Chroniques de la deuxième vague
L’auteur de ce texte, étudiant universitaire qui a suivi l’entièreté de sa session en ligne, nous livre quelques réflexions des dernières semaines sur des phénomènes de l’actualité. Des débats sur la censure et sur le dogmatisme universitaire, il apporte ses réflexions en appel à la liberté d’expression. Sur le confinement, il questionne la pertinence des mesures prises par le gouvernement et leurs effets psychologiques sur la population.
- 7 septembre 2020 Deux conceptions de la diversité
- 16 octobre 2020 L’homme coqueron
- 21 octobre 2020 En finir avec le dogmatisme universitaire
- 6 novembre 2020 La faillite de l’État thérapeutique
7 septembre 2020 Deux conceptions de la diversité
Le 1er septembre dernier, la Société de Philosophie du Québec (SPQ) annonçait que son prochain congrès annuel aura comme thème « Les invisibles et les inaudibles de la philosophie ». On y affirme, entre autres, que « les personnes issues de groupes sous-représentés en philosophie sont spécialement invitées à présenter une proposition. » Entendons par-là tout ce qui ne relève pas du terrifiant homme blanc hérérosexuel. La SPQ entre ainsi de plain-pied dans les idéologies de gauche à la mode chez les élites branchées. Si nous nous permettons de relever cette nouvelle destinée à l’origine à un petit nombre de personnes, c’est qu’elle participe à une tendance lourde qui touche l’ensemble de notre collectivité.
Le commun des mortels l’aura remarqué, la plupart des intellectuels, au Québec, sont totalement déconnectés du reste de la population. À longueur de journée, ils rédigent des articles, des thèses, des mémoires et des essais qui encensent le discours victimaire du néo-féminisme, de l’antiracisme, de la théorie queer et de tout ce qui relève de l’argutie progressiste diversitaire. Il s’agit toujours de valoriser l’égalité, la reconnaissance, la dignité. La diversité devient le fin mot à tout propos, à tout objectif et tout idéal.
Cela dit, la conception de la diversité que profèrent nos intellectuels s’incarne dans une promotion de la pluralité des caractéristiques physiques. Cela signifie qu’il nous faut plus de femmes, de transgenres, de Noirs, de musulmans. Mais au fond, ces personnes, si diverses soient-elles à première vue, le sont-elles sur le plan des idées?
Et c’est là qu’une deuxième conception de la diversité s’impose à nous : celle des opinions. Ceux qui en portent l’étendard n’ont pas comme priorité de souligner les différences physiques ou biologiques entre les individus, mais bien au contraire de les mettre de côté, afin de mieux mettre de l’avant le panorama des différents points de vue. Ainsi, les tenants d’une telle approche de la diversité ont comme souhait de voir les grandes institutions universitaires, collégiales et médiatiques devenir des lieux de rencontre entre partisans de différentes doctrines et visions du monde.
Actuellement, cette diversité d’opinions est en mauvaise posture. Dans les médias, un double-standard est appliqué aux événements de l’actualité. Ainsi, la violence d’extrême-gauche sera minimisée, les cafouillages d’un gouvernement libéral seront plus ou moins tolérés, et l’inverse sera vrai pour tout ce qui se déroule à droite. Dans les cégeps et les universités, rares sont les professeurs qui suivent encore leur devoir de réserve. Leur salle de classe devient, trop souvent pour eux, l’occasion de propager leurs convictions en les présentant comme des vérités scientifiques. Nul besoin d’ajouter que ces idéologies sont celles du postmodernisme, qui remet en question tout repère culturel fondamental et qui prend en grippe ce que le sens commun prend pour des évidences. Un nouvel étudiant apprendra ainsi qu’il n’y pas d’homme et de femme, que l’identité nationale est un leurre et que ses compatriotes sont de dangereux xénophobes.
Les véritables « voix inaudibles » de la pensée en général, ce sont bien évidemment les éléments qui pensent à droite. Honnis soit ce conservateur pestilentiel et ce nationaliste qui souffle sur les braises! C’est ainsi qu’une gauche tellement imbue d’elle-même ne pense plus la possibilité même d’un adversaire légitime. Ce dernier est calomnié de toutes les manières, et aucun écart ne lui sera pardonné. Le grand paradoxe de nos diversitaires, c’est que leur pensée hégémonique écarte d’emblée toute diversité réelle d’opinions. Cela dit, les porteurs d’une diversité idéologique sont nombreux et ont de moins en moins peur. Ils n’auraient jamais dû l’être, mais il vaut mieux tard que jamais. Les prochaines années à venir verront donc ces deux conceptions de la diversité se poser en contradiction perpétuelle. Cette lutte n’a pas qu’une importance dans les cercles universitaires : elle touche aux conditions mêmes du débat public et aux fondements de la démocratie.
