Compagnonnage

 

 

Les compagnons, ambassadeurs de la langue française et de la liberté
«En ce temps (sous Louis XIV) où chaque province du royaume parlait un dialecte et ignorait celui de la province voisine, en ce temps où la communication était souvent impossible, faute de parler le même langage, les compagnons, véritables ambassadeurs de la langue française, ont contribué à l'imposer et à la développer sur l'ensemble du territoire. Pour se faire comprendre, les compagnons avaient d'abord leurs signes de reconnaissance, premier moyen de se «tauper», c'est-à-dire d'identifier son semblable. Ils avaient aussi la connaissance de leurs métiers. Le savoir-faire est aussi un langage. Enfin vient un moment où il faut rechercher les mots usuels les plus plus communément employés. Peu à peu, patiemment, ils ont élargi ce langage. Les compagnons l'enrichissaient des expressions prises dans différents dialectes qu'ils transformaient en français.[...]

Les compagnons ne se contentaient pas de participer à l'unité linguistique du royaume. Le compagnon du bâtiment participe à la construction des châteaux, des églises, des luxueuses demeures bourgeoises et aussi de plus humbles habitations. Tous les grands travaux, ponts, barrages, chaussées, édifices publics, canalisations, demandent son savoir-faire. Il porte d'une contrée à l'autre la manière de construire, l'évolution des méthodes, les "tours de main" des métiers, le perfectionnement des outils. Son tour de France contribue à développer les arts et les techniques. Le compagnon, enrichi d'expérience, fait évoluer les métiers; ce n'est pas son moindre mérite. D'autre part, sous le règne de Louis XIV, le pouvoir royal est absolu. Comment disposer d'un peu de liberté, si ce n'est en voyageant, en se soustrayant au pouvoir établi? Maintes idées qui verront le jour au Siècle des Lumières ont été colportées de bouche à oreille par ces hommes hardis qui, dans le secret des sièges de leur organisation — la cayenne — pouvaient s'entretenir loin de toute surveillance des misères du royaume.»

BENIGNO CACÉRÈS, Loisirs et travail du Moyen Âge à nos jours, Seuil, 1973




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«Né dans la confrérie des tailleurs de pierre des cathédrales, le compagnonnage constitue une sorte de fraternité initiatique et hiérarchique qui conduit chaque apprenti à une perfection technique, selon des degrés ritualisés, inséparable d'une transformation morale d'une haute rigueur. Symbolisée par la fabrication du chef d'oeuvre, la métamorphose de l'apprenti en compagnon s'achève en celle de maître, qui le rend à son tour responsable de la transmission des rites et mythes de la confrérie.»

JEAN-JACQUES WUNENBURGER, La métamorphose de l'âme.

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Métier

Selon Remy de Gourmont, le poète Joachim du Bellay "avait raison […], quand il conseillait aux écrivains de fréquenter, autant que les savants, « toutes sortes d’ouvriers et gens mécaniques, comme mariniers, fondeurs, peintres, engraveurs et autres, sçavoir leurs inventions, les noms des matières, des outils, et les termes usitez en leurs Arts et Métiers, pour en tyrer de là ces...

Essentiel

Les rites de l'éducation
«Le compagnonnage nous rappelle à bon escient que toute oeuvre à faire, toute forme à développer, qu'elle soit d'esprit, d'âme ou de corps, nécessite la médiation de rites qui conduisent les formes vivantes hors du désordre spontané (educare signifie bien conduire hors de) et leur permettent de «prendre possession de la beauté» pour, reprendre l'expression qu'Aristote applique à l'arêtè. L'éducation ne saurait donc être coupée d'une sorte de dimension esthétique, liturgique même, des comportements. Être éduqué c'est progressivement répéter des manières d'être; de faire, de parler, qui perfectionnent celui qui les acquiert jusqu'à ce qu'elles soient tellement intériorisées qu'elles vont constituer sa nature, sa seconde nature. Les conduites rituelles de l'école, parce qu'elles nous éloignent de la spontanéité appauvrissante, constituent une véritable stylisation de l'être, lui conférant une forme nouvelle, mûrie par le temps, épurée jusqu'à la beauté et qui sert alors d'idéal supérieur à atteindre. Les codes ritualisés qui doivent régir la vie à l'école, les rapports aux autres, les relations à soi, la rencontre avec la culture, deviennent un moyen insensible pour discipliner la subjectivité, pour l'orienter vers des formes communes où chacun se reconnais. Loin d'être des sources de contraintes et de frustrations, les ritualisations libèrent chacun des innombrables et fastidieuses inventions de réponses face aux situations, et créent un langage commun à partir duquel chacun trouve l'occasion de sortir de soi. Les rites éducatifs sont les barreaux non d'une prison mais d'une échelle qui permet à l'âme de l'enfant de se fortifier dans la résistance, tout en balisant son chemin qui mène au dépassement de soi.»

JEAN-JACQUES WUNENBURGER, La métamorphose de l'âme.

Enjeux

Valoriser les métiers et les personnes
«Nous avons cessé de valoriser les métiers et les personnes qui les exercent. Un homme qui possède un métier, qui l'exerce avec honnêteté, conscience et fierté est un homme libre auquel l'avenir est ouvert, quoi que l'on dise. Quelle que soit la conjoncture, la société aura toujours besoin d'hommes de métier capables et conscients de leurs responsabilités. Le métier est une religion: il faut y croire, l'aimer et bien le faire. Il faut aussi avoir foi et confiance en l'avenir. Puissent ces deux vertus imprégner notre ceeur et notre conscience.

La reconnaissance de l'homme de métier ne dépend pas de l'ancienneté dans une corporation mais de la compétence de son oeuvre quotidienne. On ne voit plus, ou trop rarement, des ouvriers s'asseoir à 17 heures durant cinq minutes et observer l'ouvrage exécuté dans la journée puisse se lever avec fierté, aller se laver les mains et se dire: «Demain, je serai meilleur, autant en qualité qu'en productivité». C'est cela aimer son métier. Nos responsables et décideurs ont également perdu cette forme de pensée qui doit trouver un équilibre entre notre conscience intellectuelle et notre devoir accompli.»

FRANCIS CARDOLLE, «Aimer son métier», cahier Métier et management, sous la direction d'Alain Chanlat, groupe Humanisme et Gestion, L'Agora, 1998

Articles


Aimer son métier

Francis Cardolle
Texte publié dans le cahier spécial "Métier et management", dirigé par Alain Chanlat, du groupe Humanisme et Gestion, Hautes études commerciales de l'Université de Montréal.

Introduction

Agricol Perdiguier
Nous entreprenons la publication du Livre du compagnonnage d'Agricol Perdiguier, une figure essentielle du compagnonnage au XIXe siècle. Avant le témoignage de Perdiguier, on ne savait à peu près rien des moeurs internes des confréries de métie

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