Henri Mounier

Pierre Biron

 

HENRY MOUNIER A-T-IL FONDÉ CARLETON-SUR-MER?

Ce personnage méconnu de l’histoire acadienne et québécoise au 18e siècle est né de Jean-Adam Mounier négociant et Jeanne Françoise Mounier le 7 mars 1730 à Cognac en Charente. Issu d’une famille de 16 enfants, ce calviniste français deviendra le premier entrepreneur de Tracadièche, l’ancien nom de Carleton-sur-Mer, et peut-être mérite-t-il d’en être considéré un pionnier voire le co-fondateur[1].

Voici une esquisse de l’histoire du huguenot Henry Mounier, un pionnier malchanceux d’être francophone sous un gouvernement anglo-protestant. Il ne laissa ni descendance ni trace à Carleton-sur-Mer.

Pour ceux qui ne situent pas cette magnifique localité[2] de la Gaspésie, elle est située vers le fond de la Baie des Chaleur entre Matapédia et Bonaventure et une majorité des habitants sont d’origine acadienne. L’année la plus vraisemblable de sa fondation serait 1767.[3] C’est l’endroit où Jacques Cartier le 8 juillet 1534 mit pour la première fois le pied à terre en Gaspésie, sur la pointe d’une lagune appelée barachois[4] devant lequel s’est développé le village. Visitez-là au plus vite avant qu’un « développeur » ne vienne en gâcher son paysage unique.

Arrivée à Québec

Les huguenots étaient considérés intermédiaires de choix entre les nouveaux dirigeants du Bas-Canada et les conquis de 1760.

Henry Mounier a 19 ans quand il arrive à Québec en 1749 avec son frère Jean et son cousin François, venant rejoindre son oncle Jean-Mathieu Mounier, un marchand de Québec prospère[5] et cultivé. Après s’être installé le 30 septembre 1761 dans une maison louée rue du Sault-au-Matelot à Québec, il épouse le 9 août 1762 à Québec en présence de plusieurs autres marchands, sa cousine Marie-Anne-Thérèse Mounier, sœur de François membre du 1er Conseil du gouverneur Murray. Huguenote réfugiée à Londres, elle y avait passé une bonne partie de sa jeunesse. Le couple s’achète une maison à Beauport et y habite quelques années mais il ne semble pas vouloir y demeurer très longtemps.

Connait la région de Tracadièche depuis 1765 et cherche à la coloniser

Il écrira au gouverneur Guy Carleton le 9 mai 1770 que « à sa réquisition et à ses dépenses il a établi & entretenu depuis 1765 divers habitans à Tracadiès dans le fond de la baye des Chaleurs.[6]»

Si l’année est véridique, Mounier serait instrumental à la fondation de Tracadièche[7] car 1965 est l’année où il réclame une concession entre « la rivière de l’Éperlan & le grand Caskapébiac », ce qui témoigne de sa connaissance de l’endroit trois ans avant l’arrivée des premières familles acadiennes deux ans plus tard en 1767, les Allain, Arsenault, Bujold, Boudreau, Comeau, Cormier, Dugas, Girouard, Leblanc … C’est dans un but commercial mais pas uniquement, car « l’amour qu’il porte à notre coin de pays est également bien perceptible dans les efforts qu’il fait pour obtenir Tracadièche à titre de seigneurie. »

Il achète une maison du capitaine Joseph Marchand sur le banc de Bonaventure le 5 juillet 1767, et rencontre des Acadiens qui s’apprêtent à aller fonder Tracadièche. Le 26 août, il obtient un Mandamus pour une concession de 10 000 acres au Québec de la Cour de Grande Bretagne mais les conditions requises sont irréalistes – incluant celle d’y installer des colons protestants ‑ et il ne pourra pas s’y conformer.

Il écrit au juge William Smith en novembre avoir « établi en 1768 un nommé Thomas Poisset à un poste dans une place nommée Tracadiès ». Cet agent et principal adjoint de Mounier sera nommé bailli de Tracadièche au début des années 1770.

Installation à Tracadièche de Henry Mounier et sa famille en 1771

Mounier écrit au juge Smith que « en 1771 je m’y fixçé avec ma famille pour y attirer des habitants & y faire la pêche à la morue, au saumon & autres poissons ». Ce pionnier dynamique et efficace s’installe à Tracadièche, y fait construire sur l’actuelle plage municipale les premières goélettes pour le commerce avec les Antilles (pêches, pelleteries, bois) et évidemment avec Québec. Il fait venir et aide à s’installer des Acadiens et des « québécois » tous franco-catholiques. En plus de ses activités commerciales, il aurait contribué au peuplement du lieu en amenant et en soutenant à ses frais des familles provenant de la région du Bas-Saint-Laurent.[8]

Il ajoute « De 1773 à 1774 j’y fis construire une grande goélette, la Baye des Chaleurs, avec laquelle j’entrepris le commerce des îles Antilles, j’en fis construire aussi 3 autres jusqu’en 1778, avec lesquelles je continuai ce commerce d’une manière assez lucrative » ; comme il n’a pas « encore amené à Tracadièche des colons protestants pour peupler son établissement » on refuse de lui accorder des titres de propriété. On peut dire que « c’est le premier à y effectuer de la construction navale à grande échelle et à inaugurer du même coup cette longue tradition maritime à Carleton. »[9]

Au recensement de 1777, « Henry MOUNIER 47 ans avec M. A. Th. MOUNIER son épouse 48 ans, bourgeois de ce port, faisant de gros frais depuis longtemps pour l’avoir en seigneurie, a 2 goélettes, 1 chaloupe et 1 barge ». Il est propriétaire de la terre en face de l’actuelle plage municipale pour y faire son commerce maritime, partie du lot #41 du premier rang du Canton de Tracadièche.

