L'éternel retour de l'admiration

Stéphane Stapinsky

Au cours de la première moitié du XXe siècle, trop de gens dans le monde, en Occident d’abord, ont admiré inconditionnellement Hitler et Staline. Il en résulta une culture du soupçon, marquée par la  volonté de ne pas être dupe. Après avoir été mise à mal par une longue et lente montée de l’égalité, la grandeur, objet de l’admiration, avait été réduite à la volonté de puissance de quelques névrosés. Dans certains pays, c'est encore le cas aujourd'hui. Conséquences : cynisme ou indifférence. Mais n’est-ce pas à l’aune de la vraie grandeur qu’on peut juger de la fausse? C’est  par comparaison avec Churchill ou Gandhi, ou avec les Antonins admirés de Marguerite Yourcenar à la même l’époque, que l’on pouvait le mieux prendre la mesure ou plutôt la démesure des dictateurs ivres d’Idéologie.

Cette peur d’être dupe, il nous faut tenter de la surmonter, en nous inspirant par exemple d’un écrivain comme Camus qui, s’il a cultivé toute sa vie la lucidité, n’en pensait pas moins que "dans les hommes, il y a plus de choses à admirer que de choses à mépriser" (La Peste).

Le toxicité du soupçon est profonde. “Est-il encore permis d’admirer? Après l’ère du soupçon (...) et dans un climat de relativisme où tout se vaut, y a-t-il encore place dans la sensibilité moderne pour l’admiration?” , se demande Claude Flipo1. Ces questions sont pertinentes, car la notion même d’admiration, on l'a vu, est loin de faire l’unanimité.

“Nous souffrons tous d’un déficit d’admiration”, écrit l’auteur d’un texte que j’ai découvert sur le web2. Je pense qu’il a raison. Car l’être humain ne se construit harmonieusement qu’en laissant s’épanouir en lui le désir d’admirer qui est inscrit au plus profond de notre être. La science actuelle va jusqu’à nous rappeler que cette réalité a des bases biologiques tenant à la structure même de notre cerveau3.

Cependant, la société actuelle ne nous fournit trop souvent que des substituts bien insuffisants à ce besoin d’admiration. Dans le vocabulaire contemporain, un admirateur, c’est devenu un “fan”. C’est tout dire. L’écrivain Michel Crépu, qui a beaucoup réfléchi à la question, a raison de rappeler que l’admiration véritable se définit d’abord contre l’idolâtrie4.

Mais il n’est pas trop tard pour inverser le cours des choses, nous dit la philosophe Cynthia Fleury. La capacité d’admirer peut se développer, à condition de le vouloir. Il ne s’agit que “de libérer, en nous, cette possibilité d’accueil de la rareté de l’autre”5.

Cette espérance, nous la portons. Il est plus que jamais nécessaire de réhabiliter l'admiration authentique. Cet article souhaite apporter une modeste contribution à ce travail, en en rappelant les plus beaux exemples et en en cernant les objets les plus dignes.

L’admiration : un sentiment qui élève

Il existe bien des définition de l’admiration. Je propose aux lecteurs de se référer au dossier Admiration dans l’Encyclopédie. J’aime bien pour ma part celle que propose l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, qui constitue un bon point de départ:

“C’est le sentiment qu’excite en nous la présence d’un objet, quel qu’il soit, intellectuel ou physique, auquel nous attachons quelque perfection. Si l’objet est vraiment beau, l’admiration dure; si la beauté n’était qu’apparente, l’admiration s’évanouit par la réflexion; si l’objet est tel, que plus nous l’examinons, plus nous y découvrons de perfection, l’admiration augmente. Nous n’admirons guère que ce qui est au-dessus de nos forces ou de nos connaissances.”6

Mais Jacques Dufresne a raison de rappeler que ce qui suscite la plus grande admiration, ce sont avant tout les objets qui sont liés à notre existence à la fois charnelle et spirituelle. “Tout paysage harmonieux, toute personne rayonnante, tout chef-d’œuvre, tout objet de qualité, qui s’offre comme nourriture à notre regard contemplatif fait partie des grandeurs de l’incarnation.”7

Jean Mambrino insiste avec raison sur un autre aspect de l’admiration, à savoir l’élévation vers le grand, le beau, le vrai, qu’elle nous procure.

“Pour admirer, il convient donc de cultiver l’ouverture d’esprit, toutes les vertus de détente, de souplesse, de disponibilité, de confiance, un certain goût d’approuver, de consentir à ce qui est différent de soi, d’acquiescer à ce qui nous dépasse. Il ne faut pas être enfermé dans son étroit jugement, rétracté, refoulé, identifié à ses opinions, ses appétits, mais sans cesse en quête, plein de curiosité, de bienveillance, apte à saisir les meilleurs éléments de la vie et des êtres. Goethe disait : « Quand on ne parle pas des choses avec une émotion pleine d’amour, ce qu’on dit ne vaut pas la peine d’être rapporté. » Les plus grands génies respirent naturellement à ce niveau. Claudel, que l’on jugeait intolérant, déclarait sans ambages : « Celui qui admire a toujours raison. » Et Valéry, poète de l’intelligence, murmurait comme pour lui-même : « L’être qui admire est beau comme une fleur. »

Cette image désigne bien le mouvement d’élévation, la poussée vers le haut, vers ce qui nous surplombe et nous attire, beauté-bonté se tenant embrassées. C’est ainsi que l’on sort de ses frontières, de ses limites, pour aborder à chaque fois un rivage inconnu. Le petit moi mesquin et prisonnier de son amour-propre s’est perdu en chemin, tombé dans l’oubli. Celui qui admire est saisi de stupeur, bouche ouverte, proche du cri, dans un oh ! d’émerveillement, tout le visage comme irradié par une lumière venue d’ailleurs.”8

On comprend que l’admiration , un sentiment qui se place au confluent de la vie affective et de la vie intellectuelle, joue un rôle fondamental dans notre vie morale. “D’où l’importance d’un apprentissage de l’admiration dans les années d’école, quand un vrai maître est capable de susciter en ses élèves ce jaillissement qui durera toute leur vie.” 9

La philosophe Cynthia Fleury pense elle aussi que cette capacité à admirer est susceptible de se développer.

