Noël Marie

16 / 2 / 1883-1967
Jacques Dufresne

Une vie toute intérieure, dominée par un grand amour regretté avant d'avoir été vécu, flétri avant d'avoir fleuri. Une longue nostalgie de ce qui aurait pu être, dénuée de tout ressentiment à l'égard de ce qui est. Une familiarité avec l'amant inaccessible d'où jaillissent les chants d'amour les plus naturels. Une intimité avec le Dieu absent autorisant des cris de l'âme qui ressemblent à des blasphèmes. Si humaine, si pathétiquement humaine... Y eut-il jamais un tel écart entre la grandeur du génie et la modestie de la personne à qui il fut accordé?

Voici le préambule de l'une des biographies les plus complètes de Marie Noël, celle de Raymond Escholier, paru en 1957 chez Stock

« "La Neige qui brûle ", cette belle et juste définition de celle qui devait devenir Marie Noël, on la doit à son parrain Raphaël Périé, grand mandarin, et fervent des chansons de geste.

Tous les admirateurs de la Muse d'Auxerre, dont le génie a fait non seulement en France, mais bien au-delà des mers, l'unanimité, savent qu'il existe un mystère Marie Noël. D'où, bien des fables qui circulent à son sujet : les uns lui prêtant des aventures sentimentales qui n'ont jamais eu lieu que ...dans leur imagination ; d'autres faisant de cette fille d'humaniste, chargée de parchemins universitaires, une autodidacte ; d'autres encore, une institutrice, ou une bergère. Certains critiques, comme l'abbé Bremond, ne voient en elle que « gaminerie angélique » ; d'autres rendent hommage à ses grandes connaissances théologiques, alors que la petite chanteuse ignore tout de cette docte science. A l'étranger, enfin, plusieurs chroniqueurs abusés par la chanson : Nous étions deux soeurs chez nous - La laide et la belle...,tracent un portrait merveilleux de l'autre soeur - si « belle » -laquelle, à vrai dire, n'a jamais existé !

« Comme si la poésie avait un rapport avec la réalité ! » s'esclaffe en sourdine la narquoise Bourguignonne, qui excelle à se masquer.
Au vrai, il est très malaisé de découvrir la clef d'un tel mystère. Marie Noël ne l'a-t-elle point suggéré, quand elle était encore ignorée de tous.
Connais-moi ! Connais-moi ! Ce que j'ai dit, le suis-je ? Ce que j'ai dit est faux - Et pourtant c'était vrai ! L'air que j'ai dans le coeur est-il triste ou bien gai ? Connais-moi si tu peux. Le pourras-tu ?... Le puis-je ?

Grâce à l'amitié profonde dont veut bien nous honorer Marie Noël depuis qu'en novembre 1921, ne sachant rien d'elle et n'ayant même pas reçu son livre, il nous fut donné de 'révéler, dans notre chronique littéraire du Petit journal, l'apparition de ce chef-d'oeuvre les Chansons et les Heures, nous avons tenté de soulever enfin un coin du voile et d'écrire une « Vie chantée » de Marie Noël.

Nous étayant sur une immense correspondance qui va de l'abbé Mugnier et de l'abbé Bremond à Colette et à Montherlant, et aussi sur les très nombreuses lettres et notices -biographiques, reçues par nous-même de Marie Noël, sur une foule d'inédits en prose et en vers (que d'admirables poèmes encore ignorés !), ayant mené, pendant de longues années, une enquête à Auxerre et à Diges, au seuil de la Puisaye, nous espérons apporter ici de grandes clartés sur cette énigme vivante : Marie Noël.

Que de fois, son père spirituel (combien spirituel !) et, en vérité son sauveur, l'abbé Mugnier, pressa-t-il le plus grand poète, français vivant (selon Montherlant), de publier ses Souvenirs. Ces Notes intimes, de tous inconnues, il nous a été permis de les avoir en mains et, certes, leur lecture pourrait être aussi bénéfique pour les âmes éprouvées que ces Chansons, où tant de blessés de la vie puisèrent la consolation et où la jeunesse et l'enfance trouvent des raisons d'espérer. Ces Notes cependant doivent demeurer secrètes. Et, faisant allusion à la Neige qui brûle, Marie Noël a simplement envoyé à son témoin cette consigne: Mes Mémoires, c'est vous qui les écrirez !

Depuis la réimpression de ce Préambule, en janvier 1958, il s'es produit un fait nouveau. Avec la publication de son Oeuvre poétique, l'un des « best sellers des lettres françaises, avec la diffusion de ses Chansons, de se musiques, de ses propos recueillis à la Radio par Jentet et Michel Manoll avec l'évocation de l'inspirée d'Auxerre par la télévision grâce à Louis Pauwels et Iglisis, avec les versions étrangères d'Ella Scherdii en Suède, de Sara Woodruff aux U.S.A. et tant de radios en Suisse, en Belgique, au Canada, Marie Noël finit par céder aux conseils de se meilleurs amis, elle se résigna (le mot n'est pas de trop) à livrer au public, à tant d'amis inconnus, une très importante partie de ses Notes intimes. Celles-ci parurent chez Stock, le 15 décembre 1959. Et ce fut tout de suite comme un embrasement de l'opinion, aussi bien. chez les mandarins que chez les simples.

Au pays de Joubert, la France se découvrait un grand moraliste et aussi l'un de nos plus grands prosateurs.Deux bons témoins, deux adversaires : un agnostique, Henri Petit; un religieux, André Blanchet.Au critique des Nouvelles littéraires, à Henri Petit, les Notes intimes apparaissent comme « une oeuvre de spiritualité qui peut être placée à côté des plus hautes, et cela importe aussi, une prose de grand cru qui classe Marie Noël, déjà grand poète, au rang de nos meilleurs prosateurs ».

Quant au P. André Blanchet, on sait que ce grand Prix de la Critique Littéraire 1959 doit publier prochainement, chez Aubier, la seconde série de la Littérature et le Spirituel, et dans ce volume, une enquête (au sens anglais : inquiry) des plus profondes sur Marie Noël, poète et prosateur. On y trouvera notamment ces lignes éblouissantes, parues dans les Études de février 1960. " Voici l'un des livres les plus vrais que je connaisse. Une vie - notre vie à tous - s'y reflète, avec ses jours de soleil et ses temps de pluie, ses larmes et ses sourires, son ciel, son purgatoire, son enfer aussi. Non, ne vous attendez pas à un sérieux trop constant. Une malice gauloise, et, j'allais dire gaillarde, une malice d'enfant, mais d'enfant terrible, dégonfle le pathétique dès qu'une sottise y montre le bout du nez. Continuité de la tradition française. Voltaire est trop sec, Rabelais trop épais, et leur rire ne sonne qu'en surface. On pense à un Montaigne, d'esprit aussi délié mais moins flottant, et que le tragique de l'existence eût blessé et fixé. Citez-moi un écrivain de chez nous qui ait aussi bien gardé le naturel dans le surnaturel. J'allais oublier la grâce - non dépourvue d'astuce - de la femme; et l'art de charmer les mots; et cette ronde de phrases, toujours sim­plement vêtues, mais qui se tiennent par la main et qu'enlève un rythme où rien ne cloche ni ne pèse... "»

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