Martineau et le transfert du religieux vers le culturel

Jacques Dufresne

Trois parties:

Hugo ou la continuité entre la religion et la culture

Alain de Botton ou l’instrumentalisation du sacré par le culturel

Jean Clair, de la culture du culte  au culte de la culture

 

Richard Martineau écrit régulièrement des chroniques libres dans la page la plus visible du journal le plus lu au Québec, le Journal de Montréal. Il a récemment repris à son compte un lieu commun de l’athéisme le plus plat : «En matière de religion, je suis égalitaire : pour moi, elles sont toutes basées sur des sornettes. Toutes.» Il appartenait à ses collègues de sauver l’honneur de leur journal. Deux d’entre eux, Denise Bombardier et Mathieu Bock-Côté, l’ont fait et bien fait.

En réponse à Mme Bombardier, Martineau a cru redorer son blason en rappelant que «Nulle part, il ne renie l’apport CULTUREL de l’Église catholique». Je n’avais jamais réfléchi à cette survie du religieux dans le culturel. Elle m’est apparue tout à coup comme une question cruciale. Voilà une preuve supplémentaire du fait que les pires platitudes peuvent, par effet de contraste, forcer la pensée à sortir des sentiers battus.

Chaque époque fait à la précédente des emprunts sur lesquels elle projette ses propres couleurs. Platon se souvenait de Thot, le dieu égyptien à qui il attribue l’invention de l’écriture; la chrétienté a fait de Sénèque un saint. Sainte Thérèse d’Avila appelait saint Jean-de-la Croix «son petit Sénèque». Auparavant on admirait déjà à Palmyre des trésors romains appelés aujourd’hui culturels. Bel exemple de continuité. Pour l’État islamique toutefois, ces trésors sont des réminiscences du mal païen dont l’Islam a triomphé. Complexité de la question!

Cette dissection du passé, pour en conserver les parties compatibles avec la mentalité actuelle, les modernes la pratiquent en Occident depuis des siècles. On enseigne la rationalité de Descartes en faisant abstraction des élans mystiques de la fin de sa vie. On met entre parenthèses les Pensées en étudiant le Pascal physicien et mathématicien. Auguste Comte a même poussé l’exercice jusqu’à créer une Églises positiviste. Qui sait, qui veut savoir que Gustave Fechner, le fondateur de la psychologie expérimentale, était persuadé que les fleurs ont une âme. La psychanalyse a intégré la confession, les grandes randonnées ont remplacé les pèlerinages, etc.

Certes, le Pascal savant et le Pascal mystique ne font qu’un. On les trouve réunis dans une pensée comme «le silence éternel des espaces infinis m’effraie» mais on peut facilement comprendre qu’on mette l’accent sur l’un plutôt que sur l’autre tout en attachant de l’importance à l’un et à l’autre. Dans bien des cas toutefois, on se demande comment on peut admirer la face culturelle d’une chose dont on méprise la face religieuse? L’Annonciation est l’un des thèmes préférés des peintres chrétiens. J’ai sous les yeux celle de Fra Angelico. Je présume qu’elle fait partie, selon les Martineau de ce monde, de l’apport culturel du catholicisme, mais j’entends aussi les ricanements que provoquent chez eux l’ange, la Vierge, l’Immaculée conception. Puisqu’ils méprisent ainsi l’inspiration, ne devraient-ils pas détourner leur regard du tableau qui en est la manifestation? Si le tableau trouve toujours grâce à leurs yeux en raison de sa beauté, il ne leur reste qu’une position logique : interpréter le récit à travers le tableau, voir dans l’accueil de la Vierge et la sollicitude de l’ange la reconnaissance des hommes pour ce Dieu d’amour qui descend vers eux. Que veut dire le mot beau, abstraction faite du caractère sacré de l’œuvre? On peut penser que l’idée de beauté est tombée en discrédit à partir du moment où l’on a voulu substituer à l’inspiration transcendante une projection de soi, où l’artiste a voulu s’exprimer lui-même plutôt que de relever le défi d’exprimer l’ineffable.

Ce problème de la compatibilité entre la face religieuse et la face culturelle d’une œuvre se pose sans doute de façon plus aigüe aujourd’hui qu’au lendemain de la Révolution française, moment où, paradoxalement, l’on est surtout frappé par la continuité entre la religion et la culture, la raison ne triomphant que sous la forme d’une déesse. La religion ayant imprégné tout, on pouvait s’attendre à ce que ses produits dérivés culturels en soient tout imprégnés. Ce qui semble conforme à la thèse de Paul Tillich pour qui «la religion est la substance de la culture et la culture est la forme de la religion.»

