Anthologie-Amour

Jacques Dufresne

Quelques poèmes sur l'amour

Épigrammes amoureuses de Méléagre

À toi sont attachés tous les fils de ma vie,
De toi dépend mon souffle et mon reste de vie.
Mon ami, par tes yeux qui frapperaient l'aveugle,
Par la clarté qui naît de tes sourcils brillants,
Si ton regard est noir, c'est l'hiver dans mon coeur,
Mais si tu me souris, fleurit le doux printemps.

***
S'il est présent, le monde à mes yeux est présent.
Que le monde soit là et lui seul soit absent,
L'univers devient invisible.


Traduction de Robert Brasillach




L'isolement

[...]
Mais à ces doux tableaux mon âme indifférente
N'éprouve devant eux ni charme ni transports,
Je contemple la terre ainsi qu'une ombre errante:
Le soleil des vivants n'échauffe plus les morts.
 
De colline en colline en vain portant ma vue,
Du sud à l'aquilon, de l'aurore au couchant,
Je parcours tous les points de l'immense étendue,
Et je dis: «Nulle part le bonheur ne m'attend.»
 
Que me font ces vallons, ces palais, ces chaumières,
Vains objets dont pour moi le charme est envolé ?
Fleuves, rochers, forêts, solitudes si chères,
Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé.
 
Que le tour du soleil ou commence ou s'achève,
D'un oeil indifférent je le suis dans son cours;
En un ciel sombre ou pur qu'il se couche ou se lève,
Qu'importe le soleil? je n'attends rien des jours.
 
Quand je pourrais le suivre en sa vaste carrière,
Mes yeux verraient partout le vide et les déserts;
Je ne désire rien de tout ce qu'il éclaire,
Je ne demande rien à l'immense univers.
[...]

Lamartine




Mon corps est devenu précieux

Tu m'as grandi de ton amour, moi qui ne suis qu'un homme
parmi les autres, flottant dans l'ordinaire courant, agité au gré
de la changeante faveur du monde.
Tu m'as donné place là où les poètes de tous les temps apportent
leurs offrandes, où les amants au nom impérissable se
saluent l'un l'autre à travers les âges.
Des hommes pressés passent devant moi au marché sans
remarquer comme mon corps est devenu précieux de ta
caresse, sans savoir qu'en moi je porte ton baiser, comme le
soleil porte en son orbe le feu du divin toucher, dont il brille à jamais.

Rabindranath Tagore

 


Madame de Montbazon

«Mme de Montbazon était une fort belle créature qui mourut d'amour, cela pris à la lettre, l'autre siècle, pour le chevalier de la Rüe qui ne l'aimait point.» (Mémoires de Saint-Simon)

La suivante rangea sur la table un vase de fleurs et les flambeaux de cire, dont les reflets moiraient de rouge et de jaune les rideaux de soie bleue au chevet du lit de la malade.

«Crois-tu, Mariette, qu'il viendra? - Oh! dormez, dormez un peu, Madame! - Oui, je dormirai bientôt pour rêver à lui toute l'éternité.»

On entendit quelqu'un monter l'escalier. «Ah! si c'était lui!» murmura la mourante, en souriant, le papillon des tombeaux déjà sur les lèvres.

C'était un petit page qui apportait de la part de la reine, à Mme la duchesse, des confitures, des biscuits et des élixirs sur un plateau d'argent.

«Ah! il ne vient pas», dit-elle. «Ah! il ne vient pas, dit-elle d'une voix défaillante, il ne viendra pas! Mariette, donne-moi une de ces fleurs que je la respire et la baise pour l'amour de lui!»

Alors Mme de Montbazon, fermant les yeux, demeura immobile. Elle était morte d'amour, rendant son âme dans le parfum d'une jacinthe.

Aloysius Bertrand

 


 


Bérénice

Antiochus fait ses adieux à Bérénice, qui lui préfère Titus, lequel fait passer la gloire avant l'amour.

Dans un mois, dans un an, comment souffrirons-nous,
Seigneur, que tant de mers me séparent de vous?


Antiochus (à Bérénice)

Que vous dirais-je enfin? Je fuis des yeux distraits,
Qui me voyant toujours ne me voyaient jamais.
Adieu. Je vais le coeur trop plein de votre image
Attendre en vous aimant la mort pour mon partage.
Surtout ne craignez point qu'une aveugle douleur
Remplisse l'univers du bruit de mon malheur:
Madame, le seul bruit d'une mort que j'implore
Vous fera souvenir que je vivais encore.
Adieu.
[...]
Je la verrai gémir; je la plaindrai moi-même.
Pour fruit de tant d'amour, j'aurai le triste emploi
De recueillir des pleurs qui ne sont pas pour moi.
[...]

