Faire des profits sans nuire aux écosystèmes

Andrée Mathieu
À l'occasion d'une présentation du cas concret de la compagnie Interface, qui a osé sortir des chemins battus pour innover dans une veine écologique, Andrée Mathieu démontre qu'on peut «faire de bonnes affaires en faisant ce qui est bien».
Croyez-vous que le développement durable soit compatible avec le profit? La plupart des entrepreneurs pensent que non. Et ceux qui sont bien intentionnés recherchent un juste équilibre entre leurs préoccupations économiques et environnementales, comme si les unes étaient opposées aux autres. Pourtant, le consultant californien Paul Hawken est persuadé qu'il est possible de créer des entreprises profitables qui ne compromettent pas l'avenir de notre planète, de ses habitants et de leurs descendants. Ray C. Anderson a compris son message. En engageant sa compagnie dans la voie du développement durable, cet industriel visionnaire s'est donné comme objectif de faire d'Interface le premier nom mondial de l'écologie industrielle. Son slogan: Doing well by doing good («faire de bonnes affaires en faisant ce qui est bien»).

L'aventure d'Interface a commencé en 1973 quand son fondateur, Ray Anderson, comprenant les besoins de la florissante industrie de l'informatique avec ses locaux sillonnés de multiples fils de branchement, a développé le tapis en carreaux, qui offre beaucoup plus de flexibilité. Aujourd'hui, la compagnie compte 17 filiales et emploie plus de 6300 personnes à travers le monde. Son chiffre d'affaires dépasse 1,1 milliard de dollars. Ses 26 usines, situées sur quatre continents, fabriquent des tapis en rouleaux et en carreaux, des tissus d'ameublement, des planchers surélevés et de nombreux produits destinés à leur installation, leur protection et leur entretien. Interface possède une usine au Canada; elle est située à Belleville, près de Kingston en Ontario. Avec sa force de vente, Interface est présente dans 110 pays.

Ray Anderson admet que pendant les 21 premières années d'existence d'Interface, il ne s'est jamais soucié du sort que la compagnie faisait subir à la planète en prélevant des matières premières et en les transformant en divers produits, sources de pollution. Au mois d'août 1994, la division de la recherche organisait un groupe de réflexion, avec des représentants de toutes les filiales à travers le monde, pour redéfinir la position environnementale d'Interface. C'est lorsque les organisateurs lui demandèrent de prononcer l'allocution d'ouverture que Ray Anderson prit conscience qu'il n'avait pas la moindre vision environnementale, sauf celle de se conformer aux lois. Alors qu'il préparait sa conférence, quelqu'un eut la géniale idée de lui faire parvenir le livre de Paul Hawken intitulé The Ecology of Commerce. Il en avait à peine parcouru la moitié que la vision qu'il cherchait lui apparut clairement; il s'ensuivit un sens profond de l'urgence d'agir. Aujourd'hui, Ray Anderson s'enorgueillit de penser qu'il laissera à ses petits-enfants bien plus que des actions dans une compagnie de recouvrement de sol: une planète en meilleur état.

La thèse de Paul Hawken, à l'origine du virage écologique d'Interface, repose sur le constat que c'est la plus importante et la plus riche institution du monde entier, le monde des affaires, qui est responsable de la plupart des dommages infligés à la planète. C'est donc aux hommes d'affaires qu'il revient de protéger la terre de la dilapidation en orientant leurs actions vers le développement durable par des mesures de protection et de restauration. Pour Hawken, une économie restauratrice réunit l'écologie et le commerce dans une même conception de la production et de la distribution s'inspirant des processus naturels et les mettant à profit. Il s'agit donc d'une nouvelle approche de l'entreprise reconnaissant que nous sommes tous à la fois au service et tributaires de la nature et des autres.

