Histoire des peintres impressionnistes: Renoir
Renoir (Pierre-Auguste) est né à Limoges, le 25 février 1841. Il avait trois ou quatre ans lorsqu'il fut emmené à Paris par son père, petit tailleur qui, pensant y faire fortune, venait y résider. Le tailleur ne trouva pas à Paris la fortune entrevue, il y vécut péniblement et, comme il était chargé de cinq enfants, chacun d'eux dut se mettre à travailler. Auguste adopta le métier de peintre sur porcelaine, à l'instigation de son père qui, à Limoges, l'avait vu pratiquer. De treize à dix-huit ans, il fut donc ouvrier peintre sur porcelaine. Toute son ambition se bornait alors à prétendre entrer à la manufacture de Sèvres, pour y exercer son métier de peintre sur porcelaine.
Il fut subitement détourné de cette perspective. La décoration de la porcelaine industrielle avait été demandée de tout temps au travail manuel d'ouvriers, lorsqu'une invention la fit exécuter par une machine. Du coup les ouvriers peintres sur porcelaine durent se chercher un autre métier. Renoir, après un certain temps de chômage, découvrit un nouveau filon à exploiter, celui de la peinture de stores. Il avait acquis à cette époque une grande dextérité de main et, avec ses facultés natives maintenant développées, il put s'appliquer avec une telle supériorité à son nouveau travail, qu'après trois ou quatre ans, il se trouva des économies suffisantes pour pouvoir l'abandonner et satisfaire les ambitions de l'artiste alors apparues, en entrant dans l'atelier d'un peintre en renom, de Gleyre. Ce fut là, en 1861-1862, qu'il rencontra d'abord Sisley et Bazille, puis Claude Monet et qu'il se lia d'amitié avec eux.
Il envoie, pour la première fois, au Salon de 1864, un tableau qui est reçu. Conçu dans la donnée romantique, il représentait Esmeralda, l'héroïne de Victor Hugo, dansant la nuit sur la place de Grève, avec les tours de Notre-Dame dans le fond. Renoir détruisit cette œuvre, lorsqu'il se mit à peindre en se rapprochant de la nature. Cette heureuse transformation se produit dès 1865, où il envoie au Salon deux toiles reçues, peintes d'après nature : Le portrait de Mlle W.-S. et Une Soirée d'été.
Il n'apparaît pas aux Salons de 1866 et de 1867. Il y avait probablement envoyé des tableaux, qui auront été refusés. Il envoie au Salon de i868, Lise, qui est reçue, une jeune fille en pied de grandeur naturelle, vêtue d'une robe blanche, une ombrelle à la main. Cette œuvre marquait un pas en avant, elle avait été peinte en plein air, dans la forêt de Fontainebleau. La jeune fille, le terrain autour d'elle, et un tronc d'arbre par derrière reçoivent les plaques de lumière et les reflets, que le soleil fait descendre à travers le feuillage. Les caractères de la peinture de plein air sont là maintenant bien établis, mais en même temps s'y révèlent encore des traits dus à Courbet, au maître qui influençait alors les jeunes artistes portés vers l'observation directe de la nature. Renoir faisait recevoir, au Salon de 1869, En été, où la même Lise de l'année précédente lui avait servi de modèle. Elle était montrée à mi-corps, les bras nus, les mains croisées sur les genoux, sa chevelure dénouée sur les épaules. Le tableau avait encore été peint en plein air et, derrière la jeune fille, le feuillage d'un vert très vif était pénétré par les rayons du soleil. C'était un nouveau pas fait dans la voie de la peinture colorée et lumineuse, en plein air. En 1870, Renoir met au Salon deux tableaux, Baigneuse et Une Femme d'Alger. La baigneuse était un morceau très ferme, une femme nue, de grandeur naturelle, en pied, vue de face. La Femme d'Alger aussi e grandeur naturelle, étendue sur un canapé, n'offrait d algérien que le nom. Un modèle parisien, vêtu d'un costume oriental de fantaisie, l'avait donnée.
L'année 1871 ne voit pas de Salon, par suite de la guerre étrangère et de la guerre civile, qui sont venues interrompre la vie normale. Les Salons reprennent en 1872. Renoir envoie à celui de cette année un tableau de grande dimension qui est refusé. Il montrait, sous le titre de Parisiennes habillées en Algériennes, un groupe de femmes dans un intérieur, vêtues de costumes orientaux de fantaisie. Toutes les parties étaient pleines de tons et de reflets, les ombres elles-mêmes étaient colorées. En 1873, Renoir envoie au Salon deux tableaux, l'Allée cavalière au Bois de Boulogne et un portrait. Ils sont aussi refusés. On est étonné aujourd'hui que l'Allée cavalière ait jamais pu être condamnée par un jury de peinture. Une amazone, à leu près de grandeur naturelle, sur un cheval et à côté d'elle un jeune garçon, sur un poney, viennent vers le spectateur, le cheval de l'amazone au trot, le poney au galop. On est là, en présence d'une œuvre de belle allure, où l'auteur atteint la grande force d'exécution. Il est présumable que c'est le coloris, alors déconcertant par sa nouveauté, où apparaissent les reflets et les variations de tons propres à Renoir et à l'impressionnisme, qui aura fait repousser l'œuvre.
