits... J'ai trouvé un étage de ce palais très bien meublé pour mon usage avec toutes les provisions nécessaires jusqu'au bois et à une pièce de bon vin vieux de deux ans. Là j'ai été fort bien traité trois jours, moi et mes amis, aux dépens du roi. Le jour suivant M. Desnoyers m'a conduit chez S. Ex. le cardinal de Richelieu, lequel m'a embrassé avec une bonté extraordinaire. Quelques jours après, je suis allé à Saint-Germain. M. Desnoyers devait me présenter au Roi qui s'est trouvé indisposé. Le matin suivant, j'ai été conduit chez M. Legrand, favori du Roi. Ce Prince a daigné me bien recevoir, il m'a fait des questions sur beaucoup de choses pendant une demi-heure et se tournant ensuite vers ses courtisans, a dit: «Voilà Vouet bien attrapé». Il m'a ensuite ordonné de faire les grands tableaux de ses Chapelles de Fontainebleau et de Saint-Germain. De retour chez moi, on m'a apporté dans une belle bourse de velours bleu, 2.000 écus d'or, de ceux qui ont été frappés en dernier lieu 21, dont mille écus pour mes gages et le reste pour le voyage, dont d'ailleurs on m'a payé les frais 22


CHAPITRE LXX

Le roi déclare le Poussin son premier peintre, par le brevet suivant: (Copier le brevet (dans Bellori) p.426).

Outre les deux tableaux que le roi avait demandés au Poussin, on devait peindre sur ses dessins, la grande galerie du Louvre et exécuter également sur ses dessins huit traits de l'Ancien Testament. Pour faciliter la prompte exécution de ces ordres, on lui permit de se servir des inventions qu'il avait déjà exécutées 23.

On voulait mettre à exécution les grandes idées de François Ier, faire un recueil d'antiquités, jeter en bronze les deux grands colosses du Quirinal et les placer devant l'entrée du Louvre, comme ils sont à Rome devant le palais Monte-Cavallo. On jeta à Paris quelques bronzes moulés sur l'antique. Pour l'étude de l'architecture, on forma des modèles, des colonnes et des pilastres corinthiens du Panthéon. Charles Errard surveillait à Rome l'exécution de ces dessins. On devait aussi faire copier les plus célèbres tableaux de l'Italie.

M. Desnoyers demanda au Poussin un grand tableau de Saint Ignace, pour l'église du Noviciat des Jésuites, que ce ministre venait de faire bâtir; mais ces divers ouvrages furent différés par ordre du cardinal de Richelieu, qui voulut que le peintre fit, avant tout, un tableau représentant le Seigneur apparaissant à Moïse dans un buisson ardent, que le cardinal tout-puissant voulait placer sur la cheminée de son cabinet.

Le Poussin fit ensuite la Vérité soutenue par le Temps contre l'Envie et la Médisance, figure plus grande que nature. (Ce tableau est au Musée Napoléon, no...)

Il acheva ensuite le tableau de Saint-Germain représentant l'Institution de l'Eucharistie; la scène est éclairée par une lampe et les figures sont de grandeur naturelle (no...).

Vers la fin de l'année 1641, où l'on devait faire la dédicace de l'église du Noviciat des Jésuites, il finit le tableau de Saint François Xavier (M. N., no...).

On faisait alors de belles éditions de Virgile et d'Horace, dont on fit dessiner des frontispices par le Poussin.

Voici ce que le Poussin pensait de cet amour pour les arts 24.

CHAPITRE LXXI

Outre ses appointements, on lui payait le prix de ses ouvrages; par exemple, il reçut 4.500 francs pour les dessins de la galerie du Louvre. Il est vrai que ce travail lui avait donné beaucoup d'ennemis et beaucoup d'inquiétudes.

Il était accoutumé à travailler dans la solitude et dut dessiner au milieu d'une foule d'artistes et d'artistes mécontents, car il était sévère sous les rapports de l'art et ne se contentait pas du médiocre.

