Anaxagore et Périclès

Plutarque
Où l'on voit que le disciple d'Anaxagore, Périclès, a mieux réussi que le discipline de Platon, Dion de Syracuse.
Pénétré de l'estime la plus profonde pour ce grand personnage, instruit à son école dans la connaissance des sciences naturelles et des phénomènes célestes, Périclès puisa dans son commerce, non seulement une élévation d'esprit, une éloquence sublime éloignée de l'affectation et de la bassesse du style populaire, mais encore un extérieur grave et sévère que le rire ne tempérait jamais, une démarche ferme et tranquille, un son de voix toujours égal, une modestie dans son port, dans son geste et dans son habillement que l'action la plus véhémente, lorsqu'il parlait en public, ne pouvait jamais altérer. Ces qualités, relevées par beaucoup d'autres, frappaient tout le monde d'admiration.

On raconte qu'étant insulté par un homme bas et insolent qui ne cessa, durant toute une journée, de lui dire des injures, il les supporta patiemment sans lui répondre un seul mot, et se tint constamment dans la place à expédier les affaires pressées. Le soir il se retira tranquillement chez lui toujours suivi par cet homme, qui l'accablait d'injures. Quand il fut à la porte de sa maison, comme il faisait déjà nuit, il commanda à un de ses esclaves de prendre un flambeau, et de reconduire cet homme chez lui. Le poète Ion dit pourtant que son ton et ses manières respiraient l'arrogance et la fierté; qu'il mêlait à sa dignité beaucoup de hauteur et de mépris pour les autres. Au contraire, il loue fort la politesse, la douceur et l'honnêteté de Cimon dans le commerce de la vie. Mais laissons le poète Ion, qui veut que dans la vertu, comme dans les tragédies, il y ait toujours une partie destinée à la satire. Quand Zénon entendait quelqu'un traiter de faste et d'arrogance la gravité de Périclès, il l'exhortait à avoir lui-même un pareil orgueil; et il l'assurait que cette imitation produirait en lui l'émulation et l'habitude des bonnes choses. Ce n'était pas le seul fruit que Périclès eut retiré du commerce d'Anaxagore; il avait encore appris de lui à s'élever au-dessus de cette faiblesse qui fait qu'à l'aspect de certains météores, ceux qui n'en connaissent pas les causes sont remplis de terreur, vivent dans une crainte servile des dieux et dans un trouble continuel. La philosophie, en dissipant cette ignorance, bannit la superstition toujours alarmée, toujours tremblante, et la remplace par, cette piété solide que soutient une ferme espérance.

On dit qu'un jour on apporta de la campagne à Périclès une tête de bélier qui n'avait qu'une corne; et que le devin Lampon, ayant vu cette corne forte et solide qui s'élevait du milieu du front, déclara que la puissance des deux partis qui divisaient alors la ville, celui de Thucydide et celui de Périclès, se réunirait tout entière sur la tête de celui chez qui ce prodige était arrivé. Mais Anaxagore, ayant fait l'ouverture de la tête du bélier, fit voir que la cervelle ne remplissait pas toute la capacité du crâne; que détachée des parois de la tête, et pointue comme un oeuf, elle s'était portée vers l'endroit où la racine de la corne prenait naissance. Tous ceux qui étaient présents à cette démonstration en admirèrent la justesse; mais peu de temps après, l'exil de Thucydide ayant fait passer entre les mains de Périclès toutes les affaires de la république, on n'admira pas moins la sagacité de Lampon. Au reste, rien n'empêche que le philosophe et le devin n'aient également bien rencontré: l'un a expliqué la cause du prodige, l'autre en a découvert la fin. L'objet du philosophe est de rechercher le principe des choses, et la manière dont elles se font; le but du devin est de prédire pourquoi elles arrivent, et ce qu'elles présagent. Ceux qui prétendent que la découverte de la cause détruit le signe ne font pas réflexion que par-là ils anéantissent à la fois et la signification des signes célestes, et la vertu des symboles artificiels; tels que le son des bassins, la lumière des fanaux, et l'ombre des gnomons. Chacune de ces choses a sa cause et sa préparation, et ne laisse pas que d'être le signe d'une autre. Mais ce serait là peut-être le sujet d'un traité particulier.

À lire également du même auteur

Du roi Crésus, de Lydie au roi Gadhafi, de Libye
De Crésus, roi de Lydie à Gaddafi, roi de LybieLa Méditerranée et 2 500 ans séparent ces deux rois; ils sont unis par une même démesure dans la richesse et par  le même isolement au milieu de leurs palais bien gardés. Crésus eut toutefois un bonheur dont on se demand

Vie de Périclès
PériclèsI.César, voyant un jour à Rome de riches étrangers qui portaient entre leurs bras de petits chiens et de petits singes auxquels ils prodiguaient des caresses, leur demanda si chez eux les femmes ne faisaient point d'enfants. Cette question, digne d'un homme d'État, était

Vie des Gracques - 1e partie
I. Après avoir achevé l'histoire des deux rois de Sparte Agis et Cléomène, les Vies des deux Romains Tibérius et Caïus Gracchus, que nous allons mettre en parallèle avec eux, ne nous offriront pas des événements moins funestes à raconter. Ils étaient fils de Tibér