La difficulté grandissante de se faire recevoir aux Salons, avec les particularités de sa manière maintenant développées, amène Renoir à se joindre à ses amis Monet et Sisley, pour montrer ses œuvres hors des Salons dans des expositions particulières. Il prend part avec eux à la première exposition chez Nadar, en 1874, sur le boulevard des Capucines. Il y met cinq tableaux à l'huile et un pastel, parmi lesquels deux œuvres que l'on peut dire de ses meilleures : la Danseuse et la Loge. La Danseuse est une toute jeune fille debout, de grandeur naturelle, avec un jupon de tulle bouffant. La Loge représente une femme assise au théâtre et près d'elle un jeune homme en habit et cravate blanche. Tout le monde admire ces œuvres aujourd'hui, mais elles ne furent remarquées en 1874, que pour exciter les railleries.
Renoir, en 1876, mettait à la seconde exposition des Impressionnistes dix-huit œuvres variées. C'étaient les années où les Impressionnistes, pris d'une mutuelle émulation, atteignaient la plénitude de leur originalité. Renoir comme les autres a donc été en accentuant sa manière d'exposition en exposition et à celle de 1877, rue Le Peletier, ses envois le montraient sous un aspect tout à fait particulier. Les principaux étaient La Balançoire et le Bal à Montmartre, ou Le Moulin de la galette, qui, comme faisant partie de la collection Caillebotte, sont entrés au Musée du Luxembourg, puis au Musée du Louvre.
Au Salon de 1868, il avait montré, pour la première fois, une figure sous le feuillage traversé par des rayons lumineux. La Balançoire et le Bal à Montmartre, exposés rue Le Peletier, en 1877, répétaient cette disposition. On avait des personnages en plein air, sous le feuillage, éclairé par le soleil, avec des taches de lumière répandues sur eux et sur le sol. Mais dans l'intervalle de 1868 à 1877 Renoir, par sa persistance à travailler en plein air, est arrivé à serrer de plus en plus près les jeux de la lumière et les colorations naturelles, et en effet son feuillage éclairé apparaissait maintenant coloré, d'une tout autre façon qu'en 1868. Son feuillage de 1868 avait été de ce vert clair, adopté comme note permanente par les paysagistes jusqu'alors, et ses taches lumineuses avaient été de cette sorte de jaune, uniformément employé pour représenter les parties éclairées directement par le soleil, en opposition avec les parties dans l'ombre. Mais maintenant les Impressionnistes Pissarro, Monet, Sisley, Renoir ont reconnu, en commun, que les colorations de la lumière et de l'ombre en plein air ne sont jamais semblables, qu'elles varient selon les heures, les saisons et les circonstances atmosphériques. D'après ces observations, cherchant à être aussi vrais que possible, ils étaient arrivés à rendre les éclats de la lumière et les ombres en toute occasion diversement colorés.
On avait vu Pissarro et Monet peindre des effets de neige et de givre au soleil, où les ombres portées avaient pris des tons bleus. Sisley avait peint des terrains ensoleillés, rose-lilas. Dans cette même voie, Renoir venait maintenant donner une teinte générale violette aux personnages et aux terrains de sa Balançoire et de son Bal à Montmartre, placés sous le feuillage éclairé par le soleil. Depuis on s'est tellement familiarisé avec les ombres colorées, les tons violets en particulier sont revenus si souvent, qu'ils passent sans exciter de remarque, mais en 1877, ils apparaissaient comme une innovation monstrueuse. On se maintenait alors dans la conception traditionnelle, qui faisait considérer l'ombre et la lumière comme des oppositions fixes, l'ombre apparaissait toujours sur les toiles semblable à elle-même, épaisse ou légère, mais uniformément en noirceur. Renoir étendant un ton général violet, qui fût de l'ombre, faisait donc l'effet d'un ignorant, d'un contempteur des règles. Il contribuait ainsi, par son apport d'originalité, au débordement de mépris, d'injures, de risées qui accueillaient les Impressionnistes à leur exposition. Il en avait par là même sa part et, comme conséquence, il éprouvait les pires difficultés à vendre ses œuvres, de manière à pouvoir vivre.
Il avait à ses débuts connu le manque d'argent et subi l'extrême gêne, il n'en était jamais réellement sorti et il se voyait, après ses expositions avec les Impressionnistes, dans un plus grand embarras que jamais. Il avait cherché à se procurer des ressources, par la vente de ses toiles aux enchères. Il se joignait donc à Claude Monet, à Sisley, à Berthe Morisot, en mars 1875, pour faire une première vente publique à l'Hôtel Drouot et en mai 1877 à Pissarro, Sisley, Caillebotte pour en faire une seconde. Les prix obtenus avaient été dérisoires. Les vingt toiles mises à la vente de 1875 ne produisaient que 2.150 francs. Il s'en trouvait dans le nombre d'importantes et des meilleures, telles que Avant le bain, une jeune femme, le buste nu, les bras levés, dénouant sa chevelure, dont le prix ne dépassait pas 140 francs. Une vue du Pont-Veuf montait par extraordinaire à 300 francs. A la vente de 1877, après l'exposition de la rue Le Peletier, Renoir n'obtenait pas meilleur succès : seize toiles ne produisaient toutes ensemble que 2.000 francs.