Pour appliquer ces principes à la transformation de son entreprise, Ray Anderson s'est entouré d'une brochette de conseillers qu'il a appelée son «équipe de rêve». Elle est composée de spécialistes du développement durable reconnus pour leur compétence sur la scène internationale. Outre Paul Hawken, on y retrouve David Brower, fondateur du Sierra Club; Bill Browning, qui a travaillé avec Buckminster Fuller et qui est l'un des experts et porte-parole les plus en vue dans le domaine de l'architecture verte; Bernadette Cozart, militante communautaire récipiendaire du premier Global Green's Millenium Award, récompensant l'action environnementale individuelle; Amory Lovins, physicien conseil pour les questions d'énergie et d'environnement que le Wall Street Journal a identifié parmi les 28 personnes les plus susceptibles de changer la manière de faire des affaires durant les années 90; Bill McDonough, concepteur de systèmes industriels durables à qui on a demandé la rédaction d'un ouvrage en préparation de la première exposition internationale consacrée à l'environnement, qui se tiendra à Hanovre en Allemagne en l'an 2000; John Picard, expert en systèmes d'énergie qui aide les organisations à effectuer leur transition vers le développement durable et qui tente obstinément de les persuader d'utiliser Internet comme moyen de réduire substantiellement leur impact sur l'environnement; Jonathan Porritt, ancien coprésident du Parti écologique, devenu le Parti vert au Royaume-Uni et, enfin, Daniel Quinn, éducateur, anthropologue culturel et philosophe, auteur d'un merveilleux livre dans lequel il fait parler un très improbable professeur, un énorme gorille à dos argenté du nom d'Ishmael qui utilise la métaphore pour décrire notre civilisation émergeant de la première révolution industrielle et de la révolution agraire qui l'a précédée. Ismael compare notre civilisation aux premières inventions d'avions à pédales - les hommes essayaient de voler sans comprendre les lois de l'aérodynamique; ils sautaient du haut des falaises avec la sensation de voler, mais ils finissaient par s'écraser au sol. Dans cette métaphore, la haute falaise symbolise les ressources apparemment illimitées dont nous pensions disposer en tant qu'espèce vivante; compte tenu de notre ignorance des limites naturelles du développement et de l'énorme quantité de réserves dont nous disposions, il n'est pas étonnant que nous ayons pris un certain temps à apercevoir le sol...

En plus de profiter, sur le terrain, des conseils de l'«équipe de rêve», il était important pour les gens d'Interface de s'entendre sur un cadre de compréhension commun face aux problèmes environnementaux. Ce cadre de compréhension leur fut fourni par un groupe éducatif sans but lucratif appelé The Natural Step. Ce groupe a pris naissance en Suède sous le leadership de l'oncologiste Karl-Henrik Robèrt. L'équipe originale, composée d'une cinquantaine de scientifiques, s'est transformée depuis en un puissant réseau de plus de 10 000 Suédois (scientifiques, économistes, artistes, ingénieurs, fermiers, enseignants, designers industriels, avocats, psychologues, architectes et médecins). Une soixantaine de compagnies et autant de municipalités utilisent cette méthodologie pour redéfinir leurs opérations en fonction d'un développement durable.

Voici, selon The Natural Step, les quatre conditions essentielles de ce développement:
    1. Les substances provenant de la croûte terrestre ne doivent pas systématiquement augmenter dans la biosphère. Les métaux, les combustibles fossiles et autres minéraux ne doivent pas être extraits à un rythme plus élevé que ce qui peut être retourné et réabsorbé par la lithosphère.
    2. Les substances produites par la société humaine ne doivent pas systématiquement augmenter dans la biosphère. Les matériaux fabriqués par l'homme ne doivent donc pas être produits plus vite qu'ils ne sont décomposés et réintégrés dans les cycles naturels, ou déposés à l'intérieur de la croûte terrestre et transformés à nouveau en matières premières naturelles.
    3. Les bases physiques de la productivité et de la diversité naturelles ne doivent pas être systématiquement détériorées. Nous ne devons pas diminuer en quantité ou en qualité la productivité de la biosphère, ni prélever dans la nature plus que ce qu'elle peut reconstituer.
    4. Les besoins humains doivent être satisfaits par un usage juste et efficace de l'énergie et des ressources naturelles. Cela nécessite un accroissement de l'efficacité technique et organisationnelle partout sur la planète, particulièrement dans les régions les plus riches.