Cynthia Fleury
Crédit : JeanAlix21, 13 septembre 2018
Wikimedia Commons


“S’émerveiller est un acte de connaissance. Bien sûr, tout le monde a cette capacité d’admirer, à condition de le vouloir. Car c’est un mouvement actif. Il ne s’agit pas de réceptionner les qualités admirables de l’autre, au cas échéant nous pourrions dire que nous n’admirons pas car nous n’avons jamais rencontré quelqu’un qui en soit digne. Il s’agit au contraire de libérer, en nous, cette possibilité d’accueil de la rareté de l’autre. Si nous ne la déployons pas, l’admiration nous passe à côté. Nous en sommes responsables.”10

Nous y reviendrons plus loin. Mais voyons d'abord qui réfléchit et nous parle aujourd'hui de l'admiration.

Qui s'intéresse aujourd’hui à l’admiration?

Les philosophes…

L’admiration est d'abord une notion philosophique dont “chacun sent bien qu’elle n’est pas d’usage aisé”, nous dit Christian Ruby11.

Le concept d’admiration a une histoire, que nous révèle Thibault Barrier, enseignant à l’université de Tours, dans Le temps de l'admiration. Ou la première des passions à l'âge classique (Classiques Garnier, 2019), ouvrage dont rend compte Ruby. Il s’agit d’abord, pour l'auteur, d’examiner son utilité pour la connaissance. Pour Ruby, Barrier “en arrive à la conclusion selon laquelle la promotion moderne de l’admiration structure le bouleversement majeur de l’anthropologie philosophique de l’âge classique”12.



“Justement, parmi les mille et un moyens par lesquels le monde laïque et moderne a installé l’homme, sur le plan de la nature et de son propre examen, au cœur de ses productions, de sa pensée et de ses attentes, cette « passion », l’admiration, a été décisive. Certes, la notion, à travers la conception antique de l’étonnement (le thaumazein), existe depuis longtemps. Elle définit le premier moment du désir de savoir : s’étonner d’abord (de ce que l’on voit, de ce qu’on entend dire), puis questionner pour chercher à savoir. Mais sa traduction en latin, admiratio, accompagne un amoindrissement de son usage et un déplacement de son intérêt, désormais soumis aux arcanes de la théologie. Il faut attendre la promotion cartésienne de l’admiration pour la retrouver au centre de l’intérêt des philosophes.”13

Descartes occupe donc une place de premier plan dans ce tableau généralogique. “1649 est la date précise autour de laquelle pivote la transformation de la notion d’admiration, la définissant désormais comme un mouvement intense de l’âme, un affect qui modifie l’âme et le corps. C’est la date de publication des Passions de l’âme de Descartes.”14

La rupture est consommée avec la philosophie médiévale.

“Si Thomas d’Aquin fait de l’admiration une contemplation mêlée de crainte et de respect pour la grandeur incompréhensible de la toute-puissance divine, désormais elle devient une notion à part entière. Elle est intégrée au système nouveau des passions, au titre de la première d’entre elles. Elle ne peut plus être considérée comme dérivée d’autres passions (le désir de savoir, la crainte, l’estime d’une grandeur ou l’amour de Dieu), elle devient objet d’un savoir autonome, et prend un sens déterminant pour la compréhension de l’action humaine.”15

Pour ceux qui seraient intéressés, on trouve sur le web des articles de Guy Godin, datant du début des années 60, qui présentent une étude du concept d’admiration suivant une perspective thomiste.

L'admiration, principe de la recherche philosophique
https://www.erudit.org/fr/revues/ltp/1961-v17-n2-ltp0959/1020011ar.pdf

La notion d'admiration
https://www.erudit.org/fr/revues/ltp/1961-v17-n1-ltp0958/1020001ar.pdf

Les spécialistes de la vie morale

Autres spécialistes concernés par le thème de l’admiration, ceux qui ont pour domaine d’étude les questions morales : philosophe, éthiciens, psychologues et théologiens.

Plusieurs publications récentes renouvellent l’approche de la question, principalement dans le monde anglo-saxon.

L’ouvrage Character: New Directions from Philosophy, Psychology, and Theology, de Christian B. Miller, R. Michael Furr, Angela Knobel et William Fleeson (Oxford University Press, 2015) présente un bon survol des approches récentes.

"Ce livre contient de nouveaux travaux sur le caractère du point de vue de la philosophie, de la théologie et de la psychologie. D'une simulation en réalité virtuelle des expériences de choc de Milgram, à la compréhension de la vertu de la modestie dans les sociétés musulmanes, à la défense de la responsabilité morale des soldats qui ont commis des crimes de guerre, les divers chapitres de cet ouvrage ouvrent de nouvelles voies et font progresser de manière significative notre compréhension du caractère. Les principaux sujets abordés sont les suivants : nos croyances relatives au caractère, l'existence et la nature des traits de caractère, le caractère et la théorie éthique, l'épistémologie de la vertu, la nature des vertus particulières, le développement du caractère et les défis que posent les neurosciences et le situationnisme au caractère et à la vertu. Le livre façonne de manière significative les discussions sur le caractère dans l'érudition". (présentation sur le site de l'éditeur)16

Linda Trinkaus Zagzebski, qui y écrit un texte sur la notion d’admiration, publie en 2017 un essai où elle prolonge sa réflexion : Exemplarist Moral Theory (Oxford University Press). Pour elle, "une théorie morale complète peut être construite en identifiant des exemples moraux et en examinant (pour le dire très grossièrement) ce qui les fait cocher. Nous identifions les exemples moraux en nous référant directement aux personnes que nous admirons "à la réflexion". C'est ce que nous entendons par exemples moraux. Deux émotions vont jouer un rôle central dans ce type de théorie morale : l'admiration, et son contraire, le mépris".17

Mais sont surtout révélateurs des développements récents de la psychologie morale, et importants pour nous, les travaux d’Alfred Archer, qui ont conduit à la publication, avec André Grahle, d'un ouvrage important (Rowman & Littlefield International, 2019) dans une collection consacrée à l’étude des émotions humaines, qui s'intitule The Moral Psychology of Admiration.