Renoir portraitiste
Renoir après l'insuccès de ces deux ventes publiques renonçait à en essayer de nouvelles. Dans l'état de mépris où la condamnation prononcée contre ses œuvres les avait fait tomber, il ne pouvait d'ailleurs parvenir à les vendre convenablement. La question d'obtenir de son travail une rémunération, qui lui permît de vivre, était donc devenue angoissante. Il va la résoudre, en s'adonnant tout particulièrement à la peinture de portrait. Il la pratiquait déjà — il avait entre autres peint les portraits de ses camarades Monet et Sisley —. Il va maintenant la développer, en peignant des portraits qui seront des œuvres importantes par les dimensions et les arrangements, et il obtiendra dans cette voie un appui suffisant, de la part de gens éclairés et de gens riches, pour se tirer de l'extrême gêne où il avait jusqu'alors vécu.
M. Choquet fut le premier à demander à Renoir des portraits. C'était un homme d'un goût sûr. Il avait d'abord, dans sa jeunesse, admiré Delacroix, puis à la première vue des Impressionnistes, il avait su reconnaître en eux de grands artistes. Il se liait particulièrement d'amitié avec Renoir et Cézanne. Il faisait exécuter à Renoir deux portraits de lui, des têtes, trois portraits de sa femme, dans des poses diverses et un petit portrait, d'après une photographie, d'une fille qu'il avait perdue. La plupart étaient montrés à l'exposition de 1876. Mais M. Choquet, ne jouissant alors que d'une modeste aisance, n'avait pu demander que des œuvres de dimensions restreintes. Renoir allait maintenant trouver des gens riches, qui lui feraient exécuter des portraits qui seraient de grands tableaux.
Parmi les hommes d'un goût éclairé qui, en contradiction avec le public, avaient su d'abord comprendre l'art neuf des Impressionnistes se trouvait l'éditeur Charpentier. Il faisait peindre à Renoir un premier portrait de sa femme, une tête, envoyé à l'exposition de la rue Le Peletier en 1877'. Ce portrait avait été jugé excellent, dans le petit cercle où l'on savait apprécier les Impressionnistes. M. et Mme Charpentier, encouragés par ce succès, demandent par surcroît à Renoir une œuvre des plus importantes. Mme Charpentier sera peinte de grandeur naturelle, dans un arrangement avec ses enfants. Le tableau, tel qu'il existez, la montre en effet vêtue d'une robe noire, assise sur un sofa ; à côté d'elle, sur le parquet, sont ses deux fillettes, jouant avec un gros chien. Tout l'ensemble est coloré, les lambris du fond, le tapis du parquet, les vêtements multicolores de la mère et des enfants, le poil noir et blanc du gros chien, forment un assemblage de tons tranchés, tous en valeur et en même temps tenus dans une grande harmonie et une parfaite justesse.
Lorsque cette maîtresse œuvre eut été peinte, la question se posa de la montrer au Salon, où elle serait vue par l'élite et par la foule. Mais se présenter au Salon et prétendre s'y faire recevoir, après les refus naguère subis et la réputation d'artiste dévoyé acquise aux expositions des Impressionnistes, eût indiqué de la part de Renoir, laissé à lui-même, une grande présomption. Heureusement, il allait trouver de l'appui. Mme Charpentier, qui avait un salon où fréquentait le Tout Paris littéraire et artistique et jouissait en conséquence d'une grande influence, allait se mettre en campagne. En même temps que le portrait de Mme Charpentier, Renoir présentait à l'examen du jury le portrait en pied, aussi de grandeur naturelle, de Mlle Jeanne Samary, une sociétaire de la Comédie-Française, favorite du public. Refuser les portraits de femmes aussi en vue que Mme Charpentier et Mlle Samary devint impossible, après les démarches répétées, faites auprès des membres du jury par Mme Charpentier et les personnes qu'elle fit agir. Les deux portraits furent donc reçus et même, au Salon, exposés fort en vue, sur la cimaise. Renoir, le refusé des Salons de 1872 et de 1873, le peintre honni et conspué aux expositions des Impressionnistes, rentrait ainsi avantageusement au Salon de 1879.