Ces principes ont servi de guide au virage environnemental d'Interface. Mais, pour atteindre le développement durable, une entreprise publique ne doit pas seulement s'orienter dans la bonne direction, elle doit aussi constituer une valeur pour ses actionnaires. Chaque étape vers le développement durable doit devenir une plate-forme pour les étapes suivantes et doit être solidement étayée par des résultats positifs, aussi bien sur le plan économique que sur le plan écologique. À cette fin, le département de recherche et développement d'Interface, Interface Research Corporation (IRC), a mis au point le programme EcoSense qui est responsable de la performance environnementale d'Interface et qui lui fournit des indicateurs pour mesurer ses progrès. Chaque étape du processus manufacturier a été examinée, depuis les achats jusqu'à la distribution du produit. Chaque opération a été analysée et évaluée sur la base de la qualité du produit, de l'efficacité des procédés et de son impact sur l'environnement. L'estimation de l'impact écologique de toutes les activités d'Interface a tenu compte du flux des matériaux et de l'énergie, des rejets dans l'air et dans l'eau, du recyclage, etc. Chaque paramètre a été évalué et l'ensemble de ces mesures, regroupées sous le nom d'EcoMetrics, constituent les valeurs de base à partir desquelles on évalue les progrès. Par ailleurs, les 6300 employés d'Interface ont été mis à contribution au moyen d'un programme de bonus appelé QUEST (Quality Utilizing Employee Suggestions and Teamwork, qu'on pourrait traduire par «recherche de la qualité à partir des suggestions des employés et de leur travail d'équipe»). Cette initiative a permis des économies substantielles en incitant les employés à traquer le moindre déchet, le moindre gaspillage de matériaux ou d'énergie et à faire des suggestions pour améliorer les pratiques de la compagnie. Au total, depuis 1994, Interface a réduit ses coûts de 40 millions de dollars et elle pense atteindre 76 millions à la fin de 1998. Les épargnes générées par le programme QUEST ont servi à financer les premiers investissements de la compagnie dans son virage environnemental.

Pour atteindre le développement durable, Interface s'est attaqué à huit fronts particulièrement ambitieux, dont voici quelques illustrations:

1. Éliminer les déchets
Aux États-Unis, 920 millions de verges carrées de tapis sont jetées dans les dépotoirs chaque année. C'est l'équivalent de tous les tapis installés dans les édifices à bureaux d'une ville comme San Francisco pendant treize siècles! Le premier effort d'Interface vers le développement durable a donc porté sur la réduction des déchets. Ainsi, par exemple, on a détourné une multitude de boîtes de carton des sites d'enfouissement, en utilisant des tubes de fils en polypropylène qui peuvent être réutilisés. En convertissant les carreaux de tapis au système métrique, on a pu réduire de 20 000 verges carrées les pertes en retailles. D'autre part, Interface offre des séminaires pour enseigner aux installateurs de couvre-planchers les façons de réduire les pertes et, conséquemment, les déchets. Au total, entre 1995 et 1996, la compagnie a réduit de 76% la quantité de déchets dirigée vers les sites d'enfouissement, passant de 198 tonnes à 47 tonnes. À Belleville, la compagnie de collecte des déchets croyait qu'Interface se préparait à fermer ses portes. L'objectif ultime de Ray Anderson: «zéro déchet».

2. Rendre les rejets inoffensifs
L'industrie manufacturière crée plus de déchets moléculaires, moins visibles, que de déchets solides. Interface a identifié 192 sources de pollution de l'air dans ses installations à travers le monde. Chacune est activement surveillée et l'accent est mis sur des actions de nettoyage au moyen de filtres et sur la modification des équipements de combustion. Toutes les entreprises d'Interface se conforment aux lois environnementales, mais l'objectif est d'aller au-delà de la conformité et d'éliminer complètement les déchets moléculaires. Ainsi, grâce à une nouvelle conception de ses produits et à une réévaluation des matériaux qu'elle utilise, Interface contribue à l'amélioration de la qualité de l'air intérieur en s'efforçant d'éliminer tous les éléments toxiques de ses produits. Interface Canada a déjà réduit de 30% ses rejets dans l'air et éliminé toutes ses sources de rejets d'eaux usées en remplaçant son procédé d'impression des motifs et des couleurs par une nouvelle technologie qui n'a pas recours à l'eau. Elle a aussi complètement éliminé les agents ignifuges à base d'antimoine de ses carreaux de tapis.

