La comète de Halley

Jacques Dufresne
Pendant quelques semaines la comète de Halley aura volé la vedette aux satellites artificiels; le ciel des dieux et du passé aura paru plus intéressant que celui des hommes et de l'avenir.

    Pour moi, la recherche de cet astre aura été l'occasion d'une constatation humiliante: je n'avais jamais vu les étoiles s'allumer une à une dans le ciel, ce ciel dont je connaissais si mal la carte que j'ai d'abord pris la comète pour une grosse étoile, allant même jusqu'à me demander si ce ne pouvait pas être une planète.

    Ce n'était ni une planète, ni une étoile, ni même un astre, c'était un désastre. Le passage d'une comète fut en effet longtemps considéré comme un mauvais présage. Ces étoiles marginales, échevelées, étaient perçues comme de mauvais astres, comme des dés-astres. C'est d'ailleurs là l'étymologie de ce mot. Le mot comète quant à lui vient du grec «comès», qui signifie chevelu.

    Les anciens, les Grecs surtout, ne pouvaient pas, à prime abord, aimer ces corps étrangers, qui troublaient le cosmos, qui introduisaient une note discordante dans l?harmonie des sphères. Au milieu des passions humaines qui se déchaînaient, comme la mer et comme les volcans, la voûte du ciel était apparue à ces anciens, après une observation infiniment patiente, comme la manifestation visible d'un ordre, d'une paix, auxquels l'âme pouvait aspirer. Et voilà que des créatures chevelues, vagabondes, rendaient ce ciel semblable à notre misérable terre!

    C'était suffisant pour faire de ces astres des signes et des causes de malheur. Cela paraissait d'autant plus normal que l'astronomie fut pendant longtemps indissociable de l'astrologie. «La comète, cet astre effrayant qui renverse les puissances de la Terre, montra sa terrible chevelure.» C'est ainsi que le poète latin Lucain résume des siècles de frayeur et de superstition.

    En l'an 66 de notre ère, le passage d'une comète - on sait maintenant que c'était celle de Halley - causa un grand émoi dans l'entourage de Néron. Suivant les conseils de son astrologue, Babillus, cet empereur fit assassiner l'élite de la noblesse romaine pour détourner le mauvais présage. La comète de Halley fut ensuite associée à la mort d'Attila, à la bataille de Hastings, à la menace que les Turcs firent peser sur l'Europe après la prise de Constantinople. Voici le commentaire que ce dernier événement inspira quelques siècles plus tard au grand mathématicien Laplace: « La longue queue que la comète de 1456 traînait avec elle répandit la terreur dans l'Europe déjà consternée par les succès des Turcs qui venaient de renverser le Bas-Empire, et le pape Calixte III ordonna des prières publiques dans lesquelles on conjurait la comète et les Turcs. On était loin de penser dans ces temps d'ignorance que la nature obéit toujours à des lois immuables. »

    La comète de Halley était sans doute plus brillante autrefois, mais elle a beau avoir perdu des cheveux en vieillissant, on a peine à imaginer aujourd'hui qu'une si petite chose dans le vaste ciel ait pu enfiévrer à ce point des peuples entiers. C'est le passage des comètes du rock au hit-parade qui produit aujourd'hui les mêmes effets.

    C'est à la science que nous devons d'avoir été libérés des frayeurs cométaires et des crimes qu'elles suscitaient à l'occasion. Edmund Halley fit d'abord l'hypothèse que la comète de 1682 était la même que celle de 1531 et de 1607 et il a prévu son retour en 1759. Ensuite Newton démontra que les comètes étaient soumises à la loi de la gravitation. Elles rentraient ainsi dans le rang, elles se soumettaient à la loi et à l'ordre de la mécanique céleste.

    La frayeur qu'inspiraient les, comètes était toutefois l'envers d'un phénomène positif dont elle était indissociable: le reste du ciel produisait dans l'âme des hommes-enfants un émerveillement, un enchantement au moins aussi intense. Comme en fait foi notamment la légende de l'étoile des Rois mages.

    L'astronome Ptolémée a fortement contribué à accréditer les superstitions concernant les comètes. Mais il nous a aussi laissé ce poème, que je n'hésite pas à citer une deuxième fois dans ces pages, tant j'aime la traduction qu'en a donnée Marguerite Yourcenar dans La couronne et la Lyre:

    « Moi qui passe et qui meurs,
    je vous contemple étoiles;
    La terre n'étreint plus
    l'enfant qu'elle a porté.
    Debout, tout près des dieux,
    dans la nuit aux cent voiles,
    Je m'associe, infime, à
    cette immensité,
    Je goûte en vous voyant
    ma part d'éternité. »

    Le monde ne s'est-il pas désenchanté en perdant son effrayant mystère? Plusieurs le pensent. Mais Ptolémée poète a de nombreux émules parmi les savants contemporains. Hubert Reeves en est un. Et le prodigieux engouement provoqué partout dans le monde par la comète de Halley ne s'explique sûrement pas uniquement par une froide volonté de calculer la date de son prochain retour avec plus de précision.

Autres articles associés à ce dossier

À lire également du même auteur

Résurrection de la convivialité
Ivan Illich annonçait dès les années 1970 une révolution, litt&eacu

Mourir, la rencontre d'une vie
Si la mort était la grande rencontre d’une vie, que gagnerait-elle, que perdrait-elle &

Bruyère André
Alors qu'au Québec les questions fusent de partout sur les coûts astronomiques li&e

Noël ou le déconfinement de l'âme
Que Noël, fête de la naissance du Christ, Dieu incarné, Verbe fait chair, soit aus

De Desmarais en Sirois
Démocratie ou ploutocratie, gouvernement par le peuple ou par l'argent? La question se po

Le retour des classiques dans les classes du Québec
Le choix des classiques nous met devant deux grands défis : exclure l’idéal




Articles récents