Les écrivains québécois et la nature

Jacques Dufresne
Savoir nommer les plantes de son pays, condition pour pouvoir décrire les hommes qui l'habitent.
Parmi les premiers et les plus fervents admirateurs de Marie-Victorin, il y eut Félix-Antoine Savard, auteur de Menaud, maître-draveur. Menaud est un personnage tragique, mais à-demi fictif seulement, car l'histoire de sa vie et de ses pensées correspond de très près à celle d'un maître draveur de Charlevoix que Félix-Antoine Savard a connu et dont il a recueilli le récit. A la drave, il a perdu son fils unique. Aux exploitants étrangers qui le bannissent de ses territoires de chasse, de pêche et de poésie, au Nord de la Malbaie, il ne peut s'opposer qu'en sombrant dans la démence. A part les amours printanières d'Alexis et de Marie, la fille de Menaud, amours sur lesquelles plane d'ailleurs une dure vie de labeur, la seule joie dans ce récit est celle de la nature, d'une nature aimée selon les voeux de Marie-Victorin et nommée selon ses indications.

Dans son journal, Félix-Antoine Savard rend explicitement hommage à celui qui sait nommer les plantes «A l'époque de Menaud, je souffrais beaucoup de ne savoir point nommer la plupart des plantes que j'admirais. Je me sentais comme humilié devant elles. [...] Je faisais mon butin de feuilles et de fleurs; et rentré chez moi, je cherchais dans la Flore laurentienne de Marie-Victorin les noms et les savantes descriptions de cette botanique qui avait tant à dire et me semblait attendre que l'homme lui prêtât quelque chose du meilleur de son humanité».

L'élève a bien réussi son examen de botanique appliqué à la littérature: «Jusqu'à ce jour, écrit Marie-Victorin, personne, chez nous, aucun faiseur de livres, n'avait ajusté à un récit canadien un cadre aussi précis et aussi vrai. Personne ne s'était appliqué avec autant d'ardeur à fouiller le coeur des choses pour y découvrir des analogies de détail, et les intégrer dans l'analogie universelle où Science et Poésie se rencontrent dans l'Unité».

Voici la description que donne F. A. d'un ravage de chevreuils. «C'est le pays où l'air est frais comme une source et l'eau pure comme l'air. Là croissent les gadelles poilues et les viornes, et sur les crans austères brillent les rubis de la canneberge. Jardin mystérieux! retraites inviolées! où sur le silence des mousses, sans crainte, le chevreuil mène la vie limpide des cimes».

Et voici les commentaires de Marie-Victorin: «Cette association, dans le domaine du chevreuil, de ces plantes éminemment laurentiennes que sont les Ribes glandulosum, le Viburnum lantanoides et le Vaccinium Oxycoccos, est une notation à la fois très simple et très exacte qui satisfait le botaniste le plus pointilleux».

Dans la forêt boréale, aux premiers beaux soirs du printemps, près des lacs et des rivières, l'horizon tout-à-coup se remplit d'une musique qui rappelle les premières heures de la vie. «Bruissantes, écrit F. A. Savard, (les grenouilles) trillent une clameur qui tremblote jusqu'aux sillons lointains; et ... le grand choeur des grenouilles, nées de la boue des marécages, jouent du flageolet dans les quenouilles sèches».

Mais si, aux yeux, ou plutôt à l'oreille de Marie-Victorin, F. A. Savard mérite dans ce cas une bonne note c'est parce qu'il sait que les rainettes sont les créatures les plus sensibles qui soient à la pollution par le bruit. «Le grand caliberdas des grenouilles s'arrêta sec tandis qu'un héron s'enfuyait des clajeux en traînant ses béquilles».


La Malbaie vue par Arthur Buies


En 1872, un autre écrivain québécois Arthur Buies, un précurseur des intellectuels de la révolution tranquille, a décrit le Bouclier laurentien à la hauteur de la Malbaie. Si, pour lui, tous les conifères sont des sapins, on ne peut tout de même pas lui reprocher d'avoir transposé ses souvenirs d'Europe dans le paysage de la Malbaie. «Vous avez ici tous les aspects, toutes les beautés, toutes les grâces unies à toutes les pompes du paysage. Près du fleuve un rivage accidenté, coupé de petits caps et de ravines perdues; des sentiers qui sortent de toutes parts et qui mènent on ne sait où, des bordures verdoyantes qui s'échappent avec mystère d'un bois de sapins, des coteaux à peine ébauchés qui naissent pour ainsi dire sous les pas et qui bornent un instant l'horizon, pour laisser entrevoir ensuite des perspectives illimitées; toutes espèces de petites tromperies séduisantes, des mamelons innombrables, couronnés d'un petit bouquet d'arbres isolés, comme la mèche de cheveux sur la tête rasée d'un Indien; des détours, des méandres imprévus, toutes les charmantes caresses brusques de la nature qui veut surprendre le regard, comme une mère qui invente à chaque heure de nouveaux plaisirs pour le petit dernier-né».

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Du même auteur. Voir également Croquis laurentiens, texte intégral.

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