16 octobre 2020 L’homme coqueron
« Hide in your shell » chantait Supertramp dans les années 1970. Le groupe de rock britannique faisait référence à ces moments dans une vie où un homme se retrouve seul, méfiant du monde extérieur, doutant de lui-même, sombrant dans ses obscurités intérieures. Bref, quand le vaisseau d’or frappe le grand écueil. Une cinquantaine d’années plus tard, nous nous retrouvons forcés à nous recroqueviller dans nos coquerons. La fermeture des moindres lieux de sortie nous confine à un nouvel ermitage, qui suscite le ras-le-bol chez toute personne sensée. Le consensus collectif qui appuyait le gouvernement au printemps dernier est maintenant fissuré de part en part. Le commun des mortels n’est pas fou : il s’informe, se compare aux autres pays, évalue les incohérences de ses gouvernants. La sympathie n’est plus la même, la suspicion s’éveille, et à juste titre.
Si la circulation d’idées conspirationnistes n’a rien de salutaire, l’exercice d’un esprit critique à l’égard de la raison sanitaire ne peut qu’être le bienvenu pour pousser nos élus à agir avec prudence. Car disons-le : il n’est pas normal, pour l’homme, d’éviter toute moindre interaction et de voir tous ses lieux d’échange être bannis par les autorités. Ce ne sont pas des sorties au cinéma ou dans un bar qui respecte les consignes qui déclenchent les éclosions. Non plus des restaurants, des cafés ou des salles de spectacle. Non seulement les risques de contamination sont-ils minimes dans ces lieux, mais leur subsistance permettait à l’homme de s’évader pour un moment, de rendre son année moins morose.
On ne saurait sous-estimer l’importance de notre vie sociale. Il ne suffit pas de mener une campagne de promotion sur la santé mentale pour compenser les effets pervers du reconfinement. Rien ne peut se substituer à la richesse infinie d’un visage en chair et en os. On apprenait récemment que les jeunes vivaient mal cette pandémie, que plusieurs problèmes de santé publique sont en augmentation. Si on souhaitait encore plus engorger les hôpitaux, nous avons décidément pris la bonne décision. Et ne pensons même pas à toutes ces personnes qui resteront marquées pour longtemps, peut-être en y gardant des séquelles à jamais.
Pour peu qu’on soit de bonne foi, on comprend que les dirigeants agissent toujours dans des situations inédites, emplis d’incertitudes. Leur quantité d’information est limitée, ils ne peuvent prédire l’avenir et subissent des pressions de part et d’autre. Quand on gouverne et qu’on constate des catastrophes comme celles qui se sont déroulées dans nos CHSLD, les morts peuvent commencer à habiter nos consciences. L’homme politique est-il responsable de chaque erreur dans le réseau de la santé? Non, bien sûr. Mais il sait qu’il peut prévenir des drames potentiels. Au risque, toutefois, d’aller trop loin et d’être nuisible dans son action. C’est ce qui est en train de se produire.
En attendant l’administration d’un vaccin, nous aurions intérêt à tout faire pour mener une vie normale, car l’homme coqueron n’est pas heureux : il doit éclore en partant à la rencontre de l’autre. La socialité n’est pas qu’une annexe à notre existence, bien au contraire, elle y est au cœur même. Nous sommes des animaux sociaux, seuls les fous et les génies sont en mesure de se retrancher de la société. Par la réduction de nos interactions, nous voilà diminués aux fondements mêmes de notre être. Nous devons penser cette crise dans la globalité des problèmes qu’elle crée, et non s’attarder uniquement sur le virus. La lutte contre la covid ne doit pas devenir une victoire à la Pyrrhus.