En cette même année, il fut appelé à faire un premier portrait par des gens du monde riches, M. et Mme Bérard, avec lesquels il allait se lier d'amitié. M. et Mme Bérard ne prétendaient point être des connaisseurs en peinture — par bonheur pour Renoir car, au cas contraire, ils n'eussent probablement vu en lui qu'un artiste dévoyé, comme le faisaient en masse les gens du monde — ils demeuraient sans opinion sur les mérites ou les démérites de l'impressionnisme, dans un état d'esprit tranquille. M. Deudon, un de leurs amis, avait acheté la Danseuse de Renoir. Il la leur avait montrée comme une œuvre pleine de charme, et les avait sollicités de faire exécuter, par son auteur, le portrait d'une de leurs filles. Les Bérard avaient en effet trouvé de l'agrément à la danseuse et, après des hésitations fort naturelles, puisqu'il s'agissait d'un artiste alors absolument décrié, ils se décidaient à demander à Renoir le portrait de leur fille aînée, Marthe. Renoir s'arrêta à une pose simple, d'un coloris sobre, de manière à ne pas effaroucher. Il peignit la jeune fille debout, sur fond neutre, les mains croisées devant elle, vêtue d'une courte robe noire, avec une ceinture bleue, collerette et manchettes de dentelle. Cette œuvre était très réussie et les Bérard furent enchantés de la grâce qu'ils trouvaient à leur fille sur la toile. Ils avaient su en même temps apprécier la bonne humeur et l'esprit avisé du peintre. Ils en font donc un ami. Ils vont l'avoir chez eux en ville et à la campagne et lui feront peindre tout un ensemble de portraits.
Renoir, qui avait commencé par une œuvre très sobre, après deux ou trois autres semblables, se sentant en pied dans la maison, devait se permettre des arrangements de toute sorte et atteindre l'extrême hardiesse du coloris. Il faisait ainsi successivement dix portraits. Quand on sait ce que valent les portraits de certains peintres en renom, l'idée d'en trouver dix de l'un d'eux dans un même lieu serait suffisante pour le faire éviter. Mais les portraits de Renoir rendaient l'intérieur des Bérard délicieux. On pouvait reconnaître là comment un véritable artiste, un peintre inventeur est apte à obtenir, sur un thème donné, de réelles œuvres d'art variées à l'infini.
Il a peint une tête de Mme Bérard, où passe sur les traits une sorte de sourire de bonté, de charme et de distinction, puis une tête de la plus jeune fille, la petite Lucie, avec les cheveux ébouriffés et l'expression effarouchée de l'enfance. Il a peint, en plein air, sur la plage de Berneval la jeune Marguerite en pied, en costume de bain, donnant à l'ensemble la fameuse tonalité violette qui lui est propre. Il a remis ses tons violets comme fond, dans un portrait du fils Paul, vêtu d'un « complet» bleu. Il a réuni toutes les têtes des enfants, quelques-unes répétées deux fois, sur une même toile et a fait de cet ensemble très clair, une sorte de salade pleine de vie. Enfin comme couronnement, il a groupé sur une grande toile les trois sœurs, Marthe, Marguerite et Lucie. Elles sont là sans ombre, dans ce que l'on pourrait appeler la crudité de la pleine lumière. L'aînée, vue de profil, coud, assise sur une chaise, vêtue d'une robe grenat, les deux autres, en costume beige, sont l'une debout, l'autre étendue sur un canapé, un livre ouvert devant elle. Cette œuvre est exécutée dans une gamme de tons audacieuse qu'il n'a jamais dépassée. Elle est à placer, comme importance et comme réussite, à côté du portrait de Mme Charpentier et de ses filles.
Renoir, reçu au Salon, continuait à s'y montrer après 1879, pendant plusieurs années. En 188o, il y mettait les Pêcheuses de moules et une jeune Fille endormie. Les Pêcheuses de moules, la principale debout, une hotte dans le dos, ont été peintes sur la plage de Berneval, un village de bains de mer près de Dieppe, à côté de Vargemont, la propriété des Bérard, où Renoir séjournait à maintes reprises. Il peignait donc, tant à Berneval qu'à Vargemont, de nombreuses œuvres. En 1881, il mettait au Salon deux portraits de jeunes femmes, en 1882 un seulement et en 1883 un encore.
Renoir envoyant aux Salons avait momentanément délaissé ses amis les Impressionnistes, il manquait à leurs expositions de 1879, de 1880 et de 1881. Mais il se remettait avec eux à celle de 1882, tenue au no 251 de la rue Saint-Honoré, dans le salon du panorama de Reichshoffen, sur l'emplacement autrefois occupé par le Nouveau-Cirque. Il n'y envoyait pas moins de 25 toiles. Plusieurs peintes à Bougival et à Chatou étaient consacrées aux plaisirs des canotiers. A cette époque — 1880, 1882 — où la bicyclette n'était pas encore connue, le canotage formait l'exercice préféré de la jeunesse parisienne. Il donnait aux bords de la Seine, près de Paris, une animation qu'ils ont aujourd'hui perdue. La principale des toiles suggérées par le canotage, Le Déjeuner des Canotiers, compte même dans l'œuvre de Renoir, comme une des plus importantes qu'il ait peintes, par ses dimensions et les traits saillants, qui s'y rencontrent, de la peinture en plein air. Les canotiers et leurs compagnes se voient assemblés après déjeuner, autour d'une table, sous une tente. La Seine et ses bords boisés, éclairés par le soleil, forment un fond lumineux au tableau et en augmentent l'éclat général.
