Médecine et société - 2e partie

Pierre Biron

Les critiques des vaccins covidiens peuvent tirer profit du présent billet en appliquant la démarche qui suit avec les informations disponibles même quand celles-ci demeurent encore parsemées, censurées et déclarées au compte goutte; maigre consolation puisque le tort est déjà fait.

L’hypocrisie genevoise
L’Organisation mondiale de la santé (Oms) déclarait en mai 2023 depuis Genève que la pandémie covidienne n’était plus une urgence de santé publique. MAIS a omis d’identifier et d’analyser toutes les erreurs commises depuis le début, de s’en excuser, de prendre les mesures pour ne plus récidiver et pour encadrer un programme de réparation des torts subis assez immenses pour représenter à eux seuls une urgence en santé publique.

Quand diagnostic médical = diagnostic social
On a finit par admettre qu’affubler un patient de schizophrène était très stigmatisant. Rappelons qu’au tout début on disait démence précoce, avant d’introduire schizophrénie. Les japonais ont bien perçu la stigmatisation et l’hétérogénéité de ces troubles et ont introduit les termes de ‘maladie déchirée de l’esprit’ et ‘trouble de l’intégration’. En Occident on continue à confondre handicap mental et maladie mentale.

Se faire dire par un professionnel qu’on est schizophrène c’est comprendre qu’on est condamné aux soins psychiatriques toute sa vie avec ou sans passages en institution pas toujours consentis. C’est enlever tout espoir si les soignants ne font pas preuve de doigté, s’ils n’écoutent pas le vécu des malades, leur expérience des symptomes, s’ils ne laissent pas une lueur d’espoir, s’ils ne comprennent pas leurs envies, autrement dit, s’ils sont incapables d’empathie, cette qualité qui permet de se mettre à la place de l’autre (source : Laurence Martin, Revue Prescrire, Octobre 2021).

Même problème avec l’alzheimer. Il y a tellement de formes de démences, aux parcours variés et souvent moins prévisibles qu’on le prétend. Les conséquences sociales sont énormes. Combien de fois les amis rayent le nom de leur carnet d’adresse en apprenant le diagnostic avant même d’avoir rencontré à nouveau cette personne. Le diagnostic se promène hors de contrôle dans tous ces fichiers médicaux dorénavant informatisés, barrant la porte à moultes privilèges citoyens (juridiques, bancaires…).

Le sens clinique mis à l’épreuve en évaluant la causalité d’un événement indésirable soupçonné médicamenteux.

Quand l’intelligence artificielle investira la pharmacovigilance, deux risques à l’horizon.

INTRODUCTION

Une des responsabilités éthiques des prescripteurs est de diagnostiquer les effets indésirables médicamenteux (ci-après EIM) graves et inattendus observés chez leurs patients et d’en évaluer le lien de causalité, opération aussi désignée l’imputation.

Pourquoi est-ce important ? Parce que si l’EIM s’avère fatal, il y a urgence de bien imputer les premiers signalements et seuls les professionnels de la santé sur le terrain peuvent le faire. Sinon le médicament suspect devient un tueur en série. Depuis l’historique thalidomide jusqu’au plus récent fentanyl (en surdosage notamment aux É.-U.), il y aurait des douzaines de ces histoires macabres à raconter.

Bientôt la profession se laissera attirer, par paresse intellectuelle, par tendance à suivre ses pairs et par manque relatif de compétence diagnostique, vers l’usage de l’intelligence artificielle, ci-après dite robot.

Les critiques des vaccins covidiens peuvent tirer profit du présent billet en appliquant la démarche qui suit avec les informations disponibles même quand celles-ci demeurent encore parsemées, censurées et déclarées au compte goutte; maigre consolation puisque le tort est déjà fait.

UNE DÉMARCHE RIGOUREUSE

Voyons ce qui attend ledit robot dans une démarche rigoureuse. D’abord il n’acceptera cette énorme tâche qu’en possession de 4 informations bien vérifiées au préalable :

(a) un notificateur (reporter),

(b) un événement indésirable (adverse event), lequel devient un effet indésirable (adverse reaction) dès qu’on soupçonne un produit

(c) un produit suspect (suspect drug) et

(d) un patient (au moins âge et sexe)

* Puis on recherche un certain nombre de caractéristiques utiles pour en arriver à l’imputabilité, c.a.d. au niveau de confiance dans un lien de causalité. Jusqu’à ce jour cette confiance pouvait s’exprimer sur une échelle d’imputabilité (0 à 4 par exemple) où chaque réponse plaide en faveur ou contre ce lien. Certains critères ont plus de poids que d’autres, ce dont les questionnaires structurés bientôt désuets ne tiennent pas compte, étant de type binaire (oui/non).