"Réunissant les travaux de philosophes et de psychologues, ce livre se veut une exploration interdisciplinaire, bien que principalement philosophique, d'une émotion souvent discutée mais rarement étudiée : l'admiration. En explorant la psychologie morale de l'admiration, le volume examine la nature de cette émotion, comment elle est liée à d'autres émotions telles que l'émerveillement, l'envie et la fierté et quel rôle joue l'admiration dans notre vie morale. En ce qui concerne cette dernière, l'accent est mis sur le lien potentiel entre l'admiration, l'émulation et l'amélioration de nos caractères, ainsi que de la société dans son ensemble." (présentation sur le site de l'éditeur)18


Des philosophes et des psychologues ayant une vue plus pratique…

La philosophe pratique, pratico-pratique dirons-nous, évoque aussi les vertus de l'admiration dans la vie de tous les jours. Pour Charles Pépin, philosophe et professeur au lycée d’État de la Légion d’honneur, “nous aimons admirer autrui parce que nous trouvons dans cette admiration le ressort d’une amélioration de soi. Il s’agit donc toujours de « dépassement de soi » mais en deux sens différents. Le moi, dans le premier cas, est bien en effet « dépassé » : autrui me fascine davantage que mon « cher petit moi » et cela fait beaucoup de bien. Dans le second cas, il y a dépassement de soi, mais au sens d’un agrandissement de ce moi, rendu possible par le bel exemple de l’autre. Admirer autrui, admirer la manière dont il a réussi à devenir lui-même, c’est alors trouver dans cet exemple le plus beau des encouragements : si lui a réussi, c’est que, moi aussi, je peux réussir. Si lui a réussi à actualiser sa puissance, dirait Aristote, c’est qu’une telle actualisation est simplement possible.”19

 Une psychologie plus terre-à-terre, grand public, nous rappelle l’importance de l’admiration, notamment dans la création du lien amoureux.

“L’admiration est une composante essentielle de l’amour. Une composante essentielle de l’idéalisation réciproque qui marque l’illusion amoureuse des débuts d’une relation. L’autre est cet être parfait qui me reconnaît moi-même comme parfait.

Avec le temps, cette béatitude fusionnelle se fissure certes un peu, mais la nécessité demeure d’une réassurance narcissique que chaque partenaire vient puiser en l’autre. Si je vis avec quelqu’un à qui je reconnais de la valeur, c’est que j’en ai moi-même.”20

On rejoint ici le Poète…

“Va, tes larmes m’ont bien profondément ému, la douceur angélique avec laquelle tu m’as pardonné ne sortira jamais de mon cœur. Adèle, tu n’aimes pas un ingrat. Plus je te vois, plus je t’approche, et plus je t’admire. Tu me fais chaque jour sentir intérieurement combien je suis peu de chose, et cette comparaison où je perds sans cesse, a des charmes pour moi, parce qu’elle me démontre ta perfection et ta supériorité, et que je ne suis fier au monde que de mon Adèle.”  -- Victor Hugo21

Pour Cynthia Fleury, «L’admiration protège le couple de la matérialité du quotidien ».

“L’admiration est un geste précieux d’attention à l’autre, une passion du cerveau avant d’être une passion du cœur. C’est une faculté à se décentrer, à déployer son regard hors de soi et d’y trouver matière à intérêt, à penser, à aimer. Il n’y a pas de connaissance de l’autre - donc d’amour - possible sans admiration.”22

Mais l’admiration peut aussi avoir ses côtés négatifs… Elle peut se révéler néfaste lorsque, par exemple, on valorise chez l'autre une qualité qu'on n'a pas soi-même, et qu'on néglige de regarder l'ensemble de sa personne. Ou lorsqu'on met l'autre sur un piédestal, ce qui nous
situe d'emblée comme inférieur. Enfin, "certaines personnes "utilisent" les qualités morales, intellectuelles, relationnelles, si "admirables" de leur partenaire pour se valoriser socialement, auprès tant de la famille, des amis que des collègues. Leur partenaire n’a alors qu’une valeur de trophée : là encore et à plus forte raison, il n’est pas question d’amour."23

Pour Florence Escaravage, fondatrice de l’agence de coaching amoureux "Love Intelligence", "un des plus grands freins pour trouver l’amour est bien l’admiration". "L’admiration fait trop souvent abstraction de la personnalité profonde de l’être aimé et mène donc les uns et les autres dans une relation décevante. L’admiration en amour se cristallise trop souvent autour des seules valeurs du « paraître » (apparence, signes extérieurs de richesse, bonne famille, bonne éducation) et du « faire » (il parle bien, il a de l’humour, il a des diplômes, il a une bonne belle réussite professionnelle…). On pense l’aimer, mais ce n’est pas de l’amour.". Il y a cependant, nous dit-elle, une conception "saine" de l'admiration en amour. "Admiration et amour peuvent donc faire très bon ménage, à la seule condition que l’admiration ne se base pas sur l’idée que l’autre est mieux que soi."24

La capacité d’admirer est aussi une qualité que l’on prise dans le monde des affaires. La confiance, le respect et l'admration sont des qualités cruciales lors de la conclusion d'accords commerciaux et de contrats, rappelle un collaborateur de la revue Forbes25. L'admiration à l'endroit de ses dirigeants peut aussi être un bien pour une entreprise, à condition de savoir éviter les écueuils et les pièges. Car "c'est une chose d'admirer son supérieur et de s'enrichir à son contact. C'en est une autre de se positionner comme son serviteur dévoué."26

Et les écrivains…

Le thème de l’admiration, en relation avec les écrivains, je l’ai d’abord éprouvé en lisant Cioran et ses fameux Exercices d’admiration.



“C’est Cioran qui avait forgé l’expression, et qui avait du même coup attiré l’attention sur ce qu’elle pouvait signifier pour un artiste, écrivain ou poète, rappelle Anne-Lise David. C’était judicieux de la part de l’auteur de La tentation d’exister de parler d’exercices au sujet de l’admiration au même titre que l’on parle d’exercices spirituels, car la pratique de l’admiration est une méthode pour grandir et étoffer son âme.”27

Parmi les écrivains d'aujourd'hui, j’ai surtout été interpellé par la réflexion de Michel Crépu, critique littéraire, essayiste, directeur de la NRF et auteur de L’admiration contre l’idolâtrie, aux éditions Autrement, dans lequel il expose avec clarté les paradoxes de la notion:

“Pourtant, contre l’indifférence et le cynisme érigés en norme ou les emballements immédiats devant tout et n’importe quoi, l’admiration reste une force. La force de s’étonner et de s’incliner devant le beau, le sublime. Toutefois, admirer ne signifie pas se soumettre. C’est même en cela que l’admiration est le contraire de l’idolâtrie.” (présentation de l'éditeur)

Voir aussi :
Michel Crépu : "admiration" et "idolâtrie", tout un paradoxe (France TV info)
https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/mise-a-jour/michel-crepu-admiration-et-idolatrie-tout-un-paradoxe_2427747.html
Michel Crépu: "L’admiration contre l’idolâtrie" (RFI)
http://www.rfi.fr/emission/20171126-crepu-michel-critique-litteraire-essayiste-nrf-admiration-idolatrie


Je m’en voudrais de ne pas mentionner également ce texte du cinéaste et essayiste québécois Bernard Émond publié il y a quelques années dans la revue Relations.