Bérénice (à Titus)

Je n'écoute plus rien, et pour jamais adieu.
Pour jamais! Ah! Seigneur, songez-vous en vous-même
Combien ce mot cruel est affreux quand on aime?

Dans un mois, dans un an, comment souffrirons-nous,
Seigneur, que tant de mers me séparent de vous?
Que le jour recommence et que le jour finisse

Sans que jamais Titus puisse voir Bérénice,
Sans que de tout le jour je puisse voir Titus?
Mais quelle est mon erreur, et que de soins perdus!

L'ingrat, de mon départ consolé par avance,
Daignera-t-il compter les jours de mon absence?
Ces jours, si longs pour moi, lui sembleront trop courts.

Jean Racine




La femme aimée

Sentir l'être sacré frémir dans l'être cher
Apercevoir un astre à travers une chair [...]
Compléter ce qu'on voit avec ce qu'on devine.
[...]
Déesse, vous avez des dieux la transparence [...]
Vous rayonnez sous la beauté, c'est votre voile,
Vous êtes un marbre habité d'une étoile.

Victor Hugo

 

 




Lettre à M. Lamartine

J'ai cru pendant longtemps que j'étais las du monde;
J'ai dit que je niais, croyant avoir douté,
Et j'ai pris, devant moi, pour une nuit profonde
Mon ombre qui passait pleine de vanité.

Poète, je t'écris pour te dire que j'aime,
Qu'un rayon du soleil est tombé jusqu'à moi,
Et qu'en un jour de deuil et de douleur suprême
Les pleurs que je versais m'ont fait penser à toi. 

Qui de nous, Lamartine, et de notre jeunesse,
Ne sait par coeur ce chant, des amants adoré,
Qu'un soir, au bord d'un lac, tu nous as soupiré?

Alfred de Musset


Le lac

Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux rivages,
Dans la nuit éternelle emportés sans retour,
Ne pourrons-nous jamais sur l'océan des âges
            Jeter l'ancre un seul jour?
 
Ô lac! l'année à peine a fini sa carrière,
Et près des flots chéris qu'elle devait revoir,
Regarde! je viens seul m'asseoir sur cette pierre
            Où tu la vis s'asseoir!
 
Tu mugissais ainsi sous ces roches profondes;
Ainsi tu te brisais sur leurs flancs déchirés;
Ainsi le vent jetait l'écume de tes ondes
            Sur ses pieds adorés.
 
Un soir, t'en souvient-il? nous voguions en silence;
On n'entendait au loin, sur l'onde et sous les cieux,
Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence
            Tes flots harmonieux.
 
Tout à coup des accents inconnus à la terre
Du rivage charmé frappèrent les échos,
Le flot fut attentif, et la voix qui m'est chère
            Laissa tomber ces mots:
 
« Ô temps, suspends ton vol! et vous, heures propices,
            Suspendez votre cours!
Laissez-nous savourer les rapides délices
            Des plus beaux de nos jours!
 
« Assez de malheureux ici-bas vous implorent;
            Coulez, coulez pour eux;
Prenez avec leurs jours les soins qui les dévorent;
            Oubliez les heureux.
 
« Mais je demande en vain quelques moments encore,
            Le temps m'échappe et fuit;
Je dis à cette nuit: «Sois plus lente»; et l'aurore
            Va dissiper la nuit.
 
«Aimons donc, aimons donc! de l'heure fugitive,
            Hâtons-nous, jouissons!
L'homme n'a point de port, le temps n'a point de rive;
            Il coule, et nous passons!»
 
Temps jaloux, se peut-il que ces moments d'ivresse,
Où l'amour à longs flots nous verse le bonheur,
S'envolent loin de nous de la même vitesse
            Que les jours de malheur?
 
Hé quoi ! n'en pourrons-nous fixer au moins la trace?
Quoi ! passés pour jamais? quoi! tout entiers perdus?
Ce temps qui les donna, ce temps qui les efface,
            Ne nous les rendra plus?
 
Éternité, néant, passé, sombres abîmes,
Que faites-vous des jours que vous engloutissez?
Parlez : nous rendrez-vous ces extases sublimes
            Que vous nous ravissez?
 
