Propos sur Monet
Un revirement s'est heureusement produit chez cet artiste; il paraît s'être décidé à ne plus peinturlurer, au petit bonheur, des tas de toiles; il me semble s'être recueilli, et bien il a fait, car il nous a servi, cette fois, de très beaux et de très complets paysages. Ses glaçons sous un ciel roux sont d'une mélancolie intense et ses études de mer avec les lames qui se brisent sur les falaises sont les marines les plus vraies que je connaisse. Ajoutez à ces toiles des paysages de terre, des vues de Vétheuil, et un champ de coquelicots flambant sous un ciel pâle, d'une admirable couleur. Certes, le peintre qui a brossé ces tableaux est un grand paysagiste dont l'œil, maintenant guéri, saisit avec une surprenante fidélité tous les phénomènes de la lumière. Comme est vraie la poussière de ses vagues fouettées par un coup de jour, comme ses rivières coulent, diaprées par les fourmillantes couleurs des choses qu'elles réverbèrent, comme dans ses toiles le petit souffle froid de l'eau monte dans les feuillages et passe dans les pointes d'herbes !
M. Monet est le mariniste par excellence ! Pour ses œuvres comme pour celles de M. Pissarro, l'époque de la floraison est venue. Nous sommes loin maintenant de ses anciens tableaux où l'élément liquide semblait en verre filé de striures de vermillon et de bleu de Prusse; nous sommes loin aussi de sa fausse Japonaise, exposée en 1876, une déguisée de mardi-gras, entourée d'écrans, et dont la robe était si martelée de rouge qu'elle ressemblait à une maçonnerie de cinabre. C'est avec joie que je puis faire maintenant l'éloge de M. Monet, car c'est à ses efforts et à ceux de ses confrères impressionnistes du paysage qu'est surtout due la rédemption de la peinture; plus heureux et mieux doués que le pauvre Chintreuil qui fut un oseur à son époque et qui est mort à la peine, sans être parvenu à exprimer ces effets ensoleillés et pluvieux qu'il s'acharnait si désespérément à rendre, Mm. Pissarro et Monet sont enfin sortis victorieux de la terrible lutte. L'on peut dire que les problèmes si ardus de la lumière, dans la peinture, se sont enfin débrouillés sur leurs toiles. »