Hugo ou la continuité entre la religion et la culture

L’œuvre de Victor Hugo constitue une belle illustration de cette continuité. Hugo s’estimait assez lui-même pour estimer tout ce qui, depuis le passé le plus lointain, avait contribué à le faire tel qu’il était. La part du catholicisme dans ce passé est immense, celle du religieux au sens le plus large du terme est également importante.

Dans un poème sur les chouans, ces Bretons qui ont pris le parti de l’ancien régime et de l’Église pendant la révolution, il dit clairement ce qu’il pensait de la religion :

Paysans ! paysans ! hélas ! vous aviez tort,
Mais votre souvenir n'amoindrit pas la France ;
Vous fûtes grands dans l'âpre et sinistre ignorance ;
Vous que vos rois, vos loups, vos prêtres, vos halliers
Faisaient bandits, souvent vous fûtes chevaliers ;
À travers l'affreux joug et sous l'erreur infâme
Vous avez eu l'éclair mystérieux de l'âme ;
Des rayons jaillissaient de votre aveuglement ;
Salut ! Moi le banni, je suis pour vous clément
(Jean Chouan, La légende des siècles, Le temps présent)


Le jugement sur l’Église et ses prêtres paraît sans appel mais Hugo demeure sensible aux «rayons qui jaillissaient de leur aveuglement.» De tels rayons jaillissant de «l’erreur infâme» et millénaire de la France catholique et royaliste, Victor Hugo en évoquera des milliers tout au long d’une œuvre qui ressemble au Génie du christianisme de Chateaubriand, à cette différence près que Chateaubriand célébrait l’Église en tant qu’institution en même temps que le message évangélique, tandis que l’auteur de la Légende des siècles se limitait au message évangélique et à l’enseignement de la vertu hérité des anciens.

«Synthèse, dit le ciel. L’homme dit : analyse.» (Hugo, Toute la lyre.)


Dans ce domaine, comme dans tant d’autres, Hugo prendra le ciel plutôt que l’homme comme modèle. Son œuvre en tant que philosophe poète est une synthèse étonnamment vivante, sinon toujours cohérente, de tout ce que les hommes, tels qu’on pouvait les connaître à son époque, ont dit, fait et rêver pour donner un sens à la vie et rendre le monde meilleur. Dans cette synthèse il est, sauf exception, bien difficile de distinguer le religieux du culturel. Même le progressisme de Victor Hugo, l’idée moderne par excellence selon laquelle le progrès matériel entraîne le progrès moral, est associé à la présence de Dieu dans le monde et dans l’histoire :

Quelle que soit la lutte ou la peine ou l’épreuve,
Chaque fois que l’homme, humble et que le doute abreuve,
Saisit un fait nouveau dans l’ombre, il a goûté
De Dieu, de la lumière et de l’éternité. (Dieu)


Son optimisme, il est vrai tourne parfois au délire, comme dans ce poème où il prédit, sur un ton qui n’a rien de chrétien, que le XXe siècle sera celui de la paix :

Les rancunes sont effacées,
Tous les cœurs, toutes les pensées,
Qu'anime le même dessein,
Ne font plus qu'un faisceau superbe.
La rouille mord les hallebardes.
De vos canons, de vos bombardes,
Il ne reste pas un morceau
Qui soit assez grand, capitaines,
Pour qu'on puisse prendre aux fontaines,
De quoi faire boire un oiseau.
(Les Châtiments, Lux)


Victor Hugo n’idolâtre pourtant pas la technoscience, il conserve une vive conscience de l’ambiguïté du progrès. « Sans cesse le progrès, roue au double engrenage », écrit-il, « fait marcher quelque chose en écrasant quelqu’un ». Ce qui l’amène à discerner le problème qui est au cœur du débat actuel sur le progrès:comment espérer, en enchaînant la matière, libérer l’homme qui, dans la perspective dominante, est lui-même matière?