En 1883, M. Durand-Ruel avait loué temporairement le premier étage d'une maison en réparation, au no 9 du boulevard de la Madeleine. Il y faisait, de mars à juin, des expositions dont chacune était consacrée exclusivement à un peintre impressionniste. Renoir, du 1er au 25 avril, pouvait exposer ainsi un ensemble de 70 œuvres anciennes déjà vues, ou récentes, montrées pour la première fois. Parmi ces dernières se trouvaient deux toiles particulièrement réussies, Danseurs Bougival et Danseurs Paris, la valse sous deux aspects différents. À Bougival un canotier en « complet » bleu et une jeune femme en robe de campagne, à Paris un jeune homme en habit noir et cravate blanche et une partenaire en costume de soirée.
Aux expositions de 1882 et de 1883, rue Saint-Honoré, et sur le Boulevard, Renoir avait mis des vues de Venise, de Naples, d'Alger et des toiles dénommées Femme assise Alger, Négresse Alger. Il ne s'agissait plus maintenant, comme avec la Femme d'Alger du Salon de 1870, de types de fantaisie, arrangés à Paris, mais de véritables Algériennes, peintes en Afrique. Renoir avait rapporté de nombreuses toiles d'un voyage en Italie et en Algérie. Il avait, dans l'hiver de 1881-1882, visité Venise où il peignait, Rome où il se contentait de regarder, Naples et Palerme où il peignait de nouveau. En revenant à Marseille l'hiver, il fut pris d'un refroidissement et, le médecin lui interdisant de rentrer à Paris, il alla passer le printemps de 1882 à Alger. Il y peignit des tableaux, où est porté à sa dernière accentuation le rendu du ciel, de la mer et de la végétation, éclairés par l'ardent soleil d'Afrique.
A l'exposition du boulevard de la Madeleine figurait aussi un portrait de Richard Wagner, peint dans des circonstances assez particulières. Renoir venu à Naples apprit que Wagner passait l'hiver à Palerme. Renoir était un enthousiaste de la musique de Wagner, qu'il avait entendue, dès les premiers moments où on avait commencé à la jouer à Paris. Il partit pour Palerme, un peu avec le désir de voir la Sicile, mais surtout avec celui de peindre un portrait de Wagner. Il s'était muni de lettres de recommandation, qu'il perdit en route et ne put produire. Il entra en relations, dans son embarras, avec M. de Joukowskv, un admirateur passionné de Wagner, qui le suivait partout et qui se trouvait naturellement auprès de lui à Palerme. Renoir, présenté par M. de Joukowskv à Wagner, lui raconta comment il avait d'abord entendu sa musique dans des cénacles à Paris, où figuraient de ses amis français de la première heure, dont il lui cita les noms. Wagner se montra sur cela fort cordial.
Il consentit à poser devant lui, quoiqu'il ne l'eût encore fait, dit-il, pour aucun peintre, il n'avait jamais posé que devant des photographes. Renoir ne sut point s'il fut réellement le seul peintre, en faveur de qui Wagner ait fait une exception. Il sut seulement que Wagner le lui a déclaré. Wagner se tint assis un peu plus d'une demi-heure. Dans ce court espace de temps, Renoir enleva une tête pleine de caractère, que l'on sent d'une grande ressemblance. La demi-heure passée, Wagner se trouvait fatigué, il devenait cramoisi. Renoir prit donc congé. Le but de son voyage à Palerme était atteint. Il emportait le portrait qu'il était venu pour peindre.
Renoir qui avait cessé d'exposer aux Salons après 1883 se reprenait exceptionnellement à envoyer, une dernière fois, à celui de 18go. Il y mettait une grande toile, très colorée et lumineuse, donnant les portraits des trois filles de Catulle Mendès. L'aînée y est représentée assise au piano, la cadette debout près d'elle, un violon sous le bras, l'archet à la main, et la plus jeune appuyée des deux mains sur le piano.
Le peintre Caillebotte mourait encore jeune en 1894. Il instituait Renoir, avec lequel il avait été très lié, son exécuteur testamentaire. Renoir allait avoir de ce fait toute une action à poursuivre auprès de l'Etat. Caillebotte s'était joint aux Impressionnistes à leur seconde exposition, en 1876. Il s'y était produit avec ses Raboteurs de Parquet, des œuvres exécutées à l'atelier, de tons sobres, par conséquent ne laissant point voir ces traits marqués, que la pratique de peindre en plein air avait amenés chez les Impressionnistes. Caillebotte, après ce début, liant définitivement son sort au leur, devait se mettre comme eux à peindre en plein air, devant la nature. Mais tout en développant à son tour la gamme des tons clairs, il le faisait sans ajouter un apport particulier à ce que les premiers partis avaient trouvé. Il devait peindre le paysage, en s'inspirant surtout de Claude Monet. Quand il se joignait aux Impressionnistes le grand effort était fait, la formule de l'art nouveau était établie et quoique ses œuvres soient dignes d'une place au milieu des autres, elles ne sauraient cependant être tenues qu'au second plan.