Par ailleurs, Interface Research Corporation a mis au point un biostat, nommé Intersept, qui empêche le développement des microorganismes et des champignons. Ainsi, un système de climatisation situé sous un plancher surélevé d'Interface AR est à l'épreuve de toute contamination bactérienne si le plancher est recouvert de carreaux de tapis contenant de l'Intersept. Les produits d'Interface Canada ont été testés par l'Association pulmonaire de l'Ontario et ont reçu l'approbation C.A.N. Do (Clean Air Now). Ils ont aussi été approuvés par l'association pulmonaire Envirodesic.

3. Utiliser moins de matières premières
De nombreux efforts ont aussi porté sur une diminution des matières premières utilisées, en procédant à une modification du produit. Ainsi, Interface Canada a diminué le poids de ses endos en PVC de plus de 15%, épargnant ainsi des matériaux et de l'énergie tout en augmentant la qualité du produit. D'autre part, depuis 1997 Interface Canada utilise ses retailles de PVC et ses résidus de coupe dans la fabrication de ses endos réguliers, ce qui a permis de recycler 100 tonnes de déchets de PVC. Des essais ont même été réalisés dans le but de fabriquer un endos utilisant uniquement du PVC recyclé.

4. Réduire la demande d'énergie et utiliser des sources d'énergie renouvelable
Interface réduit sa demande globale d'énergie en augmentant l'efficacité de ses opérations et passe progressivement à des sources d'énergie renouvelable. Ainsi, plusieurs entreprises d'Interface étudient les moyens d'emmagasiner les surplus de chaleur dégagés par les machines et de les réutiliser dans les fours et le chauffage des espaces de travail. En abaissant la température nécessaire à la production de ses endos de plus d'une centaine de degrés, par la modification de ses procédés manufacturiers et de ses matières premières, Interface Canada s'est mérité un prix pour l'innovation en énergie car elle a réduit sa consommation mensuelle d'un minimum de 22 000 kWh à un maximum de 18 000 kWh. Interface Canada est aussi le premier client d'énergie éolienne certifiée Green Power par Hydro Ontario. Son objectif est d'utiliser 100% d'«énergie verte» d'ici l'an 2002. Dans quatre ans, tous les besoins énergétiques reliés à la production, à l'éclairage de l'usine, des bureaux, des stationnements et tous les autres besoins d'énergie seront comblés par des sources éoliennes, solaires ou micro-hydroélectriques. Interface profite de l'aménagement de toute nouvelle usine et de la rénovation ou de l'agrandissement des anciennes pour réaliser d'importantes économies d'énergie grâce à une habile conception de son ingénierie et à la mise à profit de la lumière du jour et de l'énergie potentielle des cours d'eau voisins. À l'usine de Belleville, on a mis sur pied un programme résidentiel d'économie d'énergie destiné aux employés. Interface paie les services de conseillers professionnels pour l'évaluation énergétique des maisons et offre un montant d'argent pour l'installation d'économiseurs d'eau et d'énergie.

5. «Refermer la boucle»
Les systèmes industriels sont linéaires: ils prennent, ils fabriquent et ils jettent. Interface révise ses procédés et ses produits en favorisant une circulation cyclique des matériaux en vertu de laquelle le déchet devient un «nutriment technique», c'est-à-dire un composé moléculaire qui peut être fractionné ou scindé pour une éventuelle réutilisation. Interface poursuit plusieurs projets de recherche pour «refermer la boucle» et recycler vraiment tous les composants: les fibres en nouvelles fibres et les endos en nouveaux endos. Ce type de recyclage, par opposition au recyclage dans un produit de moindre valeur (downcycling), réduit les besoins d'approvisionnement en matériaux qui, en bout de piste, se retrouvent dans les sites d'enfouissement; il y a alors épargne de ressources et d'argent. Mais d'ici à ce que tous les tapis qu'elle remplace soient recyclables à 100%, Interface offre à ses clients un service de recyclage des vieux tapis, moyennant le coût du transport. Il n'y a malheureusement pas beaucoup d'administrateurs qui sont prêts à payer pour éviter que ces tapis ne se retrouvent dans les sites d'enfouissement.

