Mozart

Léo-Pol Morin
Après avoir parlé du « bon vieux papa Haydn», il est naturel de passer à Mozart, dont le nom illumine non seulement le siècle où il a vécu, mais aussi et toujours notre temps. Mozart est le musicien dont Rossini disait qu'il était « la musique même », et à quoi Wagner ajoutait qu'il « était encore la musique de l'avenir... ». Et si on veut par un nom, par une oeuvre expliquer l'impossible, c'est-à-dire le génie, eh bien, le nom de Mozart paraît être le seul qui réponde d'une façon absolue et troublante à la définition du mot...

Tout le monde parle du «divin Mozart», et tout le monde l'aime. Mais on l'aime surtout platoniquement, et c'est un amour qu'on ne recherche pas tous les jours, sans doute parce qu'il est trop pur, et comme immatériel. Et puis, il faut bien l'avouer, on ne le connaît pas trop bien, et on ne connaît de son oeuvre que les pages les plus souvent jouées dans nos concerts, et toujours les mêmes. Ce culte de Mozart est la chose la plus étonnante du monde. On joue sa musique, bien sûr, on joue ses sonates dans l'enfance, mais à contre-cœur, comme un pensum, sans chercher à savoir ce qu'elle raconte, cette musique. On ne se donne jamais la peine de la jouer pour soi-même, pour son propre plaisir, histoire de s'approcher d'un être aimé, d'une oeuvre entre toutes heureuse et bénie. Il nous suffit de savoir que Mozart existe, et qu'il est « le divin Mozart... »

Il est né à Salzbourg le 27 janvier 1756. Son père, Léopold Mozart, était violoniste et il était attaché au service du Prince-archevêque de Salzbourg, comme compositeur et maître de concert. Salzbourg était alors une ville aimable et souriante, et il semble que tout le monde y était alors épris de musique. On en faisait partout, et le petit Mozart fut ainsi entouré de musique dès sa naissance. Henri de Curzon dit que le petit Mozart avait «une grosse tête sur un corps frêle, avec, d'ailleurs, une exubérance rassurante et un regard si beau, si franc, tant de grâce naturelle, des manières si confiantes, qu'il enchantait tout le monde ».

Dès l'âge de trois ans, il est attiré par le clavecin, dont joue sa petite sœur. À quatre ans, il en joue lui-même, et il commence à composer des petits menuets qui prennent place dans l'album d'études de sa petite soeur. Il joue un peu partout: chez le Prince-archevêque, chez l'Électeur de Munich, enfin à la cour de l'Empereur, à Vienne, où il séduit, où il embrasse l'Impératrice et bavarde joyeusement avec ceux qui l'entourent et le cajolent. Il est gai, il est joyeux, et tout lui profite. Enfin, l'enfant prodige parcourt l'Europe. On le voit toujours en culotte de soie et en jabot de dentelle, soit au clavecin ou un violon entre les mains, et devant cette image on oublie que cet enfant a fait une oeuvre d'homme, une oeuvre dont l'humanité est justement débordante et impressionnante. Sans doute, il y a les joies et les gâteries de son enfance, mais il y a les ombres et les misères de sa vie d'adolescent, la dureté de sa vie d'homme et la tristesse de sa mort. Le « soleil de sa musique » , le charme, le sourire et tout à la fois la malice de son art empêchent qu'on l'aborde à la manière d'un être humain, et l'image qui nous reste de Mozart en est une de fiction légendaire. L'adoration mystique et désintéressée l'emporte sur la vérité historique, et on veut qu'il n'y ait aucune mesure entre ce dieu et le commun des mortels.

Et pourtant, quelle misère réelle, quelle misère prosaïque fut la vie de Mozart. Les difficultés presque constantes de sa vie d'homme, celles de sa vie conjugale, les tourments de son cœur, n'y a-t-il pas là tout ce qu'il faut pour faire de ce divin enfant un être de chair dont la palpitation a quelque chose de tragique? Mais Mozart a fait de beaux rêves dans son enfance; il a vécu de beaux rêves. Et les grands de ce monde, il les a vus à la mesure des plus simples mortels. Un jour, qu'il venait de jouer chez l'Impératrice à Schoenbrunn, vêtu d'un charmant
costume qui avait été fait pour le petit archiduc Maximilien, le petit Mozart, en quittant le clavecin, glisse et tombe sur le parquet trop bien ciré. Une charmante petite princesse, âgée de huit ans, se précipite pour le relever... Le petit musicien, ravi, l'embrasse sur les deux joues, et
lui exprime en ces termes sa reconnaissance: « Tu es très gentille... Je te promets de t'épouser... » Il ne l'a pas fait, bien sûr, puisque sa petite princesse est devenue reine de France. C'était l'archiduchesse Marie-Antoinette, sans doute déjà destinée au Dauphin de France, le futur roi Louis XVI...