21 octobre 2020 En finir avec le dogmatisme universitaire
À défaut de connaître un mois d’octobre agréable pour sortir, l’actualité nous offre cet automne une importante discussion sur le sujet de la liberté d’expression au Québec. Comme tout le monde le sait, une situation absurde s’est produite à l’Université d’Ottawa, où une professeure fut suspendue pour le simple emploi du mot « nègre », dans un contexte pédagogique. L’affaire n’a en soi rien d’étonnant pour quiconque surveille l’évolution de la liberté académique depuis les dernières années. En 2004, l’écrivain Jean Sévillia nous parlait déjà de « terrorisme intellectuel », phénomène qu’il remontait à plusieurs décennies en arrière. Il y a un an, le sociologue Mathieu Bock-Côté dénonçait cet « empire du politiquement correct » qui affermit son pouvoir d’année en année. En septembre dernier, c’est Rémi Quirion, le Scientifique en chef du Québec, qui sortait un rapport faisant mention de ce problème.
Mais ce qui fait de cette polémique un véritable tournant, c’est le réveil d’une bonne partie d’intellectuels et de journalistes de gauche sur la question. En janvier dernier, moi-même et une soixantaine d’étudiants de partout au Québec signions un manifeste dans les pages du Devoir pour dénoncer ce dogmatisme universitaire qui impose une chape de plomb dans les établissements postsecondaires. Il s’agissait de critiquer ces idéologies mortifères qui bannissent des points de vue et des mots du débat public, jugés « racistes », « sexistes » ou encore « islamophobes ». Beaucoup de gens ont ri de nous, nous prenant pour des excités qui s’époumonent pour un rien. Les mêmes qui nous tournaient en dérision signent aujourd’hui des tribunes pour défendre la professeure Verushka Lieutenant-Duval. Soudainement, c’est aujourd’hui qu’on découvre un problème décrié depuis longtemps. Heureusement, il n’est pas trop tard pour agir.
Une fois le problème reconnu, il nous faut faire la lumière sur ce qui se passe dans nos écoles. Cela requiert de nos dirigeants de lancer une commission d’enquête publique sur la question et d’étudier en profondeur le noyautage des lieux de pouvoir des départements de sciences humaines, d’art, de droit. Le refus du gouvernement du Québec de mettre en place une telle commission est une erreur qui doit être corrigée. La conjoncture est grave et exige un éclaircissement exhaustif pour protéger la liberté d’expression des étudiants et des professeurs. De plus, cela serait une occasion pour le Québec de figurer comme un précurseur en Occident dans la lutte contre les ennemis de la pluralité intellectuelle.
Il faut aussi impérativement que nos élus mettent en place des dispositions législatives qui obligeront les cégeps et les universités à garantir la liberté d’expression sur les campus, à défaut de quoi le financement gouvernemental se verra coupé. Ce sont là des idées qui ont déjà été promues par les conservateurs canadiens ainsi que par le nouveau chef du Parti Québécois. Elles doivent aller de l’avant.
Nous ne pouvons pas compter sur les recteurs d’universités pour nous aider. Le cas du recteur Jacques Frémont, de l’Université d’Ottawa, en est un exemple flagrant, lui qui voit la liberté d’expression comme énième preuve de racisme systémique. Daniel Jutras, le nouveau recteur de l’UdeM, est aussi laxiste sur la question, évoquant ces mots qui « portent parfois le poids du racisme, du sexisme ou de la discrimination systémiques, encore présents dans nos institutions », au lieu de dénoncer fermement une censure inacceptable. Nous ne pouvons nous tourner que vers nos autorités politiques pour réaffirmer la liberté d’expression sur les campus. Il est maintenant temps que les choses changent : il en va de l’avenir de la démocratie.
6 novembre 2020 La faillite de l’État thérapeutique
Avouons-le : le mois de novembre n’a pas de quoi se marrer. L’auteur de ces lignes n’est pas un plaintif notoire des fluctuations saisonnières, mais il ne peut s’empêcher de relever la morosité ambiante qui sévit à l’heure actuelle. Pour la communauté étudiante québécoise, la déprime s’installe et les cris de détresse effusent de partout. Les cours en ligne ne sont pas l’Éden tant louangé par les institutions et les innovateurs pédagogistes. Les bogues se multiplient, trop de professeurs brillent par leur absence, les formules sont parfois carrément délétères. On pense à cette absurdité des cours préenregistrés, ou encore à ces enseignants qui donnent exclusivement des textes à lire, sans séance. La session d’hiver continuera sur cette lancée en se faisant à distance, et les administrations universitaires n’ont encore fourni aucune information concernant la suite des choses.