Voyez: le genre humain, à cette heure opprimé
Par les forces sans yeux dont ce globe est formé
Doit vaincre la matière, et, c’est là le problème,
L’enchaîner, pour se mettre en liberté lui-même.
(L’Année terrible, Loi de formation du progrès)


Même si le mot Dieu est absent de ces derniers vers, Dieu est selon Victor Hugo la solution du problème :

L’étincelle de Dieu, l’âme est dans toute chose.
Le monde est un ensemble où personne n’est seul;
Tout corps masque un esprit; toute chair est linceul;
Et pour voir l’âme on n’a qu’à lever le suaire. 123
(Dieu, l’ange)
***

Dans Les Misérables, on peut voir un roman chrétien aussi bien qu’un roman profane. L’évêque de Digne est un saint et Jean Valjean appartient à la même espèce. En lisant Booz endormi, le plus célèbre des poèmes de Hugo, on baigne dans une atmosphère biblique aussi bien que cosmique au sens que ce mot pouvait avoir pour Pythagore :

Pendant qu'il sommeillait, Ruth, une moabite,
S'était couchée aux pieds de Booz, le sein nu,
Espérant on ne sait quel rayon inconnu,
Quand viendrait du réveil la lumière subite.

Booz ne savait point qu'une femme était là,
Et Ruth ne savait point ce que Dieu voulait d'elle.
Un frais parfum sortait des touffes d'asphodèle ;
Les souffles de la nuit flottaient sur Galgala.
[…]
Et Ruth se demandait,

Immobile, ouvrant l'œil à moitié sous ses voiles,
Quel dieu, quel moissonneur de l'éternel été,
Avait, en s'en allant, négligemment jeté
Cette faucille d'or dans le champ des étoiles.


Il n’empêche que ce poème est tout entier orienté vers le Christ, ce qu’on découvre au terme d’une parfaite évocation de cette tradition qui est le terroir du sentiment religieux :

Comme dormait Jacob, comme dormait Judith,
Booz, les yeux fermés, gisait sous la feuillée ;
Or, la porte du ciel s'étant entrebâillée
Au-dessus de sa tête, un songe en descendit.

Et ce songe était tel, que Booz vit un chêne
Qui, sorti de son ventre, allait jusqu'au ciel bleu ;
Une race y montait comme une longue chaîne ;
Un roi chantait en bas, en haut mourait un dieu.
(La Légende des siècles)


C’est sous la dictée de ce même Dieu qu’il aurait écrit les Contemplations

Ce livre azuré, triste, orageux, d'où sort-il ?
D'où sort le blême éclair qui déchire la brume ?
Depuis quatre ans j'habite un tourbillon d'écume
Ce livre en a jailli. Dieu dictait, j'écrivais;
Car je suis paille au vent. Va ! dit l'esprit, je vais.


Dans ce recueil, écrit en souvenir de la mort de sa fille Léopoldine, on peut lire dans un poème intitulé Villequier des vers comme ceux-ci :

Je dis que le tombeau qui sur les morts se ferme
Ouvre le firmament ;
Et que ce qu'ici-bas nous prenons pour le terme
Est le commencement ;

Je conviens à genoux que vous seul, père auguste,
Possédez l'infini, le réel, l'absolu ;
Je conviens qu'il est bon, je conviens qu'il est juste
Que mon cœur ait saigné, puisque Dieu l'a voulu !


Est-ce là une prière religieuse ou une prière culturelle? La question est absurde, ce qui montre bien que chez Victor Hugo, comme plus tard chez Verlaine, il n’y a pas de discontinuité entre le culturel et le religieux. La distinction se précisera aux XXe et XX1e siècle, au point qu’on verra apparaître une instrumentalisation du religieux au service de la santé psychologique…

Alain de Botton ou l’instrumentalisation du sacré par le culturel

 

Le philosophe anglais Alain de Botton a fait récemment l’apologie de cette instrumentalisation dans Religion for atheists. Adoptant la thèse à la mode selon laquelle le fondement des religions ne résiste pas à la critique rationnelle, mais reconnaissant d’autre part que les humains ont besoin de rites, de vie communautaire et de transcendance, il propose d’importer dans la sphère de la culture profane des fragments de religion compatibles avec cette culture. On pense immédiatement aux musées, ces temples laïcs que les modernes ont inventés pour en faire les haut lieux du transfert du sacré vers le culturel.

C’est l’un des thèmes chers à Alain de Botton. Les grands musées, dit-il en substance, sont les cathédrales modernes; pendant des centaines d’années, les cathédrales ont été, tout comme les musées aujourd’hui, les lieux les plus appréciés dans la société, mais alors qu’on savait pourquoi on fréquentait la cathédrale – pour son salut, sa rédemption, pour retrouver la chaleur d’une communauté, etc., on ne sait pas trop bien à l’heure actuelle pourquoi on se rend au musée. Pourtant le musée pourrait nous apporter une foule de bienfaits que nous cherchions auparavant dans la religion. La culture est en mesure de remplacer plusieurs des fonctions des livres sacrés. Hélas! si on allait au musée dans le but de retrouver la joie de vivre au contact de telle ou telle œuvre, on n’oserait pas le dire de peur de passer pour un non initié.