“Admiration, voilà un mot qu’on n’utilise plus guère, et peut-être même un sentiment qu’on éprouve de plus en plus rarement. (…)

À notre époque désabusée, arrivons-nous encore à considérer que quelque chose ou quelqu’un puisse nous dépasser ? Nous ramenons tout à notre pauvre mesure, et au premier chef à nous-mêmes. Et qu’il puisse y avoir une hiérarchie des valeurs ou des œuvres est anathème dans la démocratie de marché : tout est question de goût, n’est-ce pas ? Quant à la gratitude, elle n’a guère la cote ; nous considérons que tout nous est dû : les droits individuels constituent l’horizon de la pensée politique et l’extension illimitée de la liberté personnelle passe pour l’achèvement de l’aventure humaine. Nous avons maintenant un rapport de consommateurs au monde.
 
Or, il faut admirer, parce que l’admiration implique une responsabilité. Le monde se défait de jour en jour devant nos yeux : la nature est saccagée, le rapport au passé et à la culture se délite, la générosité et le sentiment d’une appartenance commune (à une famille, à une nation, à l’humanité) reculent. Ce paysage, cette œuvre, ce personnage ou cette action dont j’admire la beauté et la grandeur et qui m’élèvent, j’en suis en quelque sorte responsable. Mais de quelle responsabilité ? Pour le paysage, cela tombe sous le sens : nous savons que si nous n’agissons pas, le réchauffement planétaire, la déforestation et la progression inexorable du cancer urbain détruiront ce qui reste de beauté sur cette planète miraculeuse et fragile.
 
Pour les œuvres ou le rapport au passé, nous ne sentons pas une menace aussi immédiate. Car enfin, nous pouvons nous retirer du monde et continuer à lire Tolstoï ou à écouter Bach. Mais une partition n’existe vraiment que si elle est jouée, un livre n’existe vraiment que s’il est lu et l’histoire et la culture n’existent que par une mémoire active. Nous avons la responsabilité de maintenir vivant et de transmettre un amour des œuvres, des cultures et des traditions qui enrichissent l’expérience humaine.”28

L'admiration sauvera-t-elle la planète?

Pour Bernard Émond, on vient de la voir, l’admiration implique une responsabilité, notamment face à la nature. Une telle préoccupation émerge aussi chez plusieurs esprits éclairés de notre époque, alors que les menaces s’amoncellent de toutes parts sur notre pauvre Terre. Pourrons-nous tirer de l'admiration de la nature une force intérieure qui nous poussera à agir?

Le moine bouddhiste tibétain bien connu Mathieu Ricard vient de faire paraître un recueil de photographies intitulé Émerveillement. Il espère que l’émerveillement face à la beauté du monde éveillera les consciences à l’urgence climatique.

“Cet ouvrage est né un matin de septembre, dans un refuge sur les hauts plateaux enneigés d’Islande. Le mot « émerveillement » a surgi en mon esprit pour exprimer le ravissement que je ressentais en présence de la nature sauvage. (…)

L’émerveillement peut naître en notre esprit en toutes circonstances — en croisant le regard d’un enfant qui vient de naître, en étant témoin d’un acte d’une grande bonté, ou en laissant notre esprit reposer au sein de la paix intérieure.

Dans ce livre, c’est de la nature qu’il s’agit, et j’ai pris le parti, par mon humble travail photographique, de faire entrer en résonance des paysages qui m’ont émerveillé de l’Himalaya à l’Islande, en passant par la Patagonie et le Yukon.

Puisse ce cri du cœur en images contribuer, même modestement, à nous faire prendre conscience que la crise écologique que nous avons déclenchée est le grand défi du XXIe siècle. Il est vital d’agir avec détermination et discernement, alors qu’aujourd’hui l’inertie des décideurs retarde dangereusement la mise en application des solutions préconisées par les scientifiques de l’environnement.” (présentation sur le site de l'auteur)

Le philosophe Alexandre Lacroix pose d’emblée la question : “Et si la révolution écologique passait par l’émerveillement?”

Dans son ouvrage Devant la beauté de la nature (Éditions Allary, 2018), il se demande “pourquoi le spectacle de la nature a-t-il autant d’effet sur nous”.

“Pour le savoir, Alexandre Lacroix nous embarque dans un voyage philosophique à travers les disciplines, les âges et les continents. On y croise Épicure, Kant ou Thoreau, mais aussi des peintres, des poètes, des spécialistes de l’évolution et de la biologie. On y apprend que la savane est le paysage préféré des humains. On y explore la façon japonaise d’apprécier une fleur ou un rivage. On s’initie à un courant philosophique jusque-là inconnu en France: l’esthétique environnementale. On dialogue avec des chercheurs du MIT ou des aveugles décrivant leurs plus beaux paysages. Et l’on visite certains lieux réputés pour leur beauté en France, en Angleterre, en Italie, en Patagonie…

À mesure que l’enquête avance, nous découvrons que notre sensibilité à la beauté des paysages est constitutive de notre humanité. Mais qu’elle est menacée. Nous ne vivons plus autant que nos ancêtres au rythme du soleil et des saisons ; nos sens s’émoussent. La modernité nous éloigne de la nature. La crise écologique est donc liée à une crise esthétique : rendue insensible à la beauté de la nature, l’humanité se sent autorisée à la saccager.

Aussi érudit que jubilatoire, cet essai permet à chacun de poser un regard plus lucide et plus émerveillé sur les paysages qui nous entourent. Un livre nécessaire, qui nous aide à renouer avec la nature, ses rythmes et sa majesté.” (présentation sur le site de l'éditeur)

Le théologien et spécialiste de l’environnement André Beauchamp faisaient pour sa part paraître, en 2012 chez Novalis, des Hymnes à la beauté du monde.