Plus tard, Mozart échoua à Salzbourg comme musicien du Prince-archevêque. Mais le distingué prélat ne comprit rien au génie de Mozart et il le faisait manger à la cuisine avec les domestiques. Et puis, un jour, à la suite d'une discussion, le Prince, grand seigneur, le fit chasser par son chambellan, mais à coups de pied... Enfin, sur la fin de sa vie, au moment où il écrivait La Flûte enchantée, il reçoit la visite d'un mystérieux personnage vêtu de gris de la tête aux pieds, qui vient lui demander quel serait son prix pour la composition d'un Requiem. Déjà phtisique, surmené par le travail et rongé d'inquiétude, Mozart prit très mal les visites répétées de ce troublant inconnu. Pressé, harcelé, il se mit pourtant à l’œuvre, mais il ne sut jamais que le mystérieux personnage n'était autre que le valet du comte Walsegg, qui voulait un Requiem pour honorer la mémoire de sa femme. Et c'est ainsi qu'il crut écrire son propre Requiem. Il semble qu'une sorte de fatalité ait constamment entouré la vie de Mozart et nous savons pourtant que cette vie fut un chant ininterrompu. Il a chanté jusqu'au dernier moment, et nous savons par l'his­toire que « le dernier mouvement de ses lèvres évoquait encore la musique ». Il mourut le 5 décembre 1791, lais­sant inachevé son chant du cygne, son propre Requiem, ainsi qu'il le croyait. Ses amis avaient commandé un simple service, qui eut lieu dans une chapelle de la cathédrale Saint-Etienne, à Vienne, et personne ne le suivit au cime­tière, où son corps, déposé dans la fosse commune, s'est perdu dans le plus misérable anonymat. On ne l'a jamais retrouvé. On n'a jamais su laquelle de ces tombes conte­nait le corps de l'enfant prodige qui avait ébloui toute l'Europe et que sa femme, Constance, dut elle aussi pleurer devant un cercueil anonyme... Le corps de Mozart est perdu, mais sa musique est là, toujours vivante; son art est là, rayonnant et vibrant, doué d'une vie éternelle.

Et cette musique divine, elle aussi, comment l'expli­quer? Elle s'explique d'elle-même, il me semble... Elle opère par son charme, par son sourire, par la vivacité de son esprit, mais aussi par ses accents tragiques et profonds. Car il ne faudrait pas croire que l'art de Mozart repose tout entier sur le sourire, sur le bonheur inconscient, et qu'il ait été indifférent à la douleur humaine. Il était pour cela trop sensible, trop vulnérable. Tout le temps qu'il enrichissait le monde de ses chefs-d’œuvre, nous avons vu qu'il était en butte aux plus dures épreuves matérielles et morales, et sa vie, malgré l'intervention de tous les princes et archevêques, sa vie a été presque constamment pénible et médiocre. Et quand enfin il aurait pu goûter un peu de sécurité, une fois sa gloire bien établie et reconnue, il était trop tard. Il a passé sa vie à se débattre, et on peut dire avec l'une de ses biographes, Annette Kolb, que « c'est le monde qui l'entourait qui l'a tué... » . Sa musique contient des accents tragiques, bien qu'il ait voulu que la musique ne révèle justement point cet état d'âme malheureux, et non plus la violence des sentiments. En effet, il a pris soin d'écrire que « les passions, violentes ou non, ne doivent jamais être exprimées jusqu'au dégoût et que la musique, même dans la situation la plus terrible, ne doit jamais offenser l'oreille mais, là encore, la charmer; enfin, disait-il, rester toujours la musique ». Le grand poète Verlaine, en réclamant « de la musique avant toute chose », devait penser à Mozart...

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