Ses installations et son épouse malmenée deux fois par des insurgents Américains

C’est la période de la révolution américaine. En 1778 le magasin et la maison de MOUNIER sont attaqués par des insurgents américains, pirates en provenance de Salem MA[10].

Mounier raconte après la première attaque par les Américains avoir « laissé son épouse pour qu’elle continue le dit établissement durant son absence », il affirme « que les Américains y auroient fait une descente et lui auroient fait tant de tort, qu’outre le pillage de ses biens et la perte de ses crédits, il eut peu de temps après par les tristes suites de leur maltraitement, le malheur de perdre son épouse », elle mourut en fait après la seconde attaque contre Mounier.

Il affirme aussi que les deux navires corsaires en provenance de Salem (Massachusetts) avaient pillé magasins et maisons « poussant même la barbarie (en mon absence) jusqu’à ôter les boucles de souliers à ma femme » et que de plus « un commis et un capitaine d’un brick[11] lui appartenant auraient profité de cette occasion pour s’enfuir avec le bâtiment et sa cargaison dans une île du Sud… », cargaison vendue plus tard à Curaçao.

En 1781 survient le second pillage et saccage des installations de Mounier par des corsaires américains, suivi du décès de Mme Mounier ; celui-ci poursuit quand même ses activités commerciales dans la région, alors que Charles Robin préfère retourner aux îles Jersey durant ces années difficiles.

Il souhait devenir Seigneur de Tracadièche mais le Régime anglais refuse

En 1786 Mounier « vend une partie de sa terre de Tracadièche le 17 octobre à son capitaine Antoine ÉMOND ». Il quitte définitivement l’endroit, découragé et à reculons car il adorait ce coin de pays. Les incursions brutales des révolutionnaires américains et la perte de son épouse y sont pour quelque chose.

Il avait inauguré la tradition de construction navale à Carleton, dont la goélette Baye des Chaleurs de 80 tonneaux pilotée par Antoine Émond. Négociant, voyageur, entrepreneur, il avait été un pionnier de Carleton en plus d’en être le premier résidant à l’aise. Son seul défaut : être francophone sous le régime Anglais, un signe d’intolérance ; il n’y laisse aucune descendance. « Même s’il ne resta qu’une quinzaine d’années à Tracadièche, le rôle qu’il y joue demeure important.»

On se souvient qu’il avait reçu de Londres le 26 août 1767 une promesse de concession de 10 000 acres et voulait qu’elle s’applique au territoire entre le ruisseau de l’Éperlan et la rivière Cascapédia, où habitaient déjà des Acadiens. Le Conseil de Québec « refuse finalement les titres convoités » le 3 janvier 1788, ne concédant que 300 arpents que Mounier occupe déjà devant la plage de Carleton. Mounier est à Londres en juillet 1788 « où il tente encore d’obtenir justice », on perd ensuite sa trace. Il est donc décédé plus tard.

Épilogue

« Même si Henry Mounier n'est resté qu'une quinzaine d'années à Tracadièche, le rôle qu'il a joué reste tout de même important. Par ses activités commerciales, il y a attiré de bonne heure des habitants et a procuré du travail à plusieurs d'entre eux. Sans dire qu'il est le fondateur du lieu, sa présence a fortement consolidé l'endroit en tant que port et poste de pêche dynamique sur la rive nord de la baie des Chaleurs[12] ».

Les deux entrepreneurs industriels qui suivront laisseront quelques traces et quelques descendants à Carleton-sur-Mer. L’irlandais John Meagher (prononcer Mar), un ancêtre du politicien Thomas Mulcair (ancien chef du parti fédéral NPD) suivi du beauceron Édouard Lacroix.

Aujourd’hui Carleton-sur-Mer vit de l’éducation (campus du Cegep de la Gaspésie), du tourisme (hôtels, camping, restaurants, Centre de congrès) et par la proximité à Maria du Centre hospitalier de la Baie des Chaleurs.

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Pierre Biron

 

 


[1] Sylvain Boudreau, Biographie d’Henry MOUNIER (1730-v 1789), document inédit déposé en 2003, Écomusée Tracadièche, 16 pages (ma principale source) – Un huguenot à Tracadièche, l’étonnante histoire d’Henry Mounier, Magazine Gaspésie, Été 2003, p 37-40  

[2] Visiter web et

[3] Christian Blais, originaire du lieu, dans son mémoire de maîtrise en histoire à l’Université de Montréal : L’émergence d’une communauté acadienne à Tracadièche 1755-1801, aout 2001, 140 pages, croit que sa fondation remonte à 1767 plutôt que 1766. Mémoire disponible à la bibliothèque Bronfman, Université de Montréal

[4] Terme acadien, vraisemblablement du basque barratxoa (petite barre)

[5] Il vaut 300 000 livres en 1758

[6] Christian Blais 2001

[7] Ibidem

[8] http://www.carletonsurmer.com/culture/histoire.asp

[9] Sylvain Boudreau, http://www.quebecfrancebdc.org/lieux_de_memoire.ws

[10] D’infâme renommée, car les colons anglais y persécutaient des « sorcières » en 1692

[11] Type de navire à voile à deux mâts de l’ancienne marine; brig en anglais. Fut utilisé du 16e au 18e siècle, en particulier par les pirates et corsaires européens mais, étant gourmand en équipage, fut remplacé par les goélettes.

[12] Sylvain Boudreau, http://www.quebecfrancebdc.org/lieux_de_memoire.ws

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Pierre est l'auteur de l'Alter dictionnaire médico-pharmaceutique bilingue.

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