Ces caractéristiques peuvent se classer comme suit. Noter que les réponses suivantes sont disponibles seulement après la survenue de l’événement indésirable :

1. CRITÈRES TEMPORELS :

1.1
Délai d’apparition entre dose critique (dite le challenge) et début de l’événement; la dose critique peut être la première dose, la première augmentation (dose réponse), ou une dose unique, ou l’introduction d’un second produit (dite interaction médicamenteuse). Dans le cas d’un rebond ou d’un sevrage, comme en psychiatrie, c’est paradoxalement le moment de la dernière dose qui est critique.

Plus le délai est court plus il renforce l’imputabilité, en autant qu’il demeure plausible. Le délai est habituellement dit positif quand il est court. Les EIM inattendus prennent des années à découvrir quand les délais sont longs (ex : 20 ans pour le cancer du vagin qui survenait dans la vingtaine chez des femmes exposées in utero au diéthylstilbestrol pris par la mèrê).

Dans un cas d’interaction entre deux produits, la dose critique est la première dose du second produit suspect.

1.2 Durée de l’événement pendant la prise quotidienne du produit suspect. Certains événements indésirables cessent d’eux mêmes avant l’arrêt du suspect, ce qui diminue la suspicion.

1.3 Évolution après déchallenge, c.a.d. après la cessation ou la réduction de dose du produit suspect; si l’événement cesse à l’arrêt du suspect, le déchallenge est dit positif, sinon il est dit négatif. Un déchallenge dit positif conforte l’imputabilité. Un délai de disparition plausible plaide en faveur de l’imputabilité quand il diffère de l’évolution habituelle de l’événement indésirable.

1.4 Évolution en réponse à un traitement correcteur, s’il y a lieu. (ex.: naloxone contre fentanyl).

1.5 Évolution après réintroduction du produit suspect, dit rechallenge, s’il y a lieu. Un rechallenge positif appuie très fortement l’hypothèse d’un lien causal. (ex.: myocardite après seconde dose de vaccin ARN messager).

Pour rappel
a) les critères temporels doivent être interprétés selon leur plausibilité biologique; il y a des fenêtres temporelles à respecter. Les délais d’apparition ou de disparition doivent être compatibles avec le mécanisme d’action et la demi-vie des produits suspects, et avec l’évolution propre aux événements indésirables concernés.
b) en tératovigilance (malformations congénitales) le délai d’apparition est de plusieurs mois puisqu’il n’est généralement décelé qu’à la naissance
c) Quand le délai d’apparition est court, le déchallenge positif et le rechallenge positif, l’imputabilité frôle le 4/4.

2. CRITÈRES NON TEMPORELS :

2.1 Topographie : (a) au site d’administration; (b) au site de transit digestif; (c) dans l’organe qui métabolise le produit; (d) au site d’excrétion (bile, urine). La présence d’un tel critère entraine immanquablement une imputabilité de 4/4.

2.2 Spécificité sémiologique (caractéristiques): Quelques maladies se présentent différemment selon qu’elles sont médicamenteuses ou pathologiques (ex. : la forme fulminante de l’hépatite est presqu’uniquement médicamenteuse). Plus les premières observations d’EIM inattendus qui s’accumulent présentent les mêmes caractéristiques, plus elles évoquent une cause médicamenteuse.


2.3 Épidémiologie : Quelques pathologies sont presque toujours médicamenteuses, telles les hépatites fulminantes (jaunisse fatale…); d’autres sont dues à un seul médicament ou une seule classe, on les dit pathognomoniques (ex.: redistribution des graisses corporelles sous anti-VIH).

2.4 Pharmacologie : Plusieurs effets sont pharmacologiquement prévisibles et dose-dépendants (predictable):

(a) effet latéral familièrement dit secondaire (side effect, collateral effect), par action non souhaitée sur d’autres récepteurs que celui visé par le prescripteur;

(b) effet par exagération de l’action sur les récepteurs visés : il apparait après augmentation de dose et disparaît au retour à la dose normale

(c) intoxication par surdose massive; la présence au site de transit (estomac) ou la réponse à un antagoniste mène inévitablement à une imputabilité de 4/4 (en centre anti-poison, aux urgences). Ainsi le naloxone contre le fentanyl.