Caillebotte était riche. Il avait formé une importante collection d'œuvres de Manet, de Degas, de Pissarro, de Claude Monet, de Sisley, de Renoir, de Cézanne qu'il léguait, par testament, à l'Etat, pour être placée au Musée du Luxembourg. Quelques années auparavant l'offre faite au Musée de l'Olympia de Manet avait soulevé de telles colères, vu naître une telle résistance avant d'être acceptée, que le legs survenant maintenant, en addition, de tout un ensemble d'œuvres de Manet et des Impressionnistes susciterait sûrement une grande hostilité et courait même le risque d'être refusé. Renoir devait donc se livrer à un long travail, de concert avec les héritiers de Caillebotte, auprès des représentants de l'Etat, pour faire accepter les tableaux légués.
Une opposition très forte contre l'entrée au Luxembourg d'une collection entière d'Impressionnistes se manifesta, en effet, dans certains milieux artistiques. Cependant ceux qui s'y laissaient aller n'osèrent poursuivre ouvertement le rejet du legs. Ils prirent une voie détournée pour atteindre leurs fins. Ils essayèrent d'abord d'empêcher que les conditions mises à sa générosité par le testateur ne fussent remplies, puis, déjoués sur ce point, s'efforcèrent d'obtenir, comme pis aller, qu'on n'acceptât qu'une partie de la collection, réduite le plus possible. Le testateur demandait que tous ses tableaux entrassent au Luxembourg, sans exception. Il ne s'était point inquiété de l'exiguïté du Musée. Arguant du manque de place, l'Administration des Beaux-Arts déclara qu'elle n'accepterait les tableaux, qu'à la condition d'être laissée libre de choisir dans l'ensemble les meilleurs, pour les placer au Musée, en nombre proportionné à l'espace disponible. Les autres seraient envoyés aux Palais de Compiègne et de Fontainebleau. Renoir et les héritiers de Caillebotte repoussèrent cette proposition. Ils craignaient que, s'ils laissaient pleine liberté à l'Etat, très peu de tableaux n'entrassent au Luxembourg, pendant que le plus grand nombre serait envoyé à Compiègne et à Fontainebleau, relégué ainsi au loin, ce que le testateur avait voulu éviter.
Après pourparlers, Renoir et les héritiers consentirent à une transaction. L'Etat ferait un choix, mais en s'engageant à mettre au Luxembourg tous les tableaux choisis et en outre à comprendre indistinctement, dans le choix, des œuvres de tous les peintres représentés dans la collection. C'était fine manière de respecter, au moins en esprit, la volonté du testateur qui s'était surtout proposé, en stipulant l'entrée de la collection entière au Luxembourg, d'y faire pénétrer les peintres ses amis sans préférence, de manière à ce qu'aucun ne demeurât au dehors. Mais ce point ne fut admis par les représentants de l'Etat qu'avec difficulté, car il s'agissait surtout de Cézanne, qui excitait une véritable horreur, si bien qu'alors qu'on se résignait à prendre des œuvres de tous les autres, on pensait délibérément à écarter les siennes. Cependant Renoir et les héritiers de Caillebotte furent inflexibles et les représentants de l'Etat durent céder sur ce point, c'est-à-dire accepter des tableaux de Cézanne, avec ceux des autres.
Après accord, on choisit, pour le Luxembourg, deux Manet sur trois, huit Claude Monet sur seize, six Sisley sur neuf, sept Pissarro sur dix-huit, tous les Degas au nombre de sept, de petites dimensions, deux Cézanne sur quatre. Renoir était représenté dans la collection par huit tableaux, on en prit six. Parmi se trouvaient de ses œuvres les meilleures, son Bal à Montmartre et sa Balançoire de l'exposition de 1877, rue Le Peletier, qui avaient apporté cette tonalité imprévue des ombres violettes, en plein air. Renoir s'était employé avec dévouement à faire exécuter les dernières volontés de son ami Caillebotte. Le Musée du Luxembourg s'ouvrait aux Impressionnistes, ce qui était un notable avantage pour des artistes jusqu'alors méprisés par le public et honnis dans les sphères officielles. Et en consacrant ses efforts au bien des autres, il avait heureusement travaillé pour lui, car il prenait place au Musée, avec des tableaux qui le montraient sous un aspect très personnel et très caractéristique.
Renoir a surtout été un peintre de figures, mais, porté comme tous les Impressionnistes à travailler en plein air devant la nature, il s'est aussi adonné au paysage. Ses tableaux de cette sorte sont peints dans une gamme colorée et lumineuse, ils offrent un aspect décoratif, en prenant le mot dans un sens élevé ; la nature s'y laisse voir sous des traits ornés.
En considérant l'ensemble de son œuvre, on reconnaît qu'il a surtout été le peintre de la femme. Il l'a pénétrée d'une sensualité d'ordre délicat. Il a tout le temps peint des nus d'un charme voluptueux, aux contours souples, où s'est manifestée toute sa personnalité. A un certain moment, au milieu de sa carrière, il a cherché à préciser la forme de ses nus, à y introduire la fermeté des contours. Il regarde alors vers Ingres. Mais cette recherche, dans le nu, de la ligne précise n'apparaît chez lui que transitoire. Il est vite revenu, pour ne plus l'abandonner, à la forme souple, voluptueuse et enveloppée, qui est sa manière naturelle de sentir et de s'exprimer.
