Amants du monde entier unissez-vous!

Jacques Dufresne

Frontières de la recherche ou limites des universités?

 

Unisssez-vous contre la Vénus 3D Ottawensis, celle qui donne le ton d'un colloque tenu le 15 novembre 2011 à l'Université d'Ottawa sur un thème, hélas ! sans ambiguïté:Notre futur post-humain. «Rentrez votre indignation cher monsieur! Des Vénus 3D on en voit partout. Des universités qui s'éloignent de l'humain pour se rapprocher du post-humain, cela aussi fait très tendance., très centre d'excellence.» C'est justement la banalité de ces choses qui en fait la gravité. Au même moment, on estime normal d'engendrer des enfants hors de la chair des parents. L'homme machine débarque. Tel un tir d'artillerie avant l'assaut final, depuis des décennies, la science fiction bombarde notre imaginaire d'images et de symboles de la machine, cependant que les biologistes nous rappellent en majorité que nous ne sommes que cela : des machines, des êtres désincarnés, abstraits, aboutissement de trois siècles de formalisme. Certes les robots nous libéreront un jour, ainsi va la rengaine, mais pour que cette libération ait un sens encore faudrait-il que nous ne soyons pas devenus nous-mêmes robots avant d'être libérés par ces alter ego.

Regardez attentivement la Vénus 3D Ottawensis. On a réussi à lui donner un petit air prophétique, elle regarde vers le lointain. Mais notons la différence : La déesse Athéna qui jouait ce rôle dans l'antiquité était une femme. Notons aussi l'évolution : Longtemps avant Rome, Willendorf , Lespugue et Grimaldi eurent leur Vénus, la Grèce archaïque eut ses Korè, le Moyen Age eut ses madones, puis vinrent les femmes plus terrestres de Botticelli, de Rubens, de Bouguereau, de Renoir. Les corps s'amincissant avec les siècles, les femmes de Rubens occupent-elles le juste milieu? Mais de Grimaldi à Modigliani, toutes eurent en commun des formes rondes et une grâce qui les rendaient désirables. Le thème général du colloque était : Les frontières de la recherche. En voici une : La Vénus 3D trace la frontière entre les rapports amoureux ''ennaturés'' et des rapports futurs virtualisés.

«Encore une fois, rentrez votre indignation, cher monsieur, cette Vénus 3D n'est qu'une image utilitaire, insignifiante comme on en voit tous les jours, de plus en plus sur les écrans !» Je vous réponds qu'aucune représentation de l'être humain n'est neutre, innocente ou insignifiante surtout lorsqu'il s'agit d'une femme-robot qui d'un geste de la main indique la voie de l'avenir. Croyez-vous donc qu'un enfant enferme l'image de la Vénus Ottawensis dans les oubliettes de son cerveau?  Cet enfant, on peut encore le protéger contre la pornographie charnelle, mais il demeure sans défense contre la pornographie mécanique, plus insidieusement dégradante.

Comment faut-il entendre le titre de la conférence de l'invitée vedette au colloque, Madame Nadia Magnenat-Thalmann : Les humains virtuels et les robots sociaux : nos partenaires de demain ? Ne s'agit-il pas là d'un colloque universitaire et donc d'un événement où l'on peut sans risques séparer la raison de l'imagination? Il se trouve hélas ! que dans le cas de Mme Thalmann, on a poussé un peu loin le divorce entre ces deux facultés: on nous la présente dans un ascenseur vers les sommets de la science alors qu'elle est de son propre aveu dans un train dont elle ne sait pas où il va. En juin dernier cette femme recevait un doctorat honorifique de la grande université canadienne. «Essayez, disait-elle aux étudiants, de multiplier vos connaissances dans divers domaines et vous serez créatifs par nature. Le plaisir de la contribution est énorme. On se sent comme dans un train en marche qui va continuellement quelque part, on ne sait pas où mais l'essentiel c'est d'être à bord, d'être avec tous ceux et celles qui veulent faire quelque chose. On vit dans un monde 3D qui n'a ni limite géographique, ni schéma d'ensemble, pour lequel chaque découverte ouvre la porte à d'autres découvertes. »

Certes, le mot nature détonne quelque peu dans un laboratoire d'humanité virtuelle, mais on peut y voir une nostalgie rassurante dans un contexte où l'essentiel est d'être à bord d'un train qui va perpétuellement quelque part.

Où va donc la post-humanité ? Dans cette direction.

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