Dès le départ, l’idée des cours en ligne était démissionnaire et montrait, une fois de plus, l’absence de considération de la part des recteurs et des bureaucrates d’universités pour la jeunesse qui fréquente leurs établissements. Ces responsables n’ont jamais demandé l’avis à leurs étudiants – seulement après coup, histoire de donner l’impression d’être à l’écoute. Après tout, cette jeunesse écolo allait bien être contente de réduire les transports, d’autant plus que les administrations faisaient des économies considérables par l’inoccupation des locaux. On réduisait par ailleurs les éclosions au risque zéro, ce qui permettait de garder intact la réputation institutionnelle. En vérité, les recteurs et leurs sbires avaient bien conscience qu’ils condamnaient la jeunesse à sombrer dans la tourmente, mais c’était là le dernier de leur souci. Qu’est-ce qui pèse le plus entre une place au classement QS et quelques milliers d’étudiants passifs?
Face à la vague de problèmes psychologiques qui s’abat sur un Québec reconfiné, le gouvernement de François Legault a décidé d’injecter de l’argent dans la santé mentale. C’est là un réflexe typique de l’État thérapeutique dans lequel nous vivons depuis un bon bout de temps. Nous pensons pouvoir régler tous nos problèmes en mettant plus de sous dans nos programmes, en suivant la bonne grille d’analyse marxiste qui comprend l’injustice que comme résultat d’une mauvaise répartition des richesses. En vérité, les phénomènes humains ne sont jamais le fruit que d’une bonne ou calamiteuse gestion du portefeuille étatique. Des réalités sociologiques bien établies et des décisions effectuées dans les lieux de pouvoir jouent un rôle bien plus important.
Si l’accablement et l’angoisse s’installent présentement dans la jeunesse, c’est pour de multiples raisons, auxquelles les solutions existent. D’abord, les cours en ligne sont une option à rejeter pour l’avenir. L’homme a besoin d’interagir avec son professeur, ses camarades, et de faire de nouvelles rencontres. Il doit rire, raconter des anecdotes, partager des idées. Par les écrans, ces moments essentiels de l’existence sont suspendus. On ne saurait les considérer comme secondaires et anodins : ensemble, ils constituent la vie sociale, nécessaire à l’épanouissement personnel. De plus, nous savons que le fait de rester devant un écran trop longtemps est néfaste pour l’humeur. En allant en classe, nous prenons congé de notre folie des écrans et nous rencontrons la richesse infinie du visage d’autrui.
Ensuite, puisque les cours à distance demeureront malheureusement pour l’hiver, il faudra impérativement que les enseignants consultent mieux leurs étudiants. Ils doivent leur soumettre des questionnaires pour connaître les formules de cours qu’ils préfèrent. On découvrira assez rapidement que les cours préenregistrés ne font le bonheur de personne et qu’il faudra les interdire, tout comme les autres méthodes aussi déplorables. Les enseignants ont aussi le devoir d’interroger leurs étudiants sur leur état psychologique, et de leur rappeler qu’ils peuvent se confier en tout temps auprès d’eux.
Il n’y a pas que les thérapeutes qui font de la thérapeutique : en vérité, ce ne sont surtout pas eux qui guérissent et soutiennent les personnes. Ce qui sert de pilier dans la vie d’un homme, ce sont ses lieux de refuge, comme sa famille, ses amis, sa tendre moitié. Ces gens qui l’environnent sont ses réels médicaments. Or, s’il se trouve amputé de la possibilité de prendre contact avec eux, et plus encore, d’élargir son cercle social, il finit par périr.
Nous nous en rendons compte de plus en plus : dans le reconfinement actuel (puisque c’en est un) exagère un brin. Dire cela n’est pas encourager un quelconque mouvement anti-masque. Le gouvernement du Québec ferme des lieux où les éclosions sont soit peu probables, soit quasi impossibles. Des mesures pertinentes et équilibrées exigeraient des seules personnes à risque, soient les 70 ans et plus, de respecter des consignes plus strictes. Les plus jeunes ne devraient pas avoir à éviter tout contact comme si leur vie en dépendait, puisque ce n’est tout simplement pas le cas, à quelques exceptions près. De même, les établissements postsecondaires n’ont pas à imposer des cours à distance qui font plus de tort que de bien. En enjoignant la population à suivre les consignes sanitaires élémentaires tout en donnant les moyens de mener une vie sociale, nos gouvernements peuvent combattre ce virus tout en évitant à toute une collectivité et une génération une année de chagrin pandémique.