Ô lac ! rochers muets! grottes! forêt obscure!
Vous que le temps épargne ou qu'il peut rajeunir,
Gardez de cette nuit, gardez, belle nature,
            Au moins le souvenir!
 
Qu'il soit dans ton repos, qu'il soit dans tes orages,
Beau lac, et dans l'aspect de tes riants coteaux,
Et dans ces noirs sapins, et dans ces rocs sauvages
            Qui pendent sur tes eaux!
 
Qu'il soit dans le zéphyr qui frémit et qui passe,
Dans les bruits de tes bords par tes bords répétés,
Dans l'astre au front d'argent qui blanchit ta surface
            De ses molles clartés!
 
Que le vent qui gémit, le roseau qui soupire,
Que les parfums légers de ton air embaumé,
Que tout ce qu'on entend, l'on voit et l'on respire,
            Tout dise: «Ils ont aimé!»

 Lamartine




Il n'y a pas d'amour heureux

Mon bel amour mon cher amour ma déchirure
Je te porte dans moi comme un oiseau blessé


Rien n'est jamais acquis à l'homme Ni sa force
Ni sa faiblesse ni son coeur Et quand il croit
Ouvrir ses bras son ombre est celle d'une croix
Et quand il croit serrer son bonheur il le broie
Sa vie est un étrange et douloureux divorce
Il n'y a pas d'amour heureux

Sa vie Elle ressemble à ces soldats sans armes
Qu'on avait habillés pour un autre destin
A quoi peut leur servir de se lever matin
Eux qu'on retrouve au soir désoeuvrés incertains
Dites ces mots Ma vie Et retenez vos larmes
Il n'y a pas d'amour heureux

Mon bel amour mon cher amour ma déchirure
Je te porte dans moi comme un oiseau blessé
Et ceux-là sans savoir nous regardent passer
Répétant après moi les mots que j'ai tressés
Et qui pour tes grands yeux tout aussitôt moururent
Il n'y a pas d'amour heureux

Le temps d'apprendre à vivre il est déjà trop tard
Que pleurent dans la nuit nos coeurs à l'unisson
Ce qu'il faut de malheur pour la moindre chanson
Ce qu'il faut de regrets pour payer un frisson
Ce qu'il faut de sanglots pour un air de guitare
Il n'y a pas d'amour heureux

Il n'y a pas d'amour qui ne soit à douleur
Il n'y a pas d'amour dont on ne soit meurtri
Il n'y a pas d'amour dont on ne soit flétri
Et pas plus que de toi l'amour de la patrie
Il n'y a pas d'amour qui ne vive de pleurs
Il n'y a pas d'amour heureux

Mais c'est notre amour à tous les deux

Louis Aragon (La Diane Francaise, Seghers 1946)




Demain je serai belle

Si tu me regardes, je deviens belle
comme l'herbe sous la rosée
et les grands roseaux ne reconnaîtront pas
mon visage ébloui quand je descendrai à la rivière.

J'ai honte de ma bouche triste,
de ma voix brisée, de mes genoux rudes.
Après que tu es venu et m'as regardée,
je me suis trouvée pauvre et dénudée.

Il n'est pas une pierre sur le chemin
que tu n'aies vue plus dépourvue de lumière à l'aube
que cette femme vers laquelle,
pour avoir entendu son chant, tu as levé ton regard

Je me tairai, afin que ceux qui passent par la plaine
ne reconnaissent pas mon bonheur
à l'éclat de mon front rugueux,
au tremblement de ma main.

Il est nuit, la rosée descend sur l'herbe;
regarde-moi longtemps, parle-moi avec tendresse;
demain, en descendant à la rivière,
celle que tu as marqué de ton baiser sera belle.

Gabriela Mistral




Sous le pont Mirabeau

Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours
Faut-il qu'il m'en souvienne
La joie venait toujours après la peine.

Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
Les mains dans les mains restons face à face
Tandis que sous

Le pont de nos bras passe
Des éternels regards l'onde si lasse
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure

L'amour s'en va comme cette eau courante
L'amour s'en va
Comme la vie est lente
Et comme l'Espérance est violente

Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure

Passent les jours et passent les semaines
Ni temps passé
Ni les amours reviennent
Sous le pont Mirabeau coule la Seine

Apollinaire




Birds in the night

Hélas! on se prend toujours au désir
Qu'on a d'être heureux malgré la saison..

Vous n'avez pas eu toute patience,
Cela se comprend par malheur, de reste.
Vous êtes si jeune! et l'insouciance,
C'est le lot amer de l'âge céleste!

