L'hiver vu par Jean-Paul Lemieux

Jacques Dufresne
Sans vouloir changer la nature de l'artiste, l'amant de l'hiver supporte difficilement les regards anonymes et les paysages mélancoliques de Lemieux.
Le peintre Jean-Paul Lemieux, le plus célèbre interprète de notre hiver. Oserai-je dire que, tout en étant sensible à la composition de ses toiles, à ses couleurs, j'ai toujours éprouvé un certain malaise devant ses personnages figés et sans visage aussi bien que devant ses plaines neigeuses faussement et exagérément tristes. Sommes-nous donc ces statues gelées et à jamais inexpressives? Faudrait-il émigrer vers le sud pour apprendre à sourire, à parler avec les traits de notre visage, pour qu'une âme s'exprime à travers le masque de la statue?

Certes il n'y a pas lieu d'exiger qu'un artiste change sa nature pour remonter le moral de ses concitoyens. J'envie tout de même les Hollandais et, les Flamands qui ont eu de grands peintres comme Avercam et Breughel pour immortaliser leur soupçon d'hiver de façon joyeuse et exubérante.

Si les paysages d'hiver sont tristes, pourquoi tant de skieurs en pleine vigueur vont-ils s'y immerger? Quand je longeais telle ou telle rivière en traîneau à chiens, par une journée ensoleillée, l'idée qu'on puisse trouver tristes de telles scènes me paraissait tout à fait dérisoire.

Et au moment où j'écris ces lignes, je n'ose pas lever les yeux au-dessus de mon écran cathodique, tant sont invitantes les collines enneigées qui m'entourent. Notre hiver est joyeux et glorieux, sauf peut-être quand on attend l'autobus en ville. C'est nous qui trop souvent n'avons pas l'âme requise pour le voir tel qu'il est.

En dépit de toutes les tentatives maladroites pour saisir l'essence joyeuse des paysages d'hiver, tentatives dont trop de cartes de voeux sont encore l'illustration, cette essence existe. Et il est permis d'espérer qu'un grand peintre puisse un jour nous la donner sans la dégrader.

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