6. Rationaliser les transports
Interface s'efforce de rendre ses transports plus efficaces écologiquement: changements dans les emballages pour alléger le poids du produit, usines géographiquement plus proches des clients et déplacement de l'information plutôt que de la matière. Ainsi, afin de réduire les voyages, Interface encourage et fournit les technologies nécessaires aux téléconférences et aux vidéoconférences. De plus, les outils informatiques, tels les ordinateurs portables qui sont mis à la disposition de la force de vente, permettent le travail à domicile et génèrent d'appréciables économies sur la location d'espaces de bureaux. Par ailleurs, Interface s'est joint au programme Trees for Travel qui plante des arbres sous les tropiques en quantité suffisante pour absorber le dioxyde de carbone (CO2) rejeté par les avions pendant les voyages. (À titre d'exemple, il faut planter un arbre à chaque fois qu'un passager a parcouru 4000 milles en avion). Les recherches que l'entreprise mène sur les énergies renouvelables s'appliquent également au matériel de transport alimenté par ce type d'énergie.

7. Faire de la sensibilisation
Interface commandite plusieurs événements (comme Why Conference) qui favorisent des relations plus étroites avec ses clients et ses fournisseurs et qui mettent en valeur le concept du développement durable. Les événements intitulés Power of One portent sur l'environnement et le pouvoir de l'action individuelle, quand celle-ci est multipliée par de nombreux participants. Play to Win est une formation expérimentale, un jeu, dont l'objectif n'est pas de vaincre un adversaire ou d'atteindre un but quelconque, mais d'aller aussi loin que possible dans l'utilisation de toutes ses ressources. Il s'agit d'apprendre à sortir de ses zones personnelles de confort, à envisager le changement comme un défi, à être prêt à courir des risques. Ces événements non commerciaux sont conçus pour aider les partenaires d'affaires d'Interface à devenir des professionnels accomplis dans leurs propres entreprises.

Un peu partout dans le monde, Interface organise ou encourage des activités destinées à sensibiliser les membres des différentes communautés, notamment les enfants, à la protection de notre planète et à l'importance du développement durable. En voici quelques exemples. En Irlande du Nord, Interface a lancé un concours pour inciter les étudiants du secondaire à soumettre des projets environnementaux. Les gagnants reçoivent le financement nécessaire pour poursuivre leur travail. Pour assumer la responsabilité des plans d'eau qui entourent leur propriété, Prince Street et Interface AR (deux filiales) ont joint les programmes locaux Adopt-a-Stream («Adoptez un cours d'eau»). Les employés, avec l'aide d'élèves des écoles locales, sont encouragés à restaurer et à surveiller la santé de leurs cours d'eau. Interface Canada travaille activement avec les leaders de la communauté pour promouvoir The Natural Step au sein du gouvernement local, des industries et des institutions. Par ailleurs, en 1998, Interface Canada a offert 3000 arbres, dont 1000 ont été plantés à Saint-Césaire, municipalité où les arbres ont particulièrement souffert de la crise de verglas de janvier dernier. Interface a tenu sa toute première réunion mondiale à Maui, Hawaï, en avril 1997. À cette occasion, une fondation sans but lucratif, le Ho'okupu Trust a été mise sur pied pour venir en aide aux enfants autochtones (les premiers 200,000$ ont été donnés par Interface et les participants à la rencontre). Par ailleurs, dans une étude comparative menée lors de l'événement et utilisant les mesures d'Ecometrics, le Grand Wailea Resort and Spa, qui en était l'hôte, a pu constater une substantielle économie d'énergie: une réduction de la consommation d'électricité de 21%, du gaz propane de 48%, de l'eau de lessive de 48% (l'équivalent des pluies annuelles sur le terrain de l'hôtel) et une réduction de 34% des déchets solides destinés au dépotoir. Ces résultats ont été obtenus par des moyens très simples comme de ne pas changer les draps et les serviettes propres chaque jour.