Vous n'avez pas eu toute la douceur,
Cela par malheur d'ailleurs se comprend;
Vous êtes si jeune, ô ma froide sœur,
Que votre coeur doit être indifférent!
[...]
Hélas! on se prend toujours au désir
Qu'on a d'être heureux malgré la saison...
Mais ce fut un jour plein d'amer plaisir,
Quand je m'aperçus que j'avais raison!
[...]
   
Je vous vois encor. J'entr'ouvris la porte.
Vous étiez au lit comme fatiguée.
Mais, ô corps léger que l'amour emporte,
Vous bondîtes nue, éplorée et gaie.

Ô quels baisers, quels enlacements fous!
 J'en riais moi-même à travers mes pleurs.
 Certes, ces instants seront entre tous,
 Mes plus tristes, mais aussi mes meilleurs.

Je ne veux revoir de votre sourire
Et de vos bons yeux en cette occurrence
Et de vous, enfin, qu'il faudrait maudire,
Et du piège exquis, rien que l'apparence.

Je vous vois encor! En robe d'été
Blanche et jaune avec des fleurs de rideaux.
Mais vous n'aviez plus l'humide gaîté
Du plus délirant de tous nos tantôts.

La petite épouse et la fille aînée
Était reparue avec la toilette
Et c'était déjà notre destinée
Qui me regardait sous votre voilette
[...]

Verlaine




Dualité

Regards qui se perdent sans fin
dans les regards de l’autre.
Caresses qui luisent dans la nuit,

La douleur est l’envers de l’amour
Cela, je l’ignorais
lorsque je suis venu vers toi mendiant ton amour.
Il m’a bien fallu l’apprendre
pour connaître enfin ce que j’attendais de toi
et ce que moi-même je pouvais t’apporter.
J’ai pris sur moi une souffrance par moi-même infligée:
la tienne, la mienne,
la tienne devenue mienne:
Et c’est la tienne que j’ai le plus redoutée.

Douleur d’avoir aimé!
Comment empêcher que cet amer savoir
ne t’incite à rouvrir le livre de notre vie?
Car si tel était ton désir
tel aussi devrait être le mien.
Et nos héritiers, les jeunes amants qui nous suivront
dans la chaîne des amours,
en feuilletant les pages de notre histoire
n’y trouveraient plus que des mots raturés.

Peur de demeurer inconnu à tes yeux,
peur aussi de te blesser en me révélant.
Ah! Quand saurai-je enfin apprivoiser les mots?
Quoi! Tu pourrais m’entendre et ne pas me répondre
et ainsi le doute de ton esprit briserait l’élan de ton corps.
Car si notre voeu était que notre histoire ait une conclusion,
la vie tôt ou tard nous en fournirait la matière.

Et maintenant regarde-moi!
Après tant d’années regarde-moi encore
qui n’ai d’autre beauté
que le visage de notre être et de nos actes.
Regarde-moi enfin de ce regard
que la colère et la douleur ont meurtri:
Vision d’une âme désarmée
qui désormais ne sait plus rien garder.

L’éclair de tes yeux, lorsque tu me regardes,
je le reçois et te le rends.
Une tendresse radieuse nous enveloppe
et remplit cet instant
où les caresses répondant aux caresses
illuminent la nuit.
La flamme qui nous consume
devient la lumière de notre regard.

Regards qui se perdent sans fin
dans les regards de l’autre.
Caresses qui luisent dans la nuit,
souvenirs du Paradis, notre vraie demeure:
Une image de Dieu qui nous renvoie à elle-même.
Nous nous mouvons d’un mouvement
dont nous ne sommes pas la cause.

Lumières enlacées jour et nuit,
nous vacillons comme deux arbres
qu’un même vent balance.
Que notre histoire demeure sans conclusion!
Laissons plutôt nos corps s’enflammer
dans cet instant hors du temps.

Le Ciel et la Terre nous ont déportés vers cette nuit
où nous nous disons l’un à l’autre
la légende d’un Royaume désiré
et pourtant indicible et secret.
Notre chair se fait parole,
écho de nos joies confondues.

Unis au creux du temps qui meurt,
nous attendons la résurrection des mots.
Ils s’envolent de nos bouches,
délestés du mal, de la male heure et du mensonge.
Leur fraîche clarté fait scintiller les feuilles,
l’air devient cristallin
et dans le clair-obscur, les syllabes
jaillissent, brillantes comme des étoiles d’eau.

