L'acedia

Jacques Dufresne

On sait la fréquence et la gravité de la maladie appelée dépression dans le monde contemporain, on sait avec quelle rapidité, chez les jeunes surtout, elle peut conduire au suicide. On sait d’autre part l’importance que les plus fins psychologues parmi les philosophes, Nietzsche, Scheler, Klages, Thibon ont attaché à la notion de ressentiment: cette vengeance différée accompagnée de tristesse qui incite à dénigrer les plus haute valeurs et à transformer les causes d’admiration en causes de dégoût ou de mépris. Les psychiatres s’intéressent aussi désormais à une nouvelle variante de la dépression: le désarroi.
Voilà autant de raisons de redécouvrir cette morosité voleuse de vie (life-robbing dreariness, comme dit J. Novone), cette tristesse que dans la spiritualité chrétienne classique on appelait l’acedia, laquelle fait partie de la liste des sept péchés capitaux de Saint Grégoire le Grand (c. 540-604).

Le théologien Michel Labourdette regrette que, dans la liste révisée des péchés capitaux, elle ait été remplacée par la notion beaucoup plus faible de paresse. Il voit dans cette substitution le signe d’une chute du plan théologal au plan moral.

On peut dire du ressentiment qu’il est engendré par le dépit de ne pouvoir s’élever jusqu’à l’être ou au principe supérieurs proposés à notre admiration. L’acedia est engendrée par le même dépit mais à propos de Dieu lui-même, source de la force qui permet de s’élever jusqu’à lui. (Vu sous cet angle, le ressentiment apparaît comme l'acedia s'appliquant aux grandes valeurs ayant survécues à la mort de Dieu).

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