Il reste que le musée, toujours selon Alain de Botton, est un lieu froid et académique, tandis que la cathédrale est chaleureuse, vivante, vibrante. Alain de Botton est toutefois d’avis qu’il serait assez facile de transformer les musées pour leur permettre de jouer le rôle des cathédrales. Au lieu de regrouper les œuvres par siècle et par discipline, on pourrait les regrouper sous des thèmes correspondant aux attentes et aux besoins du public : l’amour, la mort, l’enfant, la nature, l’argent, le bonheur.

Les collections d’œuvres satisferaient les besoins psychologiques des gens comme elles ont pendant des siècles satisfait leurs besoins religieux. Les musées deviendraient des centres de thérapie par l’art, apparentés aux centres de thérapie par le rire. On se dirigerait vers la salle Amour du Musée et dans cette salle on s’arrêterait devant le Déjeuner sur l’herbe de Renoir, persuadé qu’on éprouverait le sentiment désiré. Satisfaction obtenue ou argent remis.

Dans un excellent article sur Religion for Atheists, David Brooks du New York Times se tourne vers C.S. Lewis pour rappeler à ses lecteurs que la joie ne se donne pas à ceux qui la cherche expressément, qui en font un objectif, «qu’elle est plutôt accordée par surcroît à ceux dont toute l’attention se tourne vers quelque chose d’autre – que ce soit une montagne lointaine, le passé ou le dieu de Asgard. »

Jean Clair, de la culture du culte au culte de la culture

Le français Jean Clair s’est aussi intéressé au rapport entre les musées et les cathédrales, de même qu’au transfert du sacré vers le culturel, mais dans une perspective bien différente. Cet historien de l’art est si libre dans ses propos sur les fumistes1 de l’art contemporain, que ses détracteurs aimeraient bien qu’on ne voie en lui qu’un nostalgique inculte. Il importe donc de rappeler les grandes lignes de son curriculum. Il fut Conservateur des Musées de France, notamment au musée d’Art moderne, au Centre Pompidou et au musée Picasso.2

Dans l’Hiver de la culture, un livre paru en 2011, il raconte cette anecdote : «Roger Caillois se souvenait qu’au musée de Séoul, dans les années soixante-dix, il voyait les visiteurs s’incliner et déposer leurs offrandes – monnaie, billets ou fruits – devant des bouddhas qui pourtant étaient là exclusivement à titre d’œuvres d’art. « J’ai réfléchi, ajoute-t-il, qu’il était douteux que je surprenne jamais au Louvre, voire au Prado, fût-ce une dévote en train de se signer ou de se recueillir devant un Christ en croix, ce qu’elle n’eût pas manqué de faire en rase campagne devant un calvaire ou même un reposoir.»

Voici le commentaire de Jean Clair sur les propos de Caillois :

«Dans les musées d’aujourd’hui, les gens ne prient pas en effet devant les œuvres d’art qui sont pourtant, dans leur immense majorité, des œuvres religieuses, ils les photographient, ils parlent fort, ils ricanent parfois.

En Occident, le musée désacralise par le seul fait qu’il est un musée. Malraux s’en émerveillait : ‘’L’âme du musée imaginaire est la métamorphose des dieux, des morts et des esprits en sculptures, quand ils ont perdu leur sacré. ‘’ Je ne suis pas certain que la qualité d’imaginaire qu’il lui accordait et sa vertu d’universel ait jamais comblé les pertes provoquées par cette puissance de profanation.»

Là se trouve la question fondamentale et il s’agit vraiment d’une question. J’ai moi-même découvert la grande peinture grâce une page couverture de Paris Match présentant Aristote contemplant le buste d’Homère. Le musée Metropolitan de New York venait d’acheter ce chef d’œuvre à un prix record. Nous sommes à la fin de la décennie mil neuf cent cinquante. Cet exemple montre bien la complémentarité entre les musées et les techniques de communication contemporaines – journaux, magazines, télévision, livres d’art, internet—comme moyens de diffusion des trésors culturels.