Il demanda de retourner à Rome, pour amener en France sa femme. Il en obtint la permission sur la promesse de revenir. Il arriva à Rome vers la fin de 1642. Ce retour fut brillant pour lui. La faveur du roi de France qui, depuis plusieurs siècles, passait en Italie pour le plus puissant des ultra-montains, le rendait à Rome un personnage considérable. Il y resta si longtemps que M. Desnoyers fut disgracié 25. Cet événement fut suivi bientôt après de la mort de Louis XIII et des troubles de la régence, de la fronde. On ne songea plus au Poussin et lui encore moins à quitter Rome.

Il peignit de nouveau les Sept Sacrements pour M. de Chanteloup 26 Ce ne sont pas des copies de ceux qu'il avait faits autrefois pour le commandeur del Pozzo. Tout le monde voulait avoir des tableaux de lui. Mais il refusait de s'engager pour les ouvrages qu'il ne pouvait pas faire dans un court délai.

Il était heureux à Rome par une vie entièrement consacrée aux arts et où tout excite l'amour de l'antiquité et qui semblait faite pour le caractère du Poussin.

Voici le détail de sa vie: il se levait de bonne heure, promenant une heure ou deux, ordinairement sur le mont Pincio, voisin de sa maison. On arrivait au haut de cette colline par un chemin orné d'arbres et de fontaines et d'où l'on jouissait d'une superbe vue de Rome, de ses monts et de ses édifices. Il admirait ces beautés naturelles avec ses amis, tous Italiens et dont il parlait la langue, comme la sienne. De retour chez lui, il se mettait à peindre, et après quelques courts moments de repos, pendant les heures les plus chaudes de la journée, il travaillait encore jusqu'au soir, qu'il promenait de nouveau. Il recevait alors, en marchant, les personnes qui désiraient le voir. Sa conversation était grave et solide, fondée sur ses propres observations et sur une instruction étendue. Il a donné des preuves de son savoir dans l'édition de Léonard de Vinci, qu'on fit à Paris en 1651 avec ses dessins.

Il avait le projet de faire un livre sur son art. Il rassemblait les observations qu'il faisait sur la nature et les faits qu'il trouvait dans les livres. Il comptait mettre tout cela en ordre quand l'âge l'empêcherait de manier le pinceau; mais arrivé à cette époque de sa vie, il n'eut plus assez de forces pour exécuter son projet 27. On a conservé quelques-unes des observations qu'il avait faites; mais elles sont présentées dans des termes tellement vagues, qu'il est impossible d'arriver à la pensée originale qu'il entendait sûrement par ces mots 28.

Il disait que la peinture et la sculpture n'étaient qu'un seul art dépendant du dessin. Il fit les modèles en terre aussi grands que nature, de plusieurs termes pour la maison de campagne de M. Fochet (n'est-ce point Fouquet?). Il modelait avec une extrême facilité et il ne lui manqua pour être sculpteur que l'habitude de couper le marbre 29.

CHAPITRE LXXII

Quant à sa manière de travailler en peinture: quand il avait une idée, il en faisait une esquisse suffisante seulement pour se rappeler. Il faisait ensuite de petits modèles de cire de toutes les figures, d'environ une demi-palme de hauteur. Il les faisait dans leurs attitudes respectives. Il rassemblait ces modèles pour juger des effets de la lumière et de l'ombre. Il faisait ensuite d'autres modèles plus grands, sur lesquels il plaçait de la toile fine, légèrement mouillée, pour voir l'effet des draperies. Quelques petits morceaux de drap lui servaient pour indiquer la variété des couleurs. Il dessinait ensuite toutes les parties nues d'après nature. Quant à ses esquisses, elle ne présentent pas de contours recherchés, mais sont presque formées de simples lignes sur lesquelles il établit les effets de clair-obscur, par des couleurs à l'aquarelle, comme on peut en juger à la galerie d'Apollon, no...

Il se moquait des peintres qui prennent l'engagement de faire des tableaux de tel ou tel nombre de figures. Suivant lui, une demi-figure de plus ou de moins pouvait gâter un ouvrage.

Il connaissait les fautes des peintres, en parlait librement, ne savait pas se payer de mauvaises raisons et appliquait à tout un raisonnement fort et inexorable.