“Il voit la conversion écologique comme l’un des défis majeurs de l’humanité d’aujourd’hui. « La crise écologique qui est à nos portes menace ultimement l’avenir de toutes nos sociétés, voire même la survie de l’espèce humaine elle-même. Ce n’est pas la Terre qui est menacée. Elle a tourné sans nous et continuera de le faire si nous disparaissons. Ce n’est pas non plus la Nature qui est menacée. L’évolution de la vie se poursuivra sous d’autres formes. Nous, les humains, sommes en danger de suicide. En raison des pollutions, de la destruction des habitats … » (p. 5).

Pour amorcer cette conversion, A. Beauchamp a pensé un instrument simple cernant trois aspects : prier, agir, lutter. Hymnes à la beauté du monde axé sur la prière et la méditation traite le premier aspect.

Pour motiver à cette conversion, on peut faire une description des dangers terribles qui nous menacent et miser sur la peur comme levier. Ce n’est pas la voie que l’auteur prend dans ce petit livre. Il choisit une approche positive : la création mérite d’être protégée parce qu’elle est magnifique. Il nous invite, nous les humains, à reconnaître notre appartenance au cosmos et à croire en la création. « Croire en la création de Dieu, c’est croire en un geste d’amour à l’origine du cosmos. Il y a là une grâce  originelle , un don primordial. » (p. 11).”29

Illustrations

La nature, source inépuisable d’émerveillement et d’admiration

La mer

“C’était au début juin. J’étais seul sur une plage du côté nord de l’île Verte, perdu dans mes pensées devant l’immensité du fleuve. De temps en temps, au large, un béluga montrait la demi-lune de ses flancs. La mer était calme, il n’y avait pas un souffle de vent ; on entendait à peine le cancanage d’une petite famille d’eiders ou le cri lointain d’un goéland. La paix, la sainte paix, comme on le dit parfois très justement.”
Bernard Émond, De l’admiration

L'océan Pacifique, littoral californien
https://commons.wikimedia.org/wiki/File:California_shore_view_to_Pacific_Ocean_20140104.jp

La contemplation de la mer fait du bien à notre psyché

“C’est peut-être l’effet le plus visible de la mer sur le cerveau. La couleur, le mouvement et l’étendue de la mer exercent un effet de repos sur le cerveau et tout le système nerveux. Face à nos yeux, nous avons un espace complètement ouvert, qui est complémentaire à l’infini du ciel et apporte une sensation de tranquillité.”30

Le crépuscule, l’aube et les jeux de l'astre solaire


Lever du soleil à Cape Cod, États-Unis (Coast Guard Beach, Eastham, MA.)

Et l'admiration croît lorsque s'épaissit le mystère...

Crédit : Scott Hefti (reproduit de son compte Twitter)

Le ciel étoilé

"L’homme, distingué des autres animaux dont la tête est inclinée vers la terre, put contempler les astres et fixer ses regards sublimes dans les cieux." -- Ovide, Les Métamorphoses


On the Beach with Mars
NASA
Image Credit & Copyright: Jack Fusco
https://apod.nasa.gov/apod/ap190608.html


La géométrie de la nature…

 



Les paysages

Le matin - San Gimignano, Sienne, Italie

Crédit: Giorgio Galeotti, 27 mars 2016

Les Baux-de-Provence, France

Crédit: Christoph Radtke, 5 mai 2015


Les écrivains et les artistes : une admiration au second degré

Les écrivains et les artistes nous parlent d’admiration. Il s'agit d'une thématique récurrente dans leurs créations. Mais, plus important encore, ce que nous apportent surtout les écrivains et les artistes, c’est en quelque sorte une admiration et un émerveillement au second degré. Éblouis par un être, un paysage, une musique ou une livre, ils créent des oeuvres qui suscitent à leur tour notre admiration et notre émerveillement. C’est pour moi une des dimensions les plus extraordinaires de l’art et de la littérature.

L’écrivaine Bellinda Cannone propose un exemple fameux qui illustre ce double aspect de l’émerveillement dans l’art31.



“L’oeuvre d’art peut même nous émerveiller tant que soudain elle nous happe et nous absorbe. J’ai toujours aimé ce passage des Salons où Diderot, tentant d’exprimer son émerveillement devant la peinture de Joseph Vernet, use d’un stratagème pour évoquer plusieurs de ses tableaux de paysage: plutôt que de décrire chacune des toiles, il imagine de raconter une “promenade” à travers sept lieux -- qui sont ceux peints par Vernet --, transformant l’acte de regarder en immersion. Ainsi trouve-t-il le moyen de décrire les oeuvres et, simultanénement, de restituer à la fois leur poésie et son émerveillement devant elles. S’immerger: par ce verbe je veux non pas exprimer la fusion -- comme celle qui caractérise le sentiment océanique, horizon de l’émerveillement --, mais restituer l’un des expressions de la surprésence face à l’art.”

Sur les sept tableaux, signalés collectivement dans le catalogue du Salon sous le no 39, quatre seulement sont arrivés jusqu'à nous :

La Source abondante, premier site ;
Les Occupations du rivage, quatrième site;
Le Fanal exhaussé, cinquième site;
Marine, sixième site.

 

 

Vernet, La Source abondante. Ce tableau correspondait au premier site de la Promenade Vernet

Certes, après ce que nous venons de dire, une précision s'impose.

“Bien entendu, l’émerveillement n’est pas la seule source de la création. La souffrance qu’on ressent au spectacle du monde incite parfois à créer. Le désastre aussi cherche expression. Mais si l’émerveillement est à la fois l’origine de certaines oeuvres et leur effet, la souffrance, elle, n’est pas le sentiment que l ‘artiste cherche à provoquer. “Il n’est point de serpent ni de monstre odieux, Qui, par l’art imité, ne puisse plaire aux yeux”, écrivait Boileau. La plupart des sujets traités par l’artiste, y compris les plus affreux, produisent, finalement, un plaisir esthétique. L’émerveillement, lui, a ceci de particulier qu’il est cause et résultat.”32


Quelques exemples concrets…

Écrivains

L'admiration (pour un auteur ou une oeuvre) est une source d'inspiration fondamentale des écrivains. Innombrables sont les oeuvres dans lesquelles ils rendent hommage à tel ou tel de leur devancier ou contemporain. On l’a noté plus haut avec Cioran et ses exercices d’admiration.

"L'admiration donne souvent lieu à de grands livres".33 Mais elle est aussi à la base de grands films, de grandes musiques, de grandes oeuvres picturales...