Il se dégage de son œuvre un type féminin fort original que l'on voit apparaître dès le début. C'est celui de la jeune Parisienne, allant de la bourgeoise à l'ouvrière, de la midinette à la fille qui danse au bal Montmartre, une petite personne svelte, pimpante, habillée gentiment, rieuse, ingénue. A cette Parisienne des XIXe et XXe siècles, Renoir a donné une grâce et un agrément, auxquels on peut trouver de la ressemblance avec ceux dont les peintres du XVIIIe siècle ont empreints un tout autre monde et une tout autre classe de femme.
Renoir s'est marié et a eu trois enfants. Son fils aîné Pierre, après des études régulières au Conservatoire, entré au théâtre, s'est fait une place distinguée parmi les acteurs parisiens.
Renoir avec le temps est d'abord arrivé à l'aisance, puis à la fortune. L'âge venu, il a été pris de rhumatismes, qui l'ont contraint d'abandonner Paris l'hiver. Il est alors allé s'établir à Cagnes, près de Nice, où il a acheté une campagne. Il s'y est construit une maison au milieu de jardins et y a joui du plaisir de voir fleurir ses orangers et mûrir ses olives.
Depuis qu'il s'est établi à Cagnes, sur la Méditerranée, où la douceur du climat lui permet de travailler en plein air, il s'est remis à peindre le paysage, auquel il s'était autrefois adonné. Ses paysages, survenus ainsi dans de nouvelles conditions, offrent des traits qui les différencient de ses œuvres antérieures du même ordre. Il y a surtout introduit les oliviers, que lui présentaient son jardin et les terres voisines et, tout en restant fidèle à la réalité, a su leur donner une allure, qui en fait des arbres de noblesse et de dignité.
Comme devant lui, dans un groupe d'amis, on faisait justement la -remarque que ses paysages du Midi, avec les oliviers, donnaient bien des campagnes ayant un aspect différent de celui du Nord, ce que tant de peintres venus du Nord allant travailler dans le Midi ne savent faire, je l'ai entendu dire : « Ah ! le Midi, ce n'est pas tout d'y aller pour le peindre, il faut pouvoir le pénétrer. Et j'ai dû mettre du temps et m'appliquer, pour bien saisir les oliviers et les donner avec leur juste physionomie.» On peut recommander à l'attention des jeunes gens, cette réflexion d'un artiste, parvenu à la grande renommée et en pleine possession de ses moyens, qui déclare que ce n'est toujours que par un travail soutenu et une étude suivie, qu'il lui est possible de saisir quelque aspect nouveau de la nature.
Renoir, d'humeur sociable, de caractère bienveillant et d'habitudes simples, prenait la vie par le bon côté, aussi était-il d'un commerce facile et agréable. Lorsqu'il parlait de son art, il le faisait, on peut dire, avec bonhomie. Pour lui, peindre était la mise en exercice d'une faculté naturelle. Les considérations esthétiques d'ordre abstrait lui sont toujours demeurées étrangères. Il peignait par besoin de peindre, pour se satisfaire, pour se délecter, tout le reste était secondaire. Sa vision et une partie de sa force nerveuse conservées lui ont permis de peindre assidûment, jusqu'à la fin. Il a pu ainsi se consoler des infirmités amenées par la vieillesse et de la façon de vivre sédentaire qui en avait été la suite.
Renoir, établi l'hiver dans sa campagne de Cagnes, n'a cessé de venir l'été à Paris. Il a même pu entreprendre une dernière fois, en 1910, un lointain voyage. Il est allé à Munich visiter des amis et a peint, à cette occasion, le portrait de la maîtresse de la maison, Mme Thurneyssen, et de son fils. Il a continué à peindre avec assiduité à Cagnes, à Nice et à Paris. Il a peint, à Nice, en 1912, un grand portrait de Mme de Galéa. Elle est étendue sur un sofa, vêtue d'une robe diaprée, avec une tapisserie éclatante sur la muraille, comme fond. Cette œuvre, par son importance, est à mettre à côté des grands portraits de Mme Charpentier et de ses filles et des demoiselles Bérard.
Il a peint, à Paris, au milieu d'œuvres variées, le portrait de Mlle Paul Cassirer, qui est, à Berlin, une actrice renommée. Son mari, le grand marchand et promoteur en Allemagne des œuvres des Impressionnistes français, l'avait amenée à Paris pour avoir son portrait par Renoir. C'était une heureuse inspiration, car Renoir a fait d'elle un portrait, qui est une véritable œuvre de maître. Tout en conservant au modèle son type caractéristique de femme allemande, il a su l'envelopper d'un charme caressant, d'une grâce voluptueuse, qu'aucun peintre allemand n'aurait pu lui donner. Ce portrait s'achevait, en 1914, lorsque survint la déclaration de guerre, et M. et Mme Cassirer, le laissant derrière eux, à Paris, durent repartir en hâte pour Berlin.