CHAPITRE LXXIII

Quoiqu’absent Louis XIV lui confirma le titre de son premier peintre et ordonna qu'on lui payât ses appointements échus (trascorsi) par un brevet daté du 28 décembre 1655.

Quelques années après, sa santé commença à s'altérer. Il fut même hors d'état de peindre les dernières années de sa vie, à cause d'un tremblement très fort qu'il avait dans les mains. On en remarque l'effet dans quelques-uns de ses dessins.

Il mourut enfin le 19 novembre 1665, à soixante et onze ans et cinq mois. Son meilleur portrait est celui qu'il envoya en 1650, à M. de Chanteloup, et qui est au Musée Napoléon, no...

On voit derrière la tête une figure de femme en profil, ornée d'un diadème sur le milieu duquel est un œil; c'est la peinture. Cette figure est embrassée par deux moines. Elles représentent l'amour de la peinture, et l'amitié pour laquelle le tableau était fait. Voilà précisément le seul mauvais goût que l'on puisse reprocher au Poussin. Une âme refroidie par l'âge et les traverses, peu d'amour pour la volupté, en ont fait plutôt un antiquaire qu'un artiste.

Il n'eut pas d'enfants et laissa une fortune de près de quatre-vingt mille francs. La sagacité était le trait marquant de l'esprit du Poussin. Il fuyait les cours et la conversation des grands, dont il se tirait cependant fort bien, lorsqu'il s'y trouvait engagé, à l'aide de son extrême raison. Lorsqu'il fut appelé en France avec toutes les apparences de la faveur, il ne partit qu'avec une extrême défiance à laquelle fait allusion un cachet qu'il fit graver à Paris 30.

CHAPITRE LXXIV

C’était un caractère de philosophe grec. Il n'y avait nulle affectation dans sa réponse au prélat Massimi qui l'était venu voir le soir et qu'il reconduisait jusqu'à son carrosse, une lanterne à la main: «Je vous plains de n'avoir pas même un domestique.» — «Je plains encore plus votre Seigneurerie, répondit le Poussin, qui en a un grand nombre.»

La passion profonde qu'il avait pour l'antiquité, paraît dans une réponse qu'il fit à un étranger avec lequel il visitait les ruines de Rome et qui témoignait un vif désir de remporter, dans sa patrie, quelque rareté antique. «Je veux vous donner, dit Nicolas, la plus belle antiquité que vous puissiez désirer» et baissant la main, il ramassa au milieu de l'herbe, un peu de terre dans laquelle se trouvèrent plusieurs morceaux de porphyre et de marbre, presque en poudre. «Portez cela, Monsieur, dans votre Musée et dites: Voilà Rome antique.»


Notes
1. Bellori qui avait vécu avec le Poussin est pour ce peintre historien original.
2. Bellori, 408
3. Voir Félibien
4. A vérifier dans les historien
5. Lanzi
6. Lanzi, t..., p. 198.
7. Voir Mengs sur le tableau de Madrid
8. Voir description de Bellori.
9. Le Cavalier Marin avait cependant du talent.
10. Voyez Bellori: Vie de Fiammingo.
11. Mengs; Laborde.
12. Bellori, 412.
13. Est-ce le même qui a écrit? En ce cas voir ce qu’il dit du Poussin.
14. A vérifier.
15. Bellori, 419.
16. Bellori, description p. 418.
17. Lettere pittoriche.
18. Mengs.
19. Voir Félibien et les auteurs nationaux.
20. Cette lettre marque sagacité, raison froide, style à l'antique plein de faits, absence totale de l'amabilité française; faire ressortir cela dans la traduction.
21. Quelle est en francs la valeur de ces deux mille écus de 1641. Voir Bonneville.
22. Bellori 425.
23. Vérifier dans les historiens et dans Alexandre Lenoir. 24. Voir Lettere Pittoriche.
25. Richelieu mourut.
26. Voir Félibien
27. Bellori, 441
28. Idem, 461.
29. Idem, 437
30. Bellori, 440.

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