Cinéastes

Songeant à l'admiration, me vient immédiatement le souvenir du film d’Alain Corneau, Tous les matins du monde, dans lequel on voit le jeune Marin Marais s’enquérir de la science musicale et de la poésie unique de Monsieur de Sainte-Colombe, qu’il admire au plus haut point. Certes, Marin Marais est un ambitieux et il veut briller à la Cour. Mais son admiration pour le maître est sincère.



Autre film qui évoque cette thématique : Le chef d’orchestre (Dyrygent), du réalisateur polonais Andrzej Wajda, qui n’est pas un de ses plus connus ni un de ses meilleurs. On y voit le grand acteur britannique John Gielgud interpréter le rôle d’un chef polonais de renom, Jan Lasocki, qui revient dans son pays natal après une carrière de 50 ans à l’étranger.

"Chef d'orchestre que toutes les formations symphoniques se disputent, vieil homme comblé d'honneurs, Jan Lasocki met fin à cinquante ans d'exil en débarquant un jour dans une petite ville polonaise. L'envie de ce pèlerinage lui est venue après qu'il eut rencontré à New-York, où elle était de passage, Marta, la fille d'une femme qu'il a jadis passionnément aimée. Marta est violoniste, et son mari, Adam, dirige l'orchestre de la ville provinciale où Lasocki vient d'arriver.

À la fierté que semble d'abord éprouver Adam en voyant Lasocki prendre en main son orchestre succède très vite la jalousie. Jalousie d'ordre professionnel d'abord, Adam est un garçon nerveux, buté, autoritaire, qui a du mal à se faire obéir de ses musiciens. Au contraire, dès l'instant où Lasocki s'installe au pupitre, le charisme du maître accomplit des miracles. Ressentiment affectif ensuite. Adam souffre de l'admiration éperdue que Marta porte à Lasocki et s'inquiète de la tendresse nostalgique (Marta est le portrait vivant de sa mère) qu'elle lui inspire. Une bévue de l'administration locale accroît la tension. Dans un mouvement d'humeur, Lasocki quitte l'orchestre. Mais déjà pour lui l'essentiel est ailleurs…”34

Ce film, en filigrane, nous parle des conditions nécessaires à l’admiration que nous pouvons éprouver pour un être.

Ce qui intéresse Wadja, ce sont “les conditions dans lesquelles un individu - quelles que soient ses responsabilités - peut et doit exercer l'autorité dont il dispose. Il n'y a pas d'autorité possible et durable, nous dit-il, sans dialogue, sans respect du partenaire, sans " appel aux autres ". Et il ajoute - ce qui est capital : sans amour. Lorsque les musiciens de l'orchestre veulent expliquer à Adam pourquoi les méthodes de Lasocki sont plus efficaces que les siennes, Adam ricane ; " C'est parce qu'il vous flatte que vous l'écoutez. " Et les musiciens répondent : " Non, c'est parce qu'il nous aime.""35

Peintres

Les peintres qui s’émeuvent de la beauté du monde, suscitent en nous un nouvel émerveillement lorsque nous admirons leurs oeuvres.

 

Claude Monet, Impression, soleil levant, 1872


Maxime Maufra, Marine par gros temps, 1899

Le thème de l’admiration constitue aussi le sujet même de certaines oeuvres. Comme dans le cas de cette célèbre toile de Rembrand, Aristote contemplant le buste d'Homère. Dans cette oeuvre de 1653, l’artiste “représente le philosophe grec Aristote, dans un costume anachronique du xviie siècle, contemplant un buste du poète Homère, la main posée sur son crâne”36.


L'École d'Athènes, fresque monumentale de Raphaël, exposée dans la Chambre de la Signature (les Stanze) des musées du Vatican, rend hommaeg aux figures majeures de la pensée antique.



Compositeurs

On ne peut concevoir de compositeur digne de ce nom qui n’entretienne un rapport intime, profond avec les créateurs qui l’ont précédé. Même ceux qui ont voulu rompre avec toute tradition ont commencé par faire l’étude minutieuse de celle-ci.

Les rapports d’admiration qui existent entre les compositeurs au fil des siècles sont innombrables. Bach s’inspirant de Vivaldi dans certaines de ses oeuvres. Mozart étudiant avec révérence les clavier bien tempéré du maître allemand. Ravel rendant hommage à l’esprit de la musique baroque française dans son Tombeau de Couperin. Etc.



Heitor Villa-Lobos (1887-1959) est attiré par Bach dès ses années de formation, alors qu’il n’est qu’un enfant. L’admiration pour le Maître l’accompagnera toute sa vie. Son oeuvre musicale sera un pont entre deux monde, l’Amérique du Sud et l’Europe. Entre 1930 et 1945, il composera les neuf Bachianas Brasilieras, dont la structure s’inspire de la muisque de l’ère baroque. Ces oeuvre sont “une fusion de la grande musique allemande avec les sons et les rythmes du Brésil”37.

Écoutons la cinquième des Bachianas Brasilieras, sans doute le plus connue, interprétée par Villa-Lobos lui-même. La célèbre aria est chantée par la grande soprano Victoria de Los Angeles.

https://www.youtube.com/watch?v=28jo9ehzcf0

L’admiration et la musique… L’admiration dans la musique. Tant d’oeuvres nous viennent en tête.

Parlons de la Symphonie pastorale de Beethoven et de son extraordinaire mouvement lent (Andante molto moto - Szene am Bach (Scène au bord du ruisseau))

"Plus loin est une scène au bord de la rivière. L'auteur a sans doute créé cet admirable adagio [sic], couché dans l'herbe, les yeux au ciel, l'oreille au vent, fasciné par mille et mille doux reflets de sons et de lumière, regardant et écoutant à la fois les petites vagues blanches, scintillantes du ruisseau, se brisant avec un léger bruit sur les cailloux du rivage; c'est délicieux. Les diverses mélodies qui se croisent et s'entrelacent en tout sens sont d'une incomparable suavité; l'harmonie, au contraire, contient deux ou trois conflits de sons discordants qui, malgré leur étrangeté, forment avec les doux accords dont ils sont précédés et suivis le plus heureux contraste. Telle est la double et triple appogiature présentée dans le grave, le médium et l'aigu, par les violoncelles, altos, violons, bassons et clarinettes, sur les notes fa, la bémol, ut, pendant que les flûtes, hautbois et cors, tiennent l'accord de mi bémol, sol, si bémol. Ce singulier rapprochement de six notes diatoniques a lieu sur un rinforzando, et rappelle à merveille ces bruits de la mer, des monts et des plaines dont parle Bernardin de Saint-Pierre, qui, apportés par les vents de divers points de l'horizon, viennent se heurter à l'improviste dans les clairières des bois, luttent ensemble un instant, se dispersent en murmurant et rendent ainsi le calme et le silence qui leur succède plus doux et plus profond. Avant de finir, l'auteur fait entendre le chant de trois oiseaux." -- Berlioz, Beethoven

 

Beethoven, Symphonie no 6 - Leonard Bernstein


Ou à La Mer de Debussy...