8. Réinventer le commerce
Le secret de l'efficacité des ressources consiste à cesser de concevoir les produits comme des «objets», pour les envisager comme des «services» fournis à un client. C'est pourquoi Interface reconnaît la nécessité de réinventer le commerce. Ainsi, pour matérialiser le concept de «produits de services» mis de l'avant aux États-Unis par McDonough Braungart Design Chemistry, Interface a mis sur pied le bail Evergreen. Habituellement, les carreaux de tapis sont vendus, installés et deviennent la propriété de l'acheteur. Interface, au contraire, loue les services du tapis au propriétaire de l'immeuble. Le client ne paie pas pour les coûts d'installation et d'entretien, mais il paie un loyer mensuel pour les «services» et les «qualités» qu'il souhaite obtenir de son tapis: couleur, texture, chaleur, beauté, qualité acoustique, flexibilité, confort, propreté, sécurité et meilleure qualité de l'air intérieur. Interface fournit tous ces avantages accompagnés d'une garantie de satisfaction totale, mais reste propriétaire du tapis. Le bail stipule notamment que, au fur et à mesure que les carreaux auront parcouru leur cycle de vie normale et devront être remplacés, ils seront récupérés, défaits et remanufacturés par Interface en nouveaux carreaux de tapis.

Par ailleurs, Interface vient de publier un tout nouveau catalogue, nommé Magalog, pour présenter toutes les lignes de produits et toutes les couleurs offertes par Interface, Bentley et Prince Street (deux filiales). Ce catalogue remplace avantageusement les échantillons qui encombraient les bureaux des designers et qui finissaient toujours au site d'enfouissement. Ce nouvel outil de marketing permet d'éliminer une bonne quantité de déchets et de ménager les ressources et l'énergie nécessaires à la fabrication des échantillons.

Tous ces efforts ne sont pas vains, comme le démontrent les résultats financiers d'Interface (des ventes nettes de 1,135 milliards $US et un profit net de 37,5 millions $US en 1997 sont les niveaux les plus élevés jamais atteints par la compagnie dans toute son histoire). Ses profits, elle ne les a pas obtenus en cherchant à équilibrer ses objectifs économiques et environnementaux, mais en cherchant à les intégrer dans un même processus.

Interface a évidemment encore du chemin à parcourir pour parvenir au développement durable. Ray C. Anderson aurait souhaité atteindre cet objectif pour l'an 2000, mais il est conscient que cet échéancier est un peu ambitieux. Toutefois, le respect de l'environnement et l'économie des ressources font désormais partie de la culture de l'entreprise et le progrès est constant. En conséquence, pendant que ses employés tiennent le cap, le capitaine profite de toutes les tribunes pour proclamer la bonne nouvelle: il est possible de «faire de bonnes affaires en faisant ce qui est bien!» (Doing well by doing good).

Dans un article de la revue Science & Vie (décembre 1997), on pouvait lire: «Dans un mouvement qui s'accélère, les Américains ont pris une longueur d'avance. Un peu par respect de l'environnement, beaucoup pour des raisons de conquête des marchés. L'éco-efficacité est un bon argument de vente. C'est aussi un moyen d'éliminer la concurrence (...) il reste à imposer ces normes (environnementales) au reste du monde». Et, connaissant son engagement à l'égard du développement durable, imaginez ce qui risquerait d'arriver si le vice-président Al Gore succédait au président Clinton! «La révolution de l'éco-efficacité se joue maintenant, dit Jean-François Bensahel, président d'Ecobilan. Ceux qui regarderont le train passer pendant les trois ou quatre prochaines années perdront». Il ne s'agit plus de se demander si les entreprises québécoises ont les moyens d'investir dans le développement durable, mais plutôt si elles ont encore les moyens de ne pas le faire...

Bibliographie
1. HAWKEN, Paul, The Ecology of Commerce, HarperBusiness, 1993, 250 pages. Version française: L'écologie de marché, Le Souffle d'or, 1995, 294 pages.
2. QUINN, Daniel, Ishmael, Bantam/Turner Book, 1992, 263 pages. Note: Si la langue de Shakespeare ne vous rebute pas trop, je vous recommande la lecture de ce petit bijou littéraire que l'auteur a mis 10 ans à écrire. Il en vaut la peine!

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