(d) inefficacité (failure) par dosage insuffisant (formulation défectueuse, sous-consommation, comme une grossesse malgré un anovulant pris régulièrement) ou par niveau sanguin trop bas (interaction médicamenteuse, métabolisme inhabituel)

2.5 Immunologie : L’effet est non relié aux propriétés pharmacologique et peut survenir à dose sous-thérapeutique ou à la première dose. Peut être plus sévère et apparaître plus rapidement et fortement à la seconde administration, signe de sensibilisation par la première dose. Fréquent en vaccinovigilance, notamment covidienne.

Rappelons que les réponses aux prochaines questions sont disponibles avant l’exposition au produit suspect.

3. EXCLUSION DES ÉTIOLOGIES ALTERNATIVES :
Va sans dire que la continuité des soins est un atout majeur : le soignant qui connaît son patient depuis longtemps a toutes les chances de mieux réussir, mais cette continuité se raréfie avec la pratique regroupée qui a maintenant pignon sur rue. Notamment en gériatrie où la polypharmacie complique l’imputation.

3.1 Comorbidité : faire la liste des maladies concomitantes suceptibles de causer l’événement indésirable, incluant l’indication (le motif thérapeutique) pour le produit suspect

3.2 Comédication : liste des autres médicaments concomitants et susceptibles de soit 
(a) causer directement l’événement indésirable, ou
(b) causer indirectement l’événement indésirable, donc par interaction médicamenteuse, dans lequel cas les délais d’apparition et de disparition se calculent depuis l’ajout ou la cessation d’un second produit suspecté d’interaction

4. FACTEUR FAVORISANTS LIÉS AU PATIENT :

4.1 Antécédent de la même réaction lors d’une administration antérieure (dit préchallenge) du produit suspect; un préchallenge positif renforce le niveau d’imputabilité.

4.2 Antécédent de l’événement indésirable sans le produit suspect; si oui, l’imputabilité diminue tangiblement.

4.3 Facteurs ayant pu favoriser l’EIM : Antécédents allergiques aux médicaments, insuffisance rénale, pharmacogénétique (surtout les enzymes hépatiques), poids, âge, sexe, in utero, grossesse, allaitement, fragilité physiologique (ex.: en postopératoire)
 

5. FACTEURS FAVORISANTS LIÉS AU PRODUIT SUSPECT :

5.1 Niveau de documentation préalable.

L’effet indésirable est attendu quand il est  documenté dans sa pleine expression (incluant la spécificité de l’événement, la gravité des suites et la fréquence des signalements), ou reconnu par la communauté scientifique sans conflits d’intérêts mais incomplètement divulgué dans la monographie (ce fut longtemps le cas pour les réactions aux vaccins ARN)

Il devient inattendu si simplement anecdotique (quelques signalements seulement non encore imputés), ou prévisible (mécanisme d’action compatible) mais jamais signalé.

Noter que les prochaines réponses sont disponibles seulement après l’exposition du patient au produit suspect :

5.2. L’administration (confirmée par dossier, témoin, administrateur, flacon…) : dose excessive ou augmentée (indices d’une relation dose-réponse), vitesse trop élevée (injection, perfusion), voie inappropriée, produit erroné (flacons de même couleur…) , patient erroné (deux madames Tremblay dans la même chambre…)

CONCLUSION
De rares cliniciens au bord de la retraite sont capables de porter un bon jugement de causalité mais la nouvelle génération ne semble pas intéressée à développer ce genre d’expertise non rémunérée et qui - avouons-le - consomme du temps, bien moins évidemment que les enquêtes en aviation après le moindre incident.

Peut-être que ceux qui tirent les ficelles mettront un jour les ressources nécessaires en intelligence artificielle en appliquant leurs propres méthodes de traitement de méga données à ce genre de diagnostic médico-pharmaceutique; ils pourront aussi inclure les vaccins et les dispositifs médicaux parmi les suspects, ce qui devrait aller de soi pour protéger la population d’interventions excessives quand la santé est politisée.

Mais quand ce jour arrivera, ce sera un recul pour la valorisation du sens clinique en pharmacovigilance et un appauvrissement de la pratique médicale. Voilà un premier risque.

S’il arrivait que le financement provenant d’entreprises pharmaceutiques dévoie cette méthode diagnostique en atténuant l’imputabilité - une fatalité que personne ne peut exclure – on appauvrirait encore plus l’expertise de nos prescripteurs. C’est un second risque.

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Pierre est l'auteur de l'Alter dictionnaire médico-pharmaceutique bilingue.

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