Dans cette interprétation du Lucerne Festival Orchestra, sous la direction du regretté Claudio Abbado.
https://www.youtube.com/watch?v=sgsngza37to

Je vous présente en terminant un compositeur dont la vie et la musique sont associées au bonheur : Darius Milhaud. Il a d’ailleurs intitulé son autobiographie: Ma vie heureuse. Créateur de la polytonalité, il a laissé d’innombrables oeuvres, parmi lesquelles, les célèbres "Bœuf sur le toit" et "La Création du monde".

Mais ce sont ses symphonie, « … pleines de vie, de soleil, de lyrisme et de mouvement » (Antoine Goléa), dont je veux vous parler.

Darius Milhaud: Symphonie n° 5, op.322 (1953)

 

Et on ne saurait résister, je crois, au dynamisme et à la vitalité irrésistible de ce concerto pour piano.

Concerto pour piano et orchestre no 1, op.127 (1933)
https://www.youtube.com/watch?v=mqxpwk5von0

Sur Milhaud, voir aussi: https://www.radioclassique.fr/magazine/articles/darius-milhaud-les-melodies-du-bonheur/


Citations

"La première de toutes les passions est l'admiration."
René Descartes, Les passions de l'âme

"Une admiration très vive rend la plus petite espérance décisive."
Stendhal, De l'amour (1822)

"L'admiration des médiocres caractérise les envieux."
Victor Hugo, Proses philosophiques (1860-1865)

“Toute vocation commence par l'admiration.”
Michel Tournier

“L’admiration est un abandon heureux de soi-même, l’envie une revendication malheureuse du moi.”
Sören Kierkegaard, Traité du désespoir

“Vous savez, l’amour et l’amitié, ça marche avec l’admiration.”
François Truffaut, Baisers volés

“C'est une grande preuve de noblesse que l'admiration survive à l'amitié.”
Jules Renard, Journal - 25 Mai 1897

“L'admiration est fondement de toute philosophie, l'inquisition le progrès, l'ignorance le bout.”
Michel de Montaigne, Essais

“La gloire est la réputation jointe à l'estime ; elle est au comble, quand l'admiration s'y joint.”
Voltaire, Dictionnaire philosophique

“Deux choses remplissent mon esprit d'une admiration et d'un respect incessants : le ciel étoilé au dessus de moi et la loi morale en moi.”
Emmanuel Kant, Critique de la raison pratique

“L'admiration prend quelquefois un télescope pour regarder les choses de la terre, mais elle n'en fait pas des astres pour cela.”
Jules Barbey d’Aurevilly

“Il y a des révolutions quand les classes assujetties n'ont plus d'admiration pour ceux qui les dominent.”
Pauline Harvey, Un homme est une valse

“L’admiration fait trouver le bien dans les choses avec autant de promptitude que la malveillance y fait trouver le mal.”
Ximénès Doudan, Lettre à Madame du Parquet - 11 Juillet 1841

“L'admiration d'une qualité ou d'un art peut être si forte qu'elle nous empêche de nous efforcer d'en obtenir la possession.”
Friedrich Nietzsche, Humain, trop humain

“Le but suprême du romancier est de nous rendre sensible l'âme humaine, de nous la faire connaître et aimer dans sa grandeur comme dans sa misère, dans ses victoires et dans ses défaites. Admiration et pitié, telle est la devise du roman.”
Georges Duhamel, Essai sur le roman

“Ce qui étonne, étonne une fois, mais ce qui est admirable est de plus en plus admiré.”
Joseph Joubert, Pensées, maximes et essais

“Monsieur, j'ai pour principe, écoutez bien cela, d'admirer l'admirable et de m'en tenir là.”
Victor Hugo

“Il y a les livres que j'aime et ceux que j'admire ; je peux admirer un livre sans l'aimer.”
Jorge Amado, Le Monde, 28 Juin 1996

“Ma patrie, à moi, est partout où j'admire.”
Astolphe de Custine

“Admire les choses qui sont devant toi.”
Clément d’Alexandrie

“Admirer est une bonne action.”
Victor Hugo, Tas de pierres

On admire le monde à travers ce qu'on aime. ”
Alphonse de Lamartine

“La grandeur a besoin de mystère. On admire mal ce qu'on connaît bien.”
Charles de Gaulle

“Admirer c’est égaler.”
Alain, Vingt leçons sur les beaux-arts

“La jeunesse a cela de beau qu’elle peut admirer sans comprendre.”
Anatole France, La Vie littéraire

“Dis-moi qui t'admire et je te dirai qui tu es.”
Charles-Augustin Sainte-Beuve, Causeries du lundi

“La médiocrité refuse toujours d'admirer et souvent d'approuver.”
Joseph de Maistre, Lettres et opuscules

“On ne ressemble pas à ceux qu'on admire en imitant leurs oeuvres.”
André Malraux, Le musée imaginaire

“N'épousez jamais un homme que vous n'admirez pas. C'est fatal.”
Elizabeth Taylor (écrivain), Le Coeur lourd

“Le plus grand plaisir, c'est d'être admiré.”
Milan Kundera, La valse aux adieux

“Idéal : modèle qu’on se compose, en vue de l’admirer et de l’imiter. L’idéal est toujours nettoyé d’un peu de réalité qui ferait tache.”
Alain, Définitions

“La plus grande douceur de la vie, c'est d'admirer ce qu'on aime.”
Laure Conan, À l'oeuvre et à l'épreuve

"Admirons les grands maîtres ; ne les imitons pas."
Victor Hugo

"Quelqu'un qui admire a toujours raison."
Paul Claudel

"Si une admiration déplacée marque de l’imbécillité, une critique affectée marque un vice de caractère. Exposez-vous plutôt à paraître un peu bête que méchant."
Denis Diderot

