La guérison chez les Navajos

Oscar Pfister
S'agit-il d'un festival, d'un psychodrame, d'une thérapie par la beauté? Il s'agit de tout cela à la fois: pour guérir, le malade doit renaître au contact de tout ce qui fonde sa société et sa culture. Ces pratiques étaient considérées il n'y a pas longtemps comme des curiosités ethnologiques. Le nouveau regard que nous jetons sur elles nous les fait voir comme une source de connaissances enrichissantes en elles-mêmes et utiles pour nous aujourd'hui. Cette médecine Navajo ne semble pas souffrir d'un excès de rationalité, mais comment ne pas voir que la nôtre par comparaison souffre d'un manque de communication, particulièrement entre le médecin et le malade?
Parmi les rites de guérison les plus souvent cités par les anthropologues, il y a ceux des indiens Navajos, tribu nord-américaine connue pour ses tissages délicats, ses magnifiques peintures de sable coloré et sa musique. Les cérémonies de guérison chez les Navajos étaient une réactualisation des grands mythes de la création du monde et des fêtes des dieux. Elles étaient si complexes que le guérisseur, dont le rôle s'apparentait à celui d'un metteur en scène, mettait plusieurs années à en apprendre les règles.

    Voici la description de l'une de ces cérémonies.

    «Le malade, un homme de cinquante ans environ, avait rêvé que son enfant était mort. Il en fut à ce point bouleversé qu'il tomba dans un état de dépression sévère. Au bout de quelques semaines on consulta un devin. Celui-ci entra en transe, regarda les étoiles et vit un ours. Il dit au malade: «Cherche un chanteur capable de chanter le Chant de la Montagne car tu mourras sûrement si tu ne le trouves pas». On trouva le chanteur, et il dit au malade: «Quand tu étais petit, tu as vu un ours malade ou mort; ou bien c'est ta mère qui l'a vu avant ta naissance. Cet ours était un animal sacré. Il faut maintenant te réconcilier avec lui». A cet effet, il fallait exécuter un des Chants de Neuf Jours, la forme masculine du Chant de la Montagne.

    On construisit deux huttes: l'une, la «maison des chants» ou «maison de la médecine» pour le malade, l'autre pour sa femme et ses enfants. Tous ses «frères de clan» vinrent prêter leur concours pendant les neuf jours que dura la cérémonie, tandis que les femmes de sa famille faisaient la cuisine et assuraient le service. Le malade, le guérisseur et les autres hommes commencèrent par prendre des bains de vapeur et par se soumettre à des rites de purification.

    [...] Douze hommes se retrouvèrent devant la maison de la médecine les sixième, septième, huitième et neuvième jours et, sous la direction du guérisseur, ils exécutèrent de belle peintures sur le sol avec du sable coloré. Ces dessins sont aussi remarquables pour leur valeur artistique que pour leur signification mythologique et symbolique. Le guérisseur accompagnait ces rites de gestes et de chants magiques. Chaque jour, quand tous les rites étaient accomplis, on défaisait les peintures de sable et on répandait le sable coloré sur le malade. A la fin du neuvième jour, environ deux mille Navajos - hommes, femmes et enfants - se joignirent à la famille pour chanter la dernière partie du Chant de la Montagne et la cérémonie se termina par une danse religieuse débordante de joie. Le malade se sentit alors guéri. Une enquête entreprise deux ans après établit que le traitement avait parfaitement réussi et qu'il n'y avait pas eu de rechute.

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