Depuis que tout jeune il a commencé à peindre, Renoir n'a cessé de développer, d'accentuer sa manière. A la légèreté de ses œuvres de début se sont progressivement substitués un faire plus robuste, une coloration plus vive, des tons plus poussés. Ce qui permet maintenant aux critiques et aux collectionneurs de se partager, les uns vantant surtout ses premières œuvres, les autres préférant les dernières. Tandis que ceux qui admirent vraiment l'artiste apprécient également les diverses parties de son œuvre, y retrouvant le même fond, sous les différences d'exécution.
Les rhumatismes dont Renoir a été à la fin affligé, qui lui avaient rendu la marche difficile et qui, s'attaquant aux mains, les lui avaient contournées — ce qui l'obligeait à tenir son pinceau d'une manière particulière — ont pu grandir et se développer, sans toutefois diminuer son ardeur au travail et sans atteindre la valeur de son exécution. Vollard était allé en 1917 en Espagne, à l'occasion de l'exposition de peinture française, qui se tenait cette année-là à Barcelone. Il en avait rapporté un somptueux costume de torero, d'une étoffe toute pailletée et lamée d'argent. Renoir séduit par cette parure en revêtit Vollard et, le peignant ainsi, a fait du paisible Parisien un semblant de torero. Mais ce qu'il y a de remarquable dans ce portrait, exécuté par un homme de 76 ans, ce n'est pas seulement qu'on y reconnaît une facture pleine de vigueur mais que la fraîcheur, l'acuité du coloris montrent que l'artiste a conservé toute sa netteté de vision. Les yeux qui s'affaiblissent si souvent chez les vieillards sont chez lui restés intacts.
Les expositions des Impressionnistes, où Renoir avait montré ses œuvres et les divers Salons où il les avait d'abord exposées, l'avaient dès longtemps fait connaître à ce public particulier qui s'intéresse aux formes d'art nouvelles et à ces quelques hommes à l'esprit ouvert, qui savent apprécier l'originalité et l'invention partout où elles apparaissent. Sa réputation établie dans le cercle restreint avait ainsi couvé, si l'on peut dire, pendant de longues années, mais le moment allait enfin venir où elle prendrait possession du grand public. Ce changement avait son point de départ en igo4. Le Salon d'automne faisait cette annéelà une exposition rétrospective de ses œuvres, empruntées aux diverses époques de sa production. Cet ensemble frappa tout le monde par sa variété, son charme et sa maîtrise. La presse fut comme unanime à le louer. La réputation de Renoir s'étend dès lors sans arrêt. Les musées et les collectionneurs se disputent ses œuvres.
La guerre arrive, en 1914, et alors qu'elle met un arrêt à la vie artistique, que les musées se ferment, que les Salons sont supprimés, que les expositions particulières deviennent rares, par une singulière péripétie, c'est à ce moment que la réputation de Renoir va prendre toute son extension. La guerre, qui a mis les nations aux prises les amène, en dehors de l'action militaire, à vouloir user de tous les moyens de propagande et de toutes les ressources de leur génie, pour exercer leur influence au dehors. Dans le domaine des arts, et particulièrement dans celui de la peinture, la France a prétendu depuis longtemps, et prétend plus que jamais, à l'excellence et à la suprématie. La guerre venue, les amis que la France compte à l'étranger pensèrent que ce qui pourrait donner le plus de satisfaction aux Français, ce qui, serait pris par eux comme la meilleure marque d'intérêt, serait de leur offrir l'occasion d'affirmer au dehors leur supériorité artistique. Dans ces conditions, des Comités se formèrent en pays neutres, pour organiser des expositions d'œuvres des peintres modernes français.
Le gouvernement français vit avec joie la création de ces Comités et il seconda leurs efforts. Il leur assura des allocations pour parer aux frais à faire, il leur facilita le transport des objets à exposer, leur envoi et leur retour, dans les meilleures conditions possibles. Des expositions, qu'on peut dire solennelles, telles qu'elles étaient organisées, et décisives par le. nombre et le choix des œuvres montrées, eurent lieu ainsi dans les pays neutres, en Hollande, à La Haye, en novembre 1916, en Espagne, à Barcelone, en mars 1917, en Suisse, à Zurich, en octobre 1917.
Or ce que les Comités, qui s'étaient fait les initiateurs des expositions dans les trois pays, demandèrent à recevoir avant tout, pour le montrer à leurs nationaux, ce furent les œuvres des peintres impressionnistes. Et dans les trois pays, parmi les œuvres des peintres impressionnistes, les œuvres qui séduisirent le plus furent celles de Renoir. Le charme du coloris, la grâce et la volupté qu'on y trouvait frappaient à l'étranger, comme des qualités éminemment françaises, portées là à tout leur développement. Après ces expositions, on peut dire que Renoir est définitivement entré dans la gloire. Il est mort à Cagnes le 3 décembre 1919. Depuis longtemps les rhumatismes, qui lui rendaient la marche pénible, et le contraignaient à l'immobilité, s'étaient aussi attaqués à la poitrine, devenue de plus en plus délicate. Il prit froid et fut atteint d'une congestion pulmonaire, compliquée d'un arrêt du cœur, à laquelle il succomba.