"Nous aimons toujours ceux qui nous admirent, et nous n'aimons pas toujours ceux que nous admirons."
La Rochefoucauld

"Il y a des lieux que l'on admire: il y en a d'autres qui touchent, et où l'on aimerait à vivre."
Jean de La Bruyère, Les Caractères (1696)

"Admirer, c'est prendre conscience du meilleur de soi même et se sentir en secrète affinité avec ce qu'on admire."
André Bellessort, Le collège et le monde

"L'admiration est fille de l'ignorance".
Chevalier de Méré, réflexions morales

Notes
1. Claude Flipo, "De l’admiration à la louange”, Études, , 2004/9 (Tome 401) -- https://www.cairn.info/revue-etudes-2004-9-page-237.htm
2.
3. http://content.time.com/time/health/article/0,8599,1892225,00.html
4. https://www.franceculture.fr/oeuvre/ladmiration-contre-lidolatrie
5. Cynthia Fleury,
6. http://agora.qc.ca/documents/admiration--article_admiration_de_lencyclopedie_par_denis_diderot
7. http://agora.qc.ca/documents/grandeurs_et_miseres_de_lincarnation
8. Jean Mambrino, « Je parle dans l’estime », Études, 2004/9 (Tome 401) -- https://www.cairn.info/revue-etudes-2004-9-page-237.htm
9. Ibid.
10. https://www.cecilegueret.com/single-post/2013/07/08/Interview-de-Cynthia-Fleury-psychanalyste-et-philosophe-%C2%ABL%E2%80%99admiration-prot%C3%A8ge-le-couple-de-la-mat%C3%A9rialit%C3%A9-du-quotidien-%C2%BB
11. Christian Ruby, L’admiration : émergence d’une notion philosophique - https://www.nonfiction.fr/article-10037-ladmiration-emergence-dune-notion-philosophique.htm
12. Ibid.
13. Ibid.
14. Ibid.
15. Ibid. Voir aussi : Thibaud Barrier - http://www.revue-circe.uvsq.fr/ladmiration-premiere-et-derniere-des-passions/
16. Traduction de : “This book contains new work on character from the perspectives of philosophy, theology, and psychology. From a virtual reality simulation of the Milgram shock experiments, to understanding the virtue of modesty in Muslim societies, to defending soldiers’ moral responsibility for committing war crimes, these chapters break new ground and significantly advance our understanding of character. The main topics covered fall under the heading of our beliefs about character, the existence and nature of character traits, character and ethical theory, virtue epistemology, the nature of particular virtues, character development, and challenges to character and virtue from neuroscience and situationism. The book significantly shapes discussions of character in scholarship.”
Traduit avec www.DeepL.com/Translator (version gratuite)
17. https://ndpr.nd.edu/news/exemplarist-moral-theory/
Traduction de : “a comprehensive moral theory can be constructed by identifying moral exemplars and by investigating (to put it very roughly) what it is that makes them tick. We identify moral exemplars by direct reference to persons we admire "upon reflection." Moral exemplars are persons like that. Two emotions will play a central role in this type of moral theory: admiration, and its opposite, contempt.” Traduit avec www.DeepL.com/Translator (version gratuite)
18. Traduction de : “By bringing the work of philosophers and psychologists together this volume is an interdisciplinary, though predominantly philosophical, exploration of an often discussed but rarely researched emotion; admiration. By exploring the moral psychology of admiration the volume examines the nature of this emotion, how it relates to other emotions such as wonder, envy and pride and what role admiration plays in our moral lives. As to the latter, a strong focus is on the potential link between admiration, emulation and the improvement of our characters, as well as of society as a whole.” Traduit avec www.DeepL.com/Translator (version gratuite)
19. https://www.philomag.com/lactu/pourquoi-aimons-nous-tant-admirer-les-autres-7727
20. https://sante.journaldesfemmes.fr/expert/59531/dans--amour---il-y-a--aussi---admiration.shtml
21. https://fr.wikisource.org/wiki/Correspondance_de_Victor_Hugo/Lettres_à_la_fiancée/1822
22. https://www.cecilegueret.com/single-post/2013/07/08/interview-de-cynthia-fleury-psychanalyste-et-philosophe-«l’admiration-protège-le-couple-de-la-matérialité-du-quotidien-»
23. https://www.femmeactuelle.fr/amour/couple/faut-il-admirer-pour-aimer-1187322
24. https://www.elle.fr/love-sexe/mon-mec-et-moi/articles/couple-admirer-son-partenaire-est-il-le-plus-grand-des-tue-l-amour-3123712
25. https://www.forbes.com/sites/chrismyers/2018/05/07/why-trust-respect-and-admiration-are-the-critical-components-of-good-dealmaking/#27eb42ba45c0
26. https://test.psychologies.com/tests-travail/tests-vie-professionnelle/votre-patron-et-vous/l-admiration
27. Anne-Lise David, "Les exercices d'admiration", Études, février 2015 -- https://www.revue-etudes.com/article/les-exercices-d-admiration-16658
28. https://cjf.qc.ca/revue-relations/publication/article/de-ladmiration/
29. https://cheminsdevie.ca/andre-beauchamp-hymnes-a-la-beaute-du-monde/
30. https://nospensees.fr/connaissez-leffet-de-mer-cerveau/
31. Belinda Cannone, S'émerveiller, Stock, 2017
32. Ibid.
33. https://www.lefigaro.fr/livres/2018/01/18/03005-20180118artfig00123-l-admiration-une-source-d-inspiration-pour-les-ecrivains.php
34. https://www.lemonde.fr/archives/article/1980/11/29/le-chef-d-orchestre-d-andrzej-wajda-le-diamant-et-les-cendres_3075242_1819218.html
35. Ibid.
36. Wikpédia
37. https://theamericanscholar.org/brazil-by-way-of-bach/#.xfipfrnofz4

Voir aussi : https://www.francemusique.fr/emissions/propos-sur-bach/propos-sur-bach-de-heitor-villa-lobos-1952-67608
https://fr.wikipedia.org/wiki/bachianas_brasileiras
https://www.bach-cantatas.com/lib/villa-lobos-heitor.htm
https://www.independent.ie/entertainment/music/classical-from-bach-to-brazil-the-sweet-music-of-heitor-villalobos-34509666.html
 

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