Messiaen Olivier
«Ce fut dans [un] contexte de «modernisme spoutnik» que le compositeur Olivier Messiaen (1908-1992) se signala par son utilisation (sur)abondante de chants d'oiseaux. Messiaen se désolait toutefois de ce que même ses admirateurs ne connaissent ni la nature ni les oiseaux. Cette apparente nostalgie était en fait une position critique. Messiaen avait connu les affres de la Seconde Guerre (il fut alors prisonnier des Allemands au camp de Görlitz en Silésie); il n'avait pas d'estime pour le monde urbain («J'ai absolument horreur des villes, horreur de celle que j'habite — Paris — malgré toutes ses beautés et horreur de tout ce mauvais goût que l'homme a accumulé autour de lui») ou pour la modernité en général (quoiqu'il aimait à revendiquer la modernité de sa musique!).
Tôt dans sa vie, Messiaen prend en dictée dans la nature les chants de nombreuses espèces d'oiseaux. Puis il les adapte pour les instruments dans ses compositions d'une façon réaliste, cela au moment où justement la nature était devenue un champ d'études scientifiques intense. De façon presque prophétique, la musique de Messiaen a ainsi certainement contribué au développement d'une véritable conscience écologique. Lui-même a consacré une partie de ses revenus à acquérir des parcelles de milieux naturels pour les soustraire au «développement».
À partir de 1950, Messiaen les explore systématiquement : Le Merle noir (1951), Réveil des oiseaux (1953), Oiseaux exotiques (1956) et Catalogue d'oiseaux (1956-58) sont des œuvres presque exclusivement basées sur des chants d'oiseaux. Après 1960, Messiaen reste fidèle à la nature en délaissant cependant tout radicalisme : les chants d'oiseaux deviennent dès lors un élément de son langage parmi beaucoup d'autres.
Mais avant 1950, Messiaen avait une toute autre attitude. Plusieurs œuvres de jeunesse ignorent complètement les chants d'oiseaux, tel le cycle pour orgue La Nativité (1935). Si les chants d'oiseaux deviennent davantage présents dans ses œuvres des années 1940 (peut-être ses plus célèbres comme le Quatuor pour la fin du Temps de 1941 dont le troisième mouvement est intitulé Abîme des oiseaux), ce sont des chants d'oiseaux stylisés sans aucune prétention d'exactitude. L'option ultérieure de «fidélité à la nature» répond à un besoin personnel de renouvellement. Mais quelle qu'en soit l'importance, les chants d'oiseaux ne sont finalement pas un élément absolu de la musique de Messiaen.»
ANTOINE OUELLETTE, «Oiseaux et jardins musicaux en France», L'Agora, vol 10 no 1, été 2003