Vie de Caton
1. Ses ancêtres. Origine du nom de Caton --II. Son éloquence et sa valeur.- III. Il profite des exemples de Curius, et des leçons du philosophe Néarque. - IV. Valérius l'attire à Rome. - V. Il s'attache à Fabius Maximus , et refuse de passer en Afrique avec Scipion. - VI. Son Ã

Solon chez Crésus
Quelques auteurs regardent comme controuvée son entrevue avec Crésus, et ils prétendent en prouver l'anachronisme. Mais un trait si généralement répandu, confirmé par un si grand nombre de témoins, si analogue d'ailleurs aux moeurs de Solon, si digne de sa sagesse et de sa gr

Les amis de passage
Voici les particularités qu'on raconte d'une entrevue de Solon avec Anacharsis, et d'un entretien qu'il eut avec Thalès. Anacharsis étant venu à Athènes, alla chez Solon; et, après avoir frappé, il s'annonça pour être un étranger qui venait s'unir avec lui par les liens

Le financement de Périclès
Mais ce qui flatta le plus Athènes, ce qui contribua davantage à son embellissement, ce qui surtout étonna tous les autres peuples, et atteste sent la vérité de tout ce qu'on a dit sur la puissance de la Grèce et sur son ancienne splendeur, c'est la magnificence des édifices pub

La vie de Pompée - 2e partie
XXI. Crassus avait plus d'autorité dans le sénat et Pompée plus de crédit auprès du peuple; il lui avait rendu le tribunat et avait permis que, par une loi expresse, les jugements fussent de nouveau transférés aux chevaliers. Le peuple le vit, avec un plaisir singulier, paraî




L'Agora - Textes récents

  • Vient de paraître

    Lever le rideau, de Nicolas Bourdon, chez Liber

    Notre collaborateur, Nicolas Bourdon, vient de publier Lever de rideau, son premier recueil de nouvelles. Douze nouvelles qui sont enracinées, pour la plupart, dans la réalité montréalaise. On y retrouve un sens de la beauté et un humour subtil, souvent pince-sans-rire, qui permettent à l’auteur de nous faire réfléchir en douceur sur les multiples obstacles au bonheur qui parsèment toute vie normale.

  • La nouvelle Charte des valeurs de Monsieur Drainville

    Marc Chevrier
    Le gouvernement pourrait décider de ressusciter l'étude du projet de loi 94 déposé par le ministre de l'Éducation, Bernard Drainville. Le projet de loi 94 essaie d’endiguer, dans l’organisation scolaire publique québécoise, toute manifestation du religieux ou de tout comportement ou opinion qui semblerait mû par la conviction ou la croyance religieuse.

  • Billets de Jacques Dufresne

    J'ai peur – Jour de la Terre, le pape François, Pâques, les abeilles – «This is ours»: un Texan à propos de l'eau du Canada – Journée des femmes : Hypatie – Tarifs etc: économistes, éclairez-moi ! – Musk : danger d'être plus riche que le roi – Zelensky ou l'humiliation-spectacle – Le christianisme a-t-il un avenir?

  • Majorité silencieuse

    Daniel Laguitton
    2024 est une année record pour le nombre de personnes appelées à voter, mais c'est malheureusement aussi l’année où l'abstentionnisme aura mis la démocratie sur la liste des espèces menacées.

  • De Pierre Teilhard de Chardin à Thomas Berry : un post-teilhardisme nécessaire

    Daniel Laguitton
    Un post-teilhardisme s'impose devant l'évidence des ravages physiques et spirituels de l'ère industrielle. L'écologie intégrale exposée dans les ouvrages de l'écothéologien Thomas Berry donne un cadre à ce post-teilhardisme.

  • Réflexions critiques sur J.D. Vance du point de vue du néothomisme québécois

    Georges-Rémy Fortin
    Les propos de J.D. Vance sur l'ordo amoris chrétien ne sont somme toute qu'une trop brève référence à une théorie complexe. Ce mince verni intellectuel ne peut cacher un mépris égal pour l'humanité et pour la philosophie classique.

  • François, pape de l’Occident lointain

    Marc Chevrier
    Selon plusieurs, François a été un pape non occidental parce qu'il venait d'Amérique latine. Ah bon ? Cette Amérique se tiendrait hors de l'Occident ?

  • L'athéisme, religion des puissants

    Yan Barcelo
    L’athéisme peut-il être moral? Certainement. Peut-il fonder une morale? Moins certain, car l’athéisme porte en lui-même les semences de la négation de toute moralité.

  • Entre le bien et le mal

    Nicolas Bourdon
    Une journée d’octobre splendide, alors que je revenais de la pêche, Jermyn me fit signe d’arrêter. « Attends ! J&

  • Le racisme imaginaire

    Marc Chevrier
    À propos des ouvrages de Yannick Lacroix, Erreur de diagnostic et de François Charbonneau, L'affaire Cannon

  • Le capitalisme de la finitude selon Arnaud Orain

    Georges-Rémy Fortin
    Nous sommes entrés dans l'ère du capitalisme de la finitude. C'est du moins la thèse que Arnaud Orain dans son récent ouvrage, Le monde confisqué