Ces trésors pouvaient-ils devenir objets de consommation sans perdre le mystère intérieur qui fait toute leur valeur? Le chant de la terre de Mahler faisait partie depuis au moins dix ans de ma collection de CD. Il ne m’a pleinement touché à un moment inattendu, alors que malade moi-même, je pensais à la souffrance de Mahler à la mort de sa fille. Ce qui me rappelle ces vers de William Blake:

He who binds to himself a joy
Does the winged life destroy;
But he who kisses the joy as it flies,
Lives in eternity's sun rise.
(Joie, ô vie ailée,
Brisée d’être conquise ;
Aube de l’éternité,
Pour le baiser qui la cueille en son vol.)


A force d’être sur nourris de produits culturels, ne risquons-nous pas de développer une obésité de l’imaginaire qui nous rende indifférents et indisponibles à mille choses qui pourraient faire notre joie?

Ne convient-il pas pour que l’expérience soit complète que l’atmosphère intérieure et extérieure dans laquelle on contemple une œuvre, corresponde à l’aura de cette œuvre? La rosace de Notre Dame de Paris n’est-elle pas faite pour être vue, dans toute sa splendeur, depuis le chœur de la cathédrale? Peut-être est-ce là l’explication de la popularité des pèlerinages, vers Compostelle notamment. On voit vraiment le tympan de Moissac, il redevient chose sacrée, quand on le découvre au hasard du chemin après dix jours de marche.

Nous sommes passés selon les mots de Jean Clair : «de la culture du culte au culte de la culture.» [...]«Nous sommes tombés dans le culturel : affaires culturelles, produits culturels, activités culturelles, loisirs culturels, animateurs culturels, gestionnaires des organisations culturelles, directeurs du développement culturel et, pourquoi pas ? : médiateurs de la nouvelle culture, passeurs de création et même directeurs du marketing culturel …

Il importe surtout d’éviter de considérer comme irréversible le glissement vers le culturel, tel qu’on l’entend ici. Jean Clair nous invite plutôt à suivre l’exemple des Slovènes. «En retrouvant leur liberté et leurs frontières, en redevenant des nations, un certain nombre de petits pays d’Europe centrale, la Slovénie par exemple, demandent qu’on leur restitue les fresques, de nature et de sujet religieux, qui avaient été, par l’occupant russe ou allemand, détachées des églises pour être exposées dans leurs musées à vocation ‘’culturelle ‘’ et ‘’ universelle ‘’, entre les fétiches africains et les produits de l’avant-garde internationale. Les Slovènes veulent les replacer là où elles étaient, pour leur redonner leur sens et leur utilité propres.»

Comme pour les Maoris et les Iroquois, poursuit Jean Clair : «Il est juste qu’on ait restitué à la Nouvelle-Zélande les têtes de Maoris qu’on exposait dans nos musées. Mais ce respect rendu à des reliques humaines ne pourrait-il s’étendre à des objets de culte quand ils sont ravalés à n’être que des objets d’art ? Serions-nous plus cultivés que ces Indiens iroquois qui, il y a quelques années, obtinrent du musée les exposant que les masques présentés dans les vitrines, alors qu’ils n’étaient pas supposés être vus du public, fussent retirés et même leur fussent restitués ?»

Les Amérindiens devaient eux-mêmes suivi le mouvement du religieux vers le culturel en créant leurs propres musées.


Note

1- «Jeff Koons est entre-temps devenu l’un des artistes les plus chers du monde. La mutation s’est faite à l’occasion des transformations d’un marché d’art qui, autrefois réglé par un jeu subtil de connaisseurs, directeurs de galeries d’une part et connaisseurs de l’autre, est de nos jours un mécanisme de haute spéculation financière entre deux ou trois maisons de vente et un petit public de nouveaux riches. Jeff Koons s’affiche aujourd’hui non plus échevelé comme les artistes romantiques, moins encore nu et ensanglanté comme les avant-gardistes des années soixante-dix, mais comme un trader de la City, attaché-case à la main et rasé de frais, adapté à son nouveau public et totalement fondu en lui comme un homo mimeticus.»

2-Cet historien de l’art est si libre dans ses propos sur les fumistes1 de l’art contemporain, que ses détracteurs aimeraient bien qu’on ne voie en lui qu’un nostalgique inculte. Il importe donc de rappeler les grandes lignes de son curriculum.
Conservateur des Musées de France, au musée d’Art moderne, au Centre Pompidou, au musée Picasso, Jean Clair a aussi exercé son activité dans des grands musées américains et dirigé la Biennale de Venise du Centenaire.
Auteur d’expositions internationales, récemment Crime et Châtiment, il a écrit des essais sur l’art et l’esthétique, traduits dans plusieurs langues, dont Malaise dans les musées dans la collection Café Voltaire.

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