Dans l’ombre, inaperçus,
nous sommes enfin admis
au Festin des amants où tout est transparence.
Ils sont tous là,
ceux qui ne savent prendre qu’en donnant
et qui donnent encore quand ils prennent.
Ceux qui en vivant créent l’amour
et qui en aimant recréent la vie.

Wendell Berry
(Traduction: J.D. et H.L.)




Les bagues

Pour ne pas retrouver, même aux proches mémoires,
le sable ou le caillou ou la source possibles
où dorment à jamais ces bijoux sans histoire,
nous avons échangé des bagues invisibles.


Nous avons échangé sous les arbres, nos bagues
trop grandes à dessein, pour que, de nos doigts las
elles glissent dans l'herbe ou dans les sables vagues.
Nous ne porterons plus de bagues à nos doigts.

Nous avons célébré, mystérieuses noces,
notre amour libéré ainsi qu'un forçat fou
et scellé les yeux clos l'intention féroce
de ne plus retrouver jamais nos vieux bijoux.

Je ne sais plus flétrir nos promesses brisées,
nous avons décidé d'en perdre les témoins,
et brillent sur la nuit, mains revalorisées,
les grâces nouvelles de nos doigts qu'on disjoint.

Que la marée emporte, ou le sable, ou les herbes
nos joncs abandonnés et nos anciens courroux!
Nos mains sont sur les champs la plus précieuse gerbe
et nous n'y toucherons que tombés à genoux.

Nous avons dédaigné l'anneau catégorique
et sa morsure d'or sur nos doigts déchirés,
nous n'apparaîtrons pas sur les places publiques
où l'amour a les mains pleines d'anneaux dorés.

Nous avons échangé l'humble chair de mains nues
sans réclamer du temps l'odieuse monnaie,
puis appris à courir en des plaines sans haies
dans le rayonnement d'étoiles inconnues.

Serons-nous pardonnés d'avoir trompé les hommes,
de leur avoir menti de bonne volonté?
Au nom de liens parfaits, oh! d'avoir menti comme
si nous leur avions dit d'absurdes vérités?

Nos bagues rouilleront aux herbes anonymes
ou peut-être emportées par les ruisseaux du pré,
peut-être qu'elles vont, perdues par notre crime
s'ajouter aux trésors que la mer a rouillés.

Et nos mains doucement tiendront sur l'avenir
aux dépens du Bonheur des promesses tacites,
ces songes éternels que ne pouvaient tenir
même à nos doigts soumis les anneaux explicites.

Pour ne pas retrouver, même aux proches mémoires,
le sable ou le caillou ou la source possibles
où dorment à jamais ces bijoux sans histoire,
nous avons échangé des bagues invisibles.

À temps le bonheur

Suzanne Paradis


 

Adieu

Si un jour je meurs seul
Loin de toi je reviendrai
Sous la forme du vent
Danser dans les rues
De la ville et faire valser
Aux fenêtres les rideaux
Des chambres endormies

Si un jour je meurs seul
Sans toi je me changerai
En rai de lune et glisserai
Cependant que tu dors
Sur ta chevelure rousse
Tout le long de ton cou
Jusqu'au val de tes reins

Si un jour je meurs seul
Sans toi au bout du monde
Je reviendrai je te le jure
Trousser ton blanc jupon
De dentelle fine et tracer
Sur la peau de tes mollets
Ronds les poèmes d'amour
Que je faisais hier pour toi

Si jamais je meurs un jour
J'imprégnerai tes songes
Des parfums de la myrrhe
Et sèmerai dans ta mémoire
Le souvenir du nom de fleur
Que je te donne en silence
Quand je t'aime tendrement

Si je meurs sans toi un jour
J'emporterai dans le Fleuve
Le sang amer des oranges
D'Espagne et de cette encre
Enchantée je ferai sur les flots
Des lettres que ton âme bleue
Accueillera dans le secret

Je vivrais pourtant une heure
De plus même sous la torture
Pour seulement une seconde
Encore te serrer contre moi
Ah! envahir ton corps brûlant:
Comme l'ange aimer la fille
Ou le démon ravir la pucelle

Je meurs à l'instant mon amour
Je ne serai plus là à ton réveil
Mon destin s'accomplit - Déjà
Le rêve s'assombrit à l'exemple
Du ciel à la tombée du jour, déjà
L'aigle de feu disparaît au loin
Seul sans toi au bout du monde

Richard Weilbrenner
Dunham